Il pêchait les écrevisses avec un tuyau. C’était bien après la première sarbacane mais il en était resté à cette technique. Personne ne pouvait rivaliser avec lui. Il attendait la nuit, le silence et s’enfonçait en quelques clapotis. Et comme sa pêche était raisonnée, il n’en pêchait que quatre à chaque fois, pour nourrir sa famille. Au petit jour, tout pouvait recommencer avec les autres pêcheurs, lui se reposait, écrivait et poursuivait sa lecture du moment. On l’avait surnommé « le pêcheur qui n’aimait pas les flèches ». Un jour, je vous raconterai comment la vie l’a quitté.

Une écrevisse avait trouvé un bon tuyau pour se la couler douce avec un marin d’eau douce justement qui divaguait depuis des lustres et commençait sans jamais les terminer d’ineptes conversations en tire-bouchons dans des trainées de calembours labyrinthiques. « Comment vas-tu yau de poêle ? », répétait-il, par exemple, à tue-tête à l’écrevisse bien au chaud dans son tuyau VPC. Les postillons s’accumulant à travers le bout de cylindre, c’est bientôt une marée de bactéries qui inonda sous forme de gros bouillon la planque du décapode. La bestiole dont les moustaches commençaient à friser plus qu’un peu eut bientôt voulu s’extraire de cette relation pas franchement saine. Cependant, la routine aidant, une forme de symbiose s’installa au sein et autour de ce micro-monde qui allait, suivant le degré d’alcoolémie dans l’haleine, des options à l’étuvé, rôtisserie, chaleur tournante et j’en passe, lorsque notre zinzin se remettait à ouvrir sa bouche dantesque. Au bout d’un moment, drôle de surprise, la grisâtre crevette se transforma en somptueuse créature hollandaise des plages de Palavas, couleur rouge homard cuit à point, l’accent batave en moins. Cette métamorphose ne fit qu’émoustiller davantage l’huluberlu en question qui continua de conter fleurette à son hôtesse des mers et ce, de façon de plus en plus façon cloporte des plages : « Une souris verte qui marchait dans l’herbe… Ça ferait un escargot tout chaud, ha ha ha ! ». Ce rire sardonique fit écho de longues secondes dans le tube en polyéthylène tant et si bien qu’il finit par imploser sous l’effet de la pression (il n’y avait pas de soupape de sécurité sur ce modèle) ! Quand bien même notre écrevisse catapultée tel un homme-canon sortit indemne de ce mémorable accident, elle promit qu’elle ne se laisserait plus jamais manipulée ainsi et qu’un vaste océan d’incertitude valait mieux qu’un confort préfabriqué s’il s’agissait d’être sous le joug d’un impitoyable illuminé. D’ailleurs, elle ne revit plus jamais le vieux mousse d’eau douce qui s’arrêta d’écluser net suite à la disparition du tuyau et de sa locataire, se jurant de ne plus jamais mariner dans les yeux d’une crevette en lui contant fleurette, tant sa perte fut grande : « Adieu, Natantia, toi que j’aimais tant ! ».

Texte 1/Illustration : David Jacob

Texte 2 : Eric Tessier