Le-La de Cyril Pansal & Eric Tessier
24 mercredi Mar 2021
Posted Cyril Pansal, Eric Tessier
in24 mercredi Mar 2021
Posted Cyril Pansal, Eric Tessier
in12 vendredi Mar 2021
Posted Charles Eric Charrier
inAvec cette série de « dessins écrits », Charles-Éric Charrier donne à ses personnages et paysages une dimension quasi sculpturale. Sans retrancher la grâce aérienne qui traverse l’ensemble, souligné par une poésie frôlant les éclats de Beckett ou de Ionesco, Charles-Éric Charrier explore les contraires. La pesanteur, la gravité, la fragilité et la résistance. Ces figures, mains dans les poches, bras pointés vers le ciel, semblent transcender le quotidien, se jouer des contraintes et de la laideur. Pour se réfugier dans les arcanes de l’amour, cette mise à nu salutaire. Et se perdre volontairement dans les méandres d’un univers mental de plus en plus maîtrisé, de plus en plus beau et abouti. Une sorte d’ascèse, de regard spirituel posé sur le monde. Sur l’amour, éternel refuge – mais combat aussi – contre les vents mauvais de l’existence.
« L’art Ancien de L’amour » – recueil graphique de Charles-Eric Charrier – ISBN : 978-2-492483-21-9
08 lundi Mar 2021
Posted Anna Jouy
in5
Table de travail. Ecrire à l’ombre, dans les tons de l’impromptu, au rebours de lumière. Écrire au poinçon dans les côtes. Parce que tout ce qu’il y a à dire est en-dessous de la Terre, enseveli et qu’il faut inscrire sa voix avec un soc et une fièvre de cheval. Serrer les épaules sur l’effort, ne pas dévier de ses graphies, du désarticulé langage et du recel d’âme ou du peu. Car j’en ai une qui flotte avec des racines et je tire mon boulet vers un sable poète, vers le bord de l’eau qui est la seule chose qui nous touche pareils dans la soif et dans le sel. Suis-je poète ? Mon balcon est un perchoir et me pencher sur le vide n’augmente pas mon vertige d’un second étage. Tant de galeries de fourmis tandis qu’il me faudrait chanter. Je lime dans le texte -mot choisi pour ce duel usure et vulgarité-, je ne saurais mieux faire que de fronder contre toutes mes convenances, atteindre un peu d’authentique, espérer qu’on désaccorde le train et que je saute sur une meilleure mine. Mais parler de soi ne construit pas de monde et me polischer à la mousse, à l’incessant rond sur la glace n’est pas encore utile à donner à l’autre sa force, sa puissance d’être et sa parole propre.
6
Heure du bain. Peut-être faut-il entre chien et loup mettre sa chair à fondre dans ce bleu où tombent finalement toutes choses. La fente crépuscule saignerait de l’encre et moi pareille, effervescence filandreuse emmêlée d’un taquet de guimauve. Peut-être faut-il mettre au trempage le blanc d’une coupe d’été, parmi des jonques de cobalt. Espérer voir se détacher fibre et fibre encore, les ficelles du regard, saucer l’azur et l’avaler tout cru. Esprit cannibale. Sieste. Le monde, je le croise au-dessus de ma tête. Les avions fusillent mon espace au bazooka. Grand filet de voyages explosés, mes cheveux en pétards. Je lis l’ardoise des passeports éphémères. Quand ils écrivent un A je crois qu’ils pensent à moi et je ferme les yeux en murmurant bonjour en toutes les langues que je sais. Moi couchée dans l’herbe, la ronde des trafics en l’air tourne tourne et m’enivre. Je marche encore sur les oiseaux mais il fait chaud, si chaud.je crains que leurs aiguilles ne percent bientôt mes baudruches et qu’il me faille redescendre en piqué, moteur coupé, cylindres serrés.
