• À PROPOS – Editions QazaQ
  • À PROPOS – Les Cosaques
  • BIOGRAPHIES AUTEURS Éd. QazaQ
    • André Birukoff
    • Anh Mat
    • Anna Jouy
    • Brigitte Celerier
    • Christine Jeanney
    • Christine Zottele
    • Claude Meunier
    • Dominique Hasselmann
    • Éric Schulthess
    • Françoise Gérard
    • Jan Doets
    • Jean-Baptiste Ferrero
    • Jean-Claude Goiri
    • Lucien Suel
    • Ly-Thanh-Huê
    • Marie-Christine Grimard
    • Martine Cros
    • Murièle Modély
    • Nolwenn Euzen
    • Olivia Lesellier
    • Serge Marcel Roche
    • Stuart Dodds
    • Zakane
  • CATALOGUE LIVRES Éd. QazaQ
    • Anh Mat – Cartes postales de la chine ancienne
    • Anh Mat et l’apatride – 67 Cartes postales de la chine ancienne (tome 2)
    • Anna Jouy – Je et autres intimités
    • Anna Jouy – Pavane pour une infante défunte
    • Anna Jouy – Strasbourg Verticale
    • Anna Jouy – Là où la vie patiente
    • Brigitte Celerier – Ce serait…
    • Christine Jeanney – Hopper ou « la seconde échappée »
    • Christine Jeanney – Ligne 1044
    • Christine Jeanney – L’avis de Pavlov
    • Christine Jeanney – Piquetures
    • Christine Zottele – Rentrez sans moi
    • Christine Zottele – Vous vivez dans quel monde?
    • Dominique Hasselmann – Filatures en soi
    • Éric Schulthess – Haïkus (ou presque) tombés des cieux
    • Francoise Gérard – Avec L’espoir que tu me lises un jour
    • Jan Doets ¬– Moussia, une âme russe dans la tourmente du XXème siècle
    • Jan Doets – beloumbeloum
    • Jan Doets – « C’était l’adieu à la Russie, l’adieu à tout »
    • Jan Doets – “It was a farewell to russia, a goodbye to everything”
    • Jan Doets and André Birukoff – “It was a farewell to russia, a goodbye to everything”
    • Jan Doets et André Birukoff – « C’était l’adieu à la Russie, l’adieu à tout »
    • Jean-Baptiste Ferrero – Huit histoires de fantômes
    • Jean-Claude Goiri – Ce qui berce ce qui bruisse
    • Lucien Suel – Express
    • Lucien Suel – Sombre Ducasse
    • Ly-Thanh-Huê – Histoires du delta
    • Ly-Thanh-Huê – L’antimonde
    • Ly-Thanh-Huê – L’objeu
    • Ly-Thanh-Huê – Transformations Chimères
    • Marie-Christine Grimard – D’ici et d’ailleurs
    • Martine Cros – Autoportrait à l’aimée
    • Murièle Modély – Sur la table
    • Nolwenn Euzen – Cours ton calibre
    • Olivia Lesellier – Rien, te dis-je …
    • promenoèmes – Claude Meunier
    • Serge Marcel Roche – Conversation
    • Serge Marcel Roche – Journal De La Brousse Endormie
    • Stuart Dodds – Towards a buried heart
    • Zakane – l’heure heureuse
  • Formats de lecture

Les Cosaques des Frontières

~ refuge pour les dépaysés

Les Cosaques des Frontières

Archives de Tag: longreads Anna Jouy

Un homme à la mer [2003, longread, 5125 mots, temps de lecture 20 minutes ]

21 mardi Juin 2016

Posted by lecuratordecontes in Anna Jouy

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

longreads Anna Jouy

homme à la mer

 » Ne vous baignez pas ! » disait le drapeau rouge.

 » Ne sortez pas! » devait-on plus probablement comprendre.

Il était seul sur la plage.

