Fuseau Horaire – Poème de Pierre Vandel Joubert

je ne tombe plus
aucunes planètes et soleils
plus de mots

pour dire

je ne tombe plus
aucuns refrains ni hymnes
sans croyance

au pays des autres
je me confronte
à cheval

pour dire

je ne tombe plus
au pays du oui et du non
il faut juste se taire et attendre

sans faire de bruit
pour ne pas être surtout ne pas être
pour dire

une beauté demain
au soleil
ne plus rien imprimer

pour dire

le frisson de la bête
d’orgueil et de mort
le fusil trop loin

l’amour aux détours des vies
la tienne dans le vide
une rive et un fleuve

je prends le transatlantique
pour l’Argentine
Adieu ma fille de Belleville

pour dire la fin
et dans la prairie aux torpilles
le cheval est devenu fou

pour vous dire
l’avion a plongé
dans la mer

le cheval

dans la brume du petit matin
dans la brume

Texte : Pierre Vandel Joubert

Bouclier de fantômes – Poème de Iren Mihaylova 

Où est ma lumière qui éblouissait
les pas trompés de l’étoile de plomb
où sont les gouttes inondant
mon chemin bercé de l’attente ?

Car longue est la nuit sans accalmie.

Je suis tombée de mon berceau
de milles couches de sa chair qui
m’ont tant bercée à tort.

A tort, car ma douleur, ici, effleure
la peau trempée de l’ascendance.

Où est cette nuit qui m’abritait, où
mon songe baissait la tête sur l’oreiller,
où est sa voix câlinée, ses douces mains ménagées,
sonorité ébahie qui autrefois chouchoutait l’apaisement
de l’autre bout du continent austère des fantômes ?

A tort, car ma douleur, ici, s’aiguille
sous la prunelle qui a trompé mes ravivés :
Songes, Témérités, Espoirs émaciés

Quand elle s’immisce dans ma pensée, emportant ma solitude,
mes lèvres cirent leur seule promesse dernière :

« Chaque jour est une main tendue vers la quiétude ».

Ce poème est issu d’un projet littéraire inédit intitulé : « Ciel de ma Mémoire »

Sur l’auteur

Iren Mihaylova est une poète, écrivaine et psychologue clinicienne (née en Bulgarie dans les années 90) qui demeure et travaille à Paris. Elle a une pratique psychanalytique et écrit des œuvres de poésie expérimentale, classique et surréaliste, ainsi que des récits (poétiques), des journaux d’écriture. Dans son parcours littéraire, elle a fait des études de lettres (Licence Lettres modernes à l’Université de Lancaster, Royaume-Uni) et M1, S1 de Création littéraire et métiers de l’écriture à CY Cergy Pontoise).

Bibliographie :


Livres et textes intégraux :


Tirer les ombres, recueil de poésie (expérimentale), Sans crispations éditions, 2023.
“Tentation”, texte de poésie expérimentale, dans Tirer les ombres, Sans crispations éditions, 2023.


Publications de poésie expérimentale, classique, surréaliste dans des revues et blogs littéraires entre 2017-2023 :


En France :
Lichen (poésie et traductions) ;
Les arbres sont des êtres qui rêvent (poésie) ;
Souffle Inédit (poésie et traductions) ;
Vivre en poète (blog de l’auteur) ;

A l’étranger :
Ranina EU (poésie et traductions) ;
Meridian 27 (poésie et nouvelles) ;
Au-delà des couvertures (poésie) ;
Nouvelle Poésie Asociale.

Publication de poésie étrangère traduite en français : Lichen, Souffle inédit, Ranina EU.

Besoin – Extrait du recueil « Les sentiments traînent partout » de Fabien Sanchez

Un sentiment qui trahit davantage que lui :
Ce peu de soi sans conscience devant
ce qui rend lisible la mesure de vivre.

Un jour qui ne manifeste rien d’autre
que cette présence
d’une impossibilité d’être,
sans poids ni éther,
comme un remords sans corps.

A la vie prisonnière
je dis mon besoin d’ailleurs,
et les barreaux restés à l’intérieur
achèvent de rendre occulte
le désir sauvé de croire.

Texte : Fabien Sanchez

LE CHARDON – Un instant dans la vie de Panaït Istrati…

Dans une taverne du vieux port de Braila où tu jonglais avec les chopes de bière, bousculé par des dockers frustrés refluant l’haleine des mauvais jours.

Je le voyais à ton air de moins que rien à tes lunettes rondes qui ne dissimulaient plus grand-chose, pas même cette fureur dans tes grands yeux qui moussaient non de vengeance mais de fraternité.