7
Avant la nuit mammifère. Il manque à ton idée d’évacuer des œufs et de perdre des plumes. Tu niches à poil, ta tête enroulée dans ton sexe, à naître et mourir sans cesse, mouillée, saignante. Sans la moindre coquille ni l’infime chrysalide. Tu vagis, tu épècles, tu désarticules ta nostalgie de ventre, anse faite à des promesses. Vivre semblait tenir debout, deux pattes aux cals durs. Maintenant il te faut changer de territoire, passé en mode volatil, poser ta masse chaude pour un troc de couleuvre. Sang-froid, maîtrise et l’iris fendu. Rêve éveillé. Je te forme sous la langue, te rumine à joues juteuses. Je te cause les crocs aigus. Tu as le cœur assis et mon âme sur les genoux. Je mastique tes gravures, la table en est couverte. Au couteau, au poinçon, à la dent de fourchette. Dans le rouge acryl de vieux augures. Je mâchouille le mystère que mes yeux ne descellent. Tu as dû laisser ton numéro pour me revoir. Mais comment le recomposer dans ces chiffres défaits. Mettre du sublime dans ces ossatures, mots, tous dépiautés là, pour allumer mes paniques de fille. Ne rien savoir me rend rage et chaîne. Je ferai de tout cela le parc d’acajous où s’apprivoisent les lacunes, l’écumoire épuisée de torpilles secrètes. Oui, la mer entre nous est un vaste boudoir, dressant sa tente entre épieux et pilotis. Une chambre anodine en plein corps où rêve le substrat des femmes. En suis-je encore ? Je ferai de tout cela un soubresaut, une volière de rames avec des ongles courts, l’interminable rendez-vous sur le carnet de cavales. Chaque fuite entre mes doigts est un sablier qui se meurt.
Texte : Anna Jouy
Gravure : Jean-Pierre Humbert
23 mardi Fév 2021
Posted Philémon Le Guyader
in« Novembre à Prague » relate un voyage dans la capitale tchèque au mois de novembre 2005, après des notes prises sur des carnets durant le voyage, l’ensemble fut ensuite repris et publié sous le titre de Novembre à Prague, il est le dernier livre de la trilogie parue aux éditions DLC en 2006 après Cafés de la pleine lune et NOIR et BLEU.
Il faut lire Philémon Le Guyader, pour saisir toute la finesse et la brutalité qui tisse la poésie, l’errance ou l’exil qui l’habite invariablement, ce qu’elle raconte aussi de son auteur, bien dissimulé entre chaque mot. La précision de l’écriture de Philémon Le Guyader explose à chaque vers. La sécheresse apparente des textes transmet tout un monde intérieur et géographique. Terriblement humain et donc forcément loin d’une morale trop formelle pour être honnête. C’est que la poésie ne porte pas seulement la beauté, elle parle surtout de vérité. Parfois dérangeante toujours puissante. Le rythme que Philémon Le Guyader impulse à sa poésie a quelque chose de profondément musicale, et de noir. Dans le sens d’un roman réduit à son essence, à l’essentiel, donc à sa poésie. C’est-à-dire un phrasé exceptionnel, une langue chavirée…Un authentique univers.
Extraits :
Maintenant
c’était simple
ou presque
je connaissais deux femmes à Prague
deux femmes belles
l’une était ma banque ma sorte de banque
l’autre
ma corde rouge
ma maîtresse
j’avais les bons tuyaux du coin
grâce à Zell
et les Wavemen
je n’avais plus qu’à laisser vivre
et attendre les papiers français
simplement
simplement je devrais toujours me méfier
du marché de noël
du centre ville
éviter ça
au possible
et j’irai bien
j’irai bien
******
Ce qu’il fallait
d’abord
c’était récupérer
d’autres 5000
Eva
Eva
c’est encore moi
car à l’hôtel de la rue Husitská
ils m’avaient pas oublié
fallait pas
que je me casse
comme ça
à l’improviste
en pleine nuit
Non
fallait pas
d’ailleurs j’aime pas ça moi
les départs à l’improviste
pas pour de l’argent
à cause d’une femme
oui
mais pas pour de l’argent
Novembre à Prague – Recueil de Philémon Le Guyader – ISBN : 978-2-492483- 12-7
17 mercredi Fév 2021
Posted Anna Jouy
in1
Nouvelles du front. Une ceinture de cercueils et des enfants serrés, leurs pas laissent des traces sur les pierres, lunules stériles. Comme les femmes tombent, des femmes par milliers, par troupeaux tristes, par avalanche, dans un monde de lames, de férules aiguisées au fusil où tarissent leurs sangs. Le sang neuf de vie sous les voiles, ma main entre leurs poings, leur silence sacrement et la lutte captive. La peur est un faucon cagoulé qui tape dans le sein. L’urgence les pousse au plongeoir de l’envol. Ne sens-tu combien l’air leur est compté et qu’il importe de finir cette chasse, qu’il n’y a rien d’autre à bouffer sur le désert que ce cœur de feu qui fuit par tous les sables ? Ne sens-tu pas que le soleil les enfonce avec lui sous la terre, qu’il leur faudra tenir le ventre vide agripper la liberté à des arbres morts et que ce sera dans longtemps. Le temps de tout reprendre.