La mer avait un accès de fièvre. Son lit de sable était désert. Pour éviter la contagion sans doute, au cas où il serait venu à l’idée de quelqu’un de convoiter ce rhume! Pourtant, y avait-il quelque chose de plus désarmant que ces masses d’eau qui toussent sur les rochers! Et puis ici, les rochers, il fallait les chercher, entassés à la grue certainement, pour conserver le calme du port, comme une écharpe dont on ne savait plus à qui elle était le plus utile. A la mer peut-être qui trouvait là quelque chose sur quoi montrer un peu de caractère.

Bien droit et arrogant dans la proximité qu’il entretenait avec l’eau depuis l’épopée touristique, le boulevard Aristide Briand, et comme un ourlet définitif, une piste cyclable à la frise du sable.

Sans doute fallait-il respecter ces conventions qui voulaient qu’on laissât l’océan seul quand il piquait sa crise, puisque personne ne se promenait, ni à pied, ni à vélo, le long du muret. Sans doute, fallait-il que l’on soit d’ailleurs pour se tenir là à fixer dans les yeux la bête et son coryza!

Sans doute.

Cette impression de franchir un interdit lui plaisait et le gênait malgré lui. Il aurait voulu comprendre, pour se plier à ce qui devait être une loi tacite, sans formulation précise. Etait-ce bêtement parce que les gens de la mer n’aiment pas le mauvais temps, comme ceux des villes, ceux des montagnes. Comme partout…Ou était-ce autre chose qu’il avait tort de braver?

Comprendre les gens d’ici. Mais par quels moyens? Même en tentant des transpositions, il savait qu’il n’y arriverait pas. Assis sur un banc de granit, il repensait à sa montagne, à ses collines, là-bas, bien loin. Des senteurs de foins coupés, de conifères revenaient à ses narines.

D’abord, était-ce une odeur la mer?

Il en convenait, c’était bien ce qui l’avait frappé dès la première fois. Un mélange salé d’odeurs de sables et d’algues. Presque de la pourriture. L’air vivifiant de la mer! Sur le moment il avait simplement pensé:  » Ca pue ici! Qu’est-ce que c’est? »

Mais comme c’était partout pareil, il avait cessé de chercher. Finalement, il s’était laissé charmer. De l’iode, aurait dit sa mère, c’est sain, c’est bon pour toi…Après tout, c’était bien pour cela qu’il était là, pour sa santé! On finit toujours par aimer ce qui vous fait du bien. On ne voit pas comment faire autrement…

Et puis, il y avait cette impossible égalité, équation entre l’homme et la mer. C’est vrai que la montagne est dangereuse, qu’il faut l’aborder avec humilité, mais on peut marcher dessus! Il y a du répondant, de la résistance palpable, un corps à corps perceptible des pieds à la tête. Elle rend les coups. Solide. Immuable. Enfin … le temps d’une vie d’homme tout au moins.

La mer, elle, la mer était mouvante. Et pour lui, l’idée des lises, de l’osmose du sable et de l’eau était la seule définition pouvant traduire l’impression de piège et de danger que lui donnait cette étendue. Beauté et inconnu troublant.

 » C’est perfide… Tiens, un peu comme Edith, lisse et enjôleuse, mais fuyante et si vénéneuse! »

Cette fois, il lui semblait avoir atteint la comparaison ultime. Cette femme était à son avis un vrai serpent et lui, il trouvait la mer reptilienne.

 » Ave Edith! » dit-il en levant la main à la romaine.

Tout son corps était collant. Au delà de sa place réservée, la mer poussait ses prétentions vers une zone frontière vaporeuse, dont il était difficile de dire qui de l’air ou de l’eau en était le légitime propriétaire. Il lui sembla évident tout à coup qu’il y avait dans cette poisseuse humidité une explication des plus raisonnables à sa solitude de promeneur!

 » Pas si bêtes! Evidemment! Rien de plus ridicule qu’un néophyte. Il y a des rites à apprendre et à respecter..! »

Il s’éloigna du front de mer, en se retournant de temps à autre.