Dès qu’un étranger passait la porte, son visage basané, ses souliers rapiécés, le manque de l’évasion pointait au bout de ton nez. La fraîcheur de l’horizon se frayait un chemin entre les crachoirs. Les soleils noirs de l’amitié au fond des verres scintillaient.

Ta flamme en bandoulière, il aurait fallu être aveugle pour ne pas la voir, la toucher. Elle réchauffait la Țuică, brulait les lèvres, asséchait les yeux. Même ton patron la bouclait pétrifié derrière son comptoir, une prison de bouteilles qui l’empêchait de voir au-delà de son bar.

Qu’aurait-il pu faire contre cette rage de vivre, cette puissante curiosité qui à elle seule pourrait remplir toutes les caves de la ville ?

Le chardon voilà comment ton mentor te surnommait. Un Grec t’ayant initié aux belles lettres à la géographie des cartes car tu as à peine connu ton père ne pouvant que l’imaginer dans tous ces visages :

mendiants de passage,

vagabonds des rails

Voilà ce que ta mère ne voulait pas que tu deviennes. La pauvre sentait que son fils lui échappait qu’il tissait la nuit des lignes vers l’infini. Blanchisseuse de métier, elle voulait te voir épouser une gentille fille. Te libérer un temps de tes chaînes pour en enfiler de nouvelles.

Toi, simple bon à rien rêveur, tu aurais retourné la terre pour un seul de ses sourires. Alors tu as passé des heures assis face au Danube à prier le fleuve. Tu suppliais même parfois mais toujours ce silence implacable en ricochet. Jusqu’au soir du miracle :

Le vent frappait tes tempes
La pluie te rentrait dans les oreilles
Impassible, tu surnageais à contre-courant

puis le Danube te prit en pitié
et décida même à ta place

Rien ne pouvait plus t’arrêter
pas même celle qui s’était sacrifiée
t’offrant ce rien jusqu’au dernier grain
Elle aussi tu as dû l’enjamber
la route et la misère comme descendance
La tristesse de ta défunte mère fixée à jamais
dans chaque prunelle de femme que tu croiserais

Conspiration du réel, Unicité, 2022

Panaït Istrati

Sur l’auteur :

Grégory Rateau est un écrivain et poète français né en 1984 dans la banlieue parisienne et vivant aujourd’hui en Roumanie où il dirige un média. Il est l’auteur d’un premier roman, Noir de soleil, chez Maurice Nadeau (sélectionné au Prix France-Liban et au Prix Ulysse du premier roman 2020) et d’un premier recueil très plébiscité, Conspiration du réel, chez Unicité. Ses poèmes sont valorisés dans plusieurs anthologies et dans une trentaine de revues en France/Corse, Belgique, Suisse, Roumanie, Portugal, Pérou, Haïti, Espagne et Italie (Arpa, Europe, Esprit, En Attendant Nadeau, Verso, Place de la Sorbonne, Points et Contrepoints, Le Persil, Traversées, Bleu d’encre, Recours au poème…). Son nouveau recueil, Imprécations nocturnes vient de sortir chez Conspiration éditions ainsi qu’un livre illustré de ses poèmes en collaboration avec le peintre Jacques Cauda, Nemo, chez RAZ éditions.

Poèmes sur le thème de la Création par Shahrzad BEHESHTI MIRMIRAN – Traduits par Shahriar BEHESHTI

L’homme est l’origine des éléments

Je voulais regarder d’en haut
La Terre avant la Création
Sa place vide,
Dans l’attente de la fusion
De cette fraction d’Espace
Avec cette fraction de Terre
À ce moment-là, moi et toi
Étions encore au paradis,
Loin du trouble de la séduction et de la duperie,
Libérés de la parole ;
Nos regards ne s’étaient pas encore croisés
La Terre a été créée pour notre exil
La Terre a été créée pour notre punition
La Terre a été créée pour notre éducation
Et nous sommes devenus la parure de la Terre
Sur le versant de la montagne
Sur l’herbe

******

Dans la tradition occidentale, la pomme est le fruit interdit. Dans la tradition orientale, c’est le blé qui est l’interdit. Les trois poèmes suivants, de la poète iranienne Shahrzad Beheshti, font allusion aux deux traditions, et sont accompagnés de photographies de Shamim BAHARZADEH. Ils sont traduits par l’érudit Shahriar Beheshti. On y retrouve l’écriture incroyable d’une poète aujourd’hui disparue, dont la modernité et liberté sidérantes ont bousculé la poésie iranienne, l’une des plus vibrantes et anciennes du monde.

******