2
Aube et l’orage. L’horizon, cette tragédie en stuc collée à mon chapeau ! L’orage étire les sangles du baudrier funambule, compression des grimpées de température. Face à moi les buildings armés de la pluie, des stalagmites tristes en pleine effusion ; ils crêpent la lueur de quelques chevaux. Une angoisse cyanose la hauteur en osmose de ciel. Ma voix comme un caillot avalé tout cru du ventre. Tout voir tomber en gouttes, petit déj’. Matin, je squatte ton auréole jaune. Je vois, avec des éraillures, du grain à moudre en sciure tout le long des yeux. Bien au-delà des yeux, mes bagues rétrécies, le trou cicatriciel de me savoir encore. Matin, j’écale ton œuf avec des ellipses de dents. Te voici décalotté, implant de cuillère dans le vol des oiseaux. Tu coules de la lumière, petit Icare martyr et toute ta cire et toutes plumes, pour déglutir ma convulsion de liberté. Matin, perpétuel mouvement de la langue qui cherche à s’affranchir des lèvres, jusqu’à l’éclaircissement total, la blancheur du temps qui gît dans une coquille. La nuit est dans les joues. Avalée. Occlusion intérieure, les espaces sous sachets vides d’air. J’écrirai, peut-être, bientôt…juste un titre, à titre nocturne. C’est dans la moelle que les mots coincent. Entre les omoplates ce barrage noué. Je goûte en rongeant un os un bout mort. Ce doit être cette étreinte d’âmes qui s’estompent, ce moment où le corps frissonne dans les tonalités basses. Je suis dans le sang qui glisse vers ta chose. Jusque tard dans l’après-midi
3
Heure du thé. Je file à l’anglaise, feuille à feuille, et légère amertume où cuisent mes impatiences et mes vanilles. Le travail se délaie dans l’attente ronde, cousue d’aiguilles. Que de passes, que d’heures pécuniaires, que de trottoirs limés sans bavure jusqu’à cette sirène de fabrique qui fauchera d’un coup le contremaître des pointages. J’usine la sortie avec ma boule de voyante et une encaustique de repos au mérite. Déjà mes portes bâillent, mes courants s’aèrent, déjà j’esquisse une détente en chien de fusil sur la balançoire, je goutte, j’égoutte, je goutte, j’égoutte… Il faut sortir la boule à thé.
4
Visite de cimetière. Tu m’attendras, m’attendras-tu ? – Peut-être- bien entendu. Dans un jardin d’orages et de paille. Je viendrai en voilette parce que ma mère l’a dit et qu’il fait désormais un temps à sortir sa mère. Je marcherai sur l’eau, oh oui ! Elle aimait trop Jésus. Ce sera léger de la bulle d’acier ronde sans jamais éclater. Tu nous aurais pointée avec ta visasse, tout près de moi ou alors tout près de toi. De ce banc sur lequel tu dors tes mains dedans les yeux à y penser bien fort. Tu murmureras, murmureras-tu ? – Peut-être- bien entendu. Une litanie d’identités à ruminer. Qui voudras-tu créer, nous sommes tant à vouloir venir. Cela presse de mettre au monde le jet de ton désir. Ce sera fort, de la sève de racines, de dessous ta vie, de l’arrière-histoire. Tu nous aurais levée à force, à peine, de l’élan, dans lequel je dors paupières closes à te chercher.
…
Texte : Anna Jouy
Illustration : George Oze – Straircase Perspective