 » Edith! »

Ça le faisait sourire. Il remonta son col en enfonçant ses épaules plus profondément dans son cou. En accélérant un peu, il arriverait rapidement au rond-point enjolivé de pavés qui le ferait bifurquer vers l’Avenue de la Mer, fer de lance qui perçait le coeur de la ville et dont la pointe était le casino échoué sur la plage.

Il devait se rendre au bar « des chaises vertes ». On lui en avait parlé et tout naturellement ce repère laissé par des amis prenait pour lui une importance exagérée. Il y avait donc quelque part un bar aux chaises vertes et il ne voyait pas comment mieux apprivoiser son nouveau lieu de séjour qu’en se rendant là-bas, endroit sélectionné et fréquenté par des copains si bien intentionnés! Il pourrait s’y comporter presque comme un autochtone, comme un habitué. Il savait qu’on y servait un remarquable muscadet en verre et qu’il pourrait aussi à l’occasion se faire apporter un calvados hors d’âge exceptionnel.

L’Avenue, plus honnêtement la rue de la Mer était totalement déserte. Aucune terrasse ouverte, pas une seule chaise, pas de tables ni de parasols. Rien qu’un vent méchant qui le poussait dans le dos. L’hiver.

 » Qu’importe après tout! Ces absurdes chaises n’existent pas et c’est tant mieux… »

Il avait changé d’avis. Ce n’était pas la première fois depuis son arrivée, ce qui ne faisait pas du tout partie de ses manières. Mais il était venu changer d’air. Celui-ci aussi, celui de la routine, de l’obsession des habitudes.

Il opta pour le chemin de retour.

La maison était investie. Autour d’elle la végétation s’accrochait et l’enfermait dans des grappins d’herbes et de ronces. Bien sûr, ce n’était pas la forêt vierge. Ici la nappe phréatique était en perdition et c’était bien le bout du monde si une tige sauvage prospérait de plus de cinquante centimètres durant l’année. Mais comme la baraque avait cet air suranné, ce quelque chose de misérable en elle-même, l’effet d’envahissement que produisait la végétation, s’il était très surfait, n’en était pas moins diablement efficace.

Depuis qu’il y avait déposé sa valise et s’y était installé pour quelque temps, elle n’avait guère réussi à lui donner l’impression qu’elle allait l’accepter. Elle ne faisait aucun effort pour lui! Elle résistait farouchement à l’envahisseur. L’hiver, elle était close. C’était clair. Personne n’y venait, ni pour l’aérer, ni pour la chauffer de temps en temps afin d’empêcher les moisissures de s’y développer.

Cette maison était comme une vieille fille, une gouvernante de curé, et il était bien difficile de lui ouvrir quoi que ce soit… A n’en pas douter, il devrait multiplier les entreprises de séduction pour qu’elle lui offre un peu de chaleur.

Ce n’était pas vraiment de sa compétence, habitué qu’il était des intérieurs calfeutrés, des cheminées flamboyantes, des plafonds bas, de tout ce qui fait de l’hiver la saison la plus rougeoyante de l’année.

Ici l’eau glissait le long des murs, comme un ectoplasme, omniprésente, maîtresse absolue et tyrannique. Et puis cette hauteur faramineuse des pièces! Pourquoi? Si toute cette étendue de plâtres et de tapisseries ne devait servir qu’à des dégoulinades brouillardeuses sur tout son long!

Trois fois, il aurait pu se tenir debout avant d’atteindre le plafond du salon et il n’aimait décidément pas se sentir petit. Chaque fois qu’il arrivait sur le seuil du séjour, il ne pouvait s’empêcher de lever la tête et puis de battre en retraite. Il se contentait donc de rester dans la cuisinette carrée et qui, elle, se trouvait dotée de trois portes. Une véritable antichambre, dans toute l’agressivité du terme. S’y asseoir quelque part était des plus incommodes parce que, où que l’on s’y mît, on devait envisager la sortie!

Deux chambres encore. Désagréables elles aussi…Elles lui donnaient le sentiment que toute la maison se tenait son dos et quoi qu’il puisse penser pour se raisonner, il n’aimait rien de ce qui venait par derrière. Dans son dos, sa peur.

Seuls leurs planchers bruts trouvaient grâce à ses yeux. Ils étaient foncés, cirés et recirés par deux ou trois générations de ménagères appliquées.

« Grâce soit rendue à la vieille école! Enfin quelque chose qui me parle un peu! « 

De la main, il avait tâté son frottis rustique. C’était comme il aimait, lisse et subtilement gras de cet encaustique qui pénètre les fibres et qui rougit le bois. Et puis, raffinement suprême, cela craquait! Il faisait parfois quelques allées et venues, de l’une à l’autre, juste pour entendre cette plainte. S’imaginant torturer la mégère, un petit peu, l’agacer au moins. Satisfaction bien mince de celui qui savait qu’il finirait par se lasser le premier et qu’il n’y avait donc pas de quoi en faire une véritable activité.

Et puis, en guise de couronne, le silence.

Ce silence n’avait pas la conversation qu’il aimait. C’était un autre silence, un silence de langue étrangère, d’idiomes inconnus. Un silence d’arbre à feuilles, un silence d’herbes sèches, un silence de marée. Cette respiration incessante, cette haleine l’énervait.

Que devait-il faire si même cela lui paraissait inacceptable? Il était venu là pour se reposer, se recharger, oublier ses indispensables priorités et tout ce qu’il découvrait, trouvait aussitôt son mécontentement et son ennui. Pourquoi et comment ne pas aimer ce silence tout neuf, cette manière si différente qu’avait la nature de se raconter? Il ne se reconnaissait pas dans l’antipathie qu’il entretenait avec tout et rien. Il aurait fait n’importe quoi, il y a peu, pour changer de vie, changer de corps, changer tout si cela avait été possible. Et maintenant il ne savait rien faire, que comparer et regretter l’avant.

Il était impossible.

Un homme à la mer.

La pluie avait passé et poursuivi sa trajectoire de montgolfière vers l’intérieur du pays. Il faisait un petit temps de soleil et de bise. C’était jour de foire. Il avait pris quelques décisions en venant ici, et d’aller chaque jour faire son marché était de celles qui lui étaient faciles de tenir.

Entre la dénomination de foire et l’habituel étalage de nourritures, il n’y avait que des stands de vaisselle et d’habits soldés de différence. La Place était grande et l’on améliorait l’espace disponible en supprimant les possibilités de parcage sur tous ses côtés. Il se dit qu’il allait utiliser le vélo qu’il avait vu dans une protection de plastique contre une porte du salon.

 » Un vélo de dame! Naturellement!  » dit-il bien fort à l’adresse de la baraque afin qu’elle ressente son mépris hautain. « T’es une vraie mémère… décidément…Regarde-moi ça, tout ici est gris et laid, vieux, épouvantable, confit de bonnes manières! Il n’y a pas un centimètre carré de toi qui n’est pas flétri et mou. Tu es à vomir! J’en ai marre de ta sale gueule! »

Il claqua la porte, enragé.

Les cyclistes étaient nombreux, partout, de tous âges, de toutes corpulences … et le vélo de dame majoritairement utilisé. Il devait admettre que celui-ci gagnait en facilité d’usage sur son rival masculin et que rien n’était plus simple que d’en descendre ou monter lorsque l’on s’encombrait de multiples sachets, comme tout le monde sur ce marché.

Il était finalement bien heureux d’être dans la norme, se voyant en train de faire quelques acrobatiques rétablissements devant les étals des poissonniers et autres mercantis.

On ne le remarquait pas, ou si peu, et c’était ce qu’il voulait. Sauf peut-être, lorsque qu’il devait s’enquérir du nom d’un poisson et que de plus, il le faisait avec cet accent suisse si repérable et qui allumait un inévitable sourire sur le visage du commerçant. Vacances? Thermes? Hôtel comment? etc… Il essayait de ne pas répondre mais il fallait bien dire quelque chose. Il bredouillait de vagues explications qui laissaient sur le visage du curieux des points d’interrogations en suspens.

C’est au détour de son billet de commissions qu’il le croisa pour la première fois.

Au bout de l’allée des maraîchers, il entendait une musique. Musique, une très pompeuse appellation pour un filet d’accordéon sortant d’un mégaphone. Des baragouinages de camelot l’accompagnaient… Des sortes d’imprécations anti-mauvaise humeur, anti-déprime de consommateur; bref quelque chose qui devait pousser le client à sortir son porte-monnaie et à lui révéler l’ampleur de la chance qu’il avait d’être sur ce marché et d’y trouver tant de merveilles!

Il avançait donc ainsi tiré par l’oreille vers la source de cette publicité, s’attendant à trouver au bout de son parcours une installation promotionnelle, avec panneaux et dépliants gratuits à l’usage du touriste.

Mais c’était l’hiver, il l’avait oublié.

Contrairement à toute attente, il découvrit alors sur sa chaise roulante électrique, un homme handicapé, décoré des grelots et colifichets du parfait supporter sportif, et qui tenait dans sa main le micro qui faisait office de appeau. C’était si insolite! Plus qu’il ne l’aurait voulu. Il ne pouvait détacher son intérêt de cet homme ventripotent et qui semblait partout chez lui entre les étalages. Bien plus intrigant encore, c’est qu’ à l’opposé de l’image d’Epinal qu’il se faisait de ce genre de type, celui-ci n’avait pas le moindre sourire sur les lèvres et aucune espèce de jovialité.

Quoi qu’on en dise, on ne pouvait concevoir un promoteur touristique ayant si peu d’aménité sur le visage! Il semblait qu’il ne prenait pas sa tâche à coeur, qu’il n’était pas cette vedette locale qu’il aurait dû être, qu’il aurait pu être. Non. Il était sérieux, ordinairement éteint, avec le même regard qu’on voyait sur l’ouvrier de l’usine  » Machin », le même sentiment diffus d’ennui sur la face qu’on lisait sur celui qui attend patiemment que le jour se tasse et qu’arrive le week-end. Et pourtant cette morosité à peine teintée d’agacement, c’était exactement cela qui le rendait si puissamment attractif.

 » Aujourd’hui, aujourd’hui, mesdames, messieurs, action de laitues chez Delamare… N’oubliez pas votre achat de livarot bien mûr! Il vous attend à la laiterie ambulante Chez Coué, le meilleur fromager du coin… Le temps est clair et il va faire treize degrés… »

Nouveaux couinements de musique.

Il n’osait pas franchement l’observer, mais il s’était mis à le suivre de loin dans son slalom maraîcher. Tenter de comprendre à nouveau, même si cela n’avait pas d’importance. Le promoteur venait de disparaître dans une nouvelle allée. Lui feignit de s’intéresser à une poignée d’échalotes; il aurait tôt fait de le rattraper. Pas de quoi s’inquiéter. D’ailleurs il l’entendait très bien d’où il était. Il reprit sa filature.

 » Voilà une thune « 

Le bonhomme était là, au revers de l’allée! Il l’avait repéré et il lui tendait une pièce.

 » Prenez-là! « 

 » Mais voyons, je… »

– » Je… Je quoi? Ca fait un moment que vous me suivez à la trace! Que vous m’observer du coin de l’oeil! Alors tenez! »

– » Je vous prie de m’ en excuser… Je n’avais pas l’intention de vous blesser… »

– » Blesser? Mais qui vous parle de blesser? Non! Non! Attendez, vous ne comprenez pas vraiment. Vous pensez que je vous donne cet argent pour vous faire honte de me regarder? C’est justement le contraire! Je veux vous payer parce ce que vous m’avez vu! »

–  » Mais… Je ne comprends pas? »

– » C’est pourtant simple, je vous paie parce que vous m’avez regardé. Voyez, tous ces commerçants, ils s’installent ici pour vendre leurs produits, n’est-ce pas? Mais soyons sérieux pour une fois… Ce qu’ils aimeraient par dessus tout, c’est qu’on les remarque, eux… Pourtant ils se cachent derrière leurs salades, leurs poulets, leur poisson… Moi quand je passe devant eux, je mets un nom sur tous ces gens… C’est Monsieur Truc qui se tient là, c’est Madame Chose qui attend un client… Je le leur dis des fois: vous devriez payer quelque chose quand quelqu’un vous achète un de vos foutus produits! Parce que c’est vous qu’ils ont choisi! C’est pas rien d’être choisi …ça mérite une reconnaissance!… »

L’argument était bizarre, mais il avait quelque chose de  » philosophie appliquée » qui le fit sourire.

– » Ah! Vous avez souri! Rendez-moi ma pièce… C’est cinq francs bien comptés, un sourire… »

Il avait dit tout ça en gardant le même air sérieux qu’il avait auparavant. Comme s’il n’avait jamais interrompu son boulot… Il reprenait sa route.

– » Hé! Attendez! Ne partez pas tout de suite! Expliquez-moi… »

L’autre se retourna, plantant bien ses yeux fatigués dans ses yeux à lui.

– » Tout coûte quelque chose… Ou alors il faudrait que rien ne coûte, n’est-ce pas? L’ennui, c’est que les choses qui ont le plus de valeur, en fait on se croit dispensé de les payer… »

Il jeta la pièce en l’air dans sa direction et repartit

– » C’est pas pour la question, mais pour l’intérêt que vous portez à ma propre réponse!

…Monsieur Merlin vous offre aujourd’hui une série extraordinaire de chaussettes… Vous avez sûrement besoin de chaussettes, mesdames, alors pensez à monsieur Merlin… Le bonjour chez vous! »

La pièce de cent sous était de retour dans sa main, et il se tenait là, un peu estomaqué de la rapidité de l’échange. Il redoutait maintenant de le suivre de peur qu’ils continuent de se renvoyer ainsi la monnaie! Il le regarda s’éloigner dans ses chuintements de grelots et de moteur, encore sur le coup de cette stupéfiante conversation.

– » Vous venez de faire connaissance avec Unethune, je vois… »

Le commentaire le fit se retourner. Une vieille marchande de bouquets aromatiques le regardait. Un air jovial sur la face. Visiblement, elle semblait très amusée de l’effet que le philosophe à roulettes venait de faire sur lui!

– » Ne vous inquiétez pas … Il est plus fou que méchant … C’est quelqu’un de spécial, vous savez… Il ne peut s’empêcher de faire la morale à tout le monde! »

– » La morale? »

– » Si vous préférez, la leçon quoi… C’est un fainéant, il ne fait jamais rien d’autre que ça… Ah! Pour être malin, il est malin! Jamais vu une manière plus subtile de faire la manche et de mendier son pain… »

Il fronça les sourcils, dubitatif.

– » Ben oui! Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, il passe partout sur le marché et il fait ce qu’il appelle de la publicité personnalisée… Du genre, quoi! Depuis le temps qu’on vient vendre ici, vous pensez bien que tout le monde nous connaît… Il dit que ça vaut bien un petit sou… Y en a qui lui donne! Alors, c’est un peu fort de café, pas vrai?

Vous désirez quelque chose, un bouquet garni pour votre poisson? « 

Il regarda son cabas. La queue du maquereau qu’il venait d’acheter pointait insolemment dans la direction de la vieille.

– » Ben … Oui, peut-être… »

– » Madame Maudouit, la spécialiste de l’herbe aromatique cent pour cent naturelle… Le bonjour Madame! »

Unethune passait juste derrière lui, qui poursuivait à nouveau sa tournée.

La marchande lui tendait sa commande déjà enveloppée de papier journal.

– » Merci Madame Maudouit! » se surprit-il à répondre avec un rien d’insolence. La commère lui sourit d’une manière un peu forcée, lui sembla-t-il. Prestement, il accéléra à la suite de la chaise. Dans sa main, il y avait toujours la pièce de cinq francs. Il la serra et quand il eut rattrapé le chineur version Segala, il la lui relança.

– » C’est de la part de Madame Maudouit! » lui cria-t-il, et il s’en détourna aussitôt pour ne plus avoir à faire à lui.

Cela n’avait été qu’un écart dans la journée. Comme une petite brèche, à peine entrouverte et déjà refermée. Pourtant, comme il n’avait pas grand chose à penser et si peu pour nourrir son imaginaire depuis qu’il était arrivé, cet incident se mit à tournicoter inlassablement dans sa tête. Il se surprenait à y resonger sans cesse, tout en se demandant comment se nommait tel promeneur, que faisait son voisin, et si cette femme entrevue à la boulangerie vivait de ses rentes ou si du moins elle travaillait d’arrache-pied à la confection de smyrnes hauts en couleurs… Toutes questions qui rendaient les êtres incroyablement intéressants finalement.

Qui pouvait savoir exactement ce qu’ils cachaient tous, si ce diable d’hémiplégique avait, lui, de semblables ressources intérieures!

C’était bien de cela qu’il s’agissait après tout … de ressources, de savoirs cachés…

C’est ainsi qu’il passa les jours suivants à l’observation de tous les touristes et indigènes passant à sa portée, leur prêtant de multiples vies secrètes et toutes plus excitantes les unes que les autres.

En revanche, il évitait soigneusement de croiser Unethune à ses heures de marché. Pour cela, il tâchait de se tenir toujours à une respectable distance de lui, distance qu’il pouvait allonger à son aise si le besoin s’en faisait sentir. Il y avait maintenant une sorte de gêne qu’il n’aurait pas voulu que l’autre puisse deviner.

Il était devenu voyeur. Il s’en rendait compte sans pour autant l’admettre. Et qui y a-t-il de plus indécent à reluquer qu’un handicapé faisant la manche à coups d’oraisons!?

– » Seriez-vous peintre? « 

Comment avait-il pu le surprendre? Il était là, le coinçant de sa machine, contre les cageots d’un vendeur de patates.

– » Pourquoi? Pourquoi me demandez-vous ça?  » bredouilla-t-il, franchement agacé d’avoir été pris sur le fait.

–  » Vous devriez… Je vois bien que votre oeil pense… »

– » …Que mon oeil pense! « 

– » Ne me dites pas que vous ne comprenez pas. Celui qui pense par ce qu’il voit est un peintre.

– » Est-ce si simple? Vous voyez comme moi, alors… Je vous retourne la question! »

– » Ce que je vois ne me fait pas penser comme vous! C’est quoi votre nom? »

Il avait posé la question sans changer de ton. Toujours cette manière indifférente de dire toutes choses.

…..

– » Vous hésitez? J’en déduis, peut-être hâtivement, que vous ne savez plus vraiment qui vous êtes. Vous serez Pierre … Ca vous va? « 

–  » Mais… »

–  » Pierre, allons boire quelque chose ensemble. J’ai grande soif, Tudieu! « 

Pierre et Unethune traversèrent sans un mot les allées jardinières, poissonnières et charcutières. De l’autre côté de la Place, un bistroquet servant de lieu de paris divers et de débit de cigarettes. Ils y allèrent, comme de vieilles connaissances, que rien n’avait jamais séparées.

– » Que cherchons-nous?  » demandait Pierre.

– » Que trouvons-nous?  » répondait-il

– » Qu’avons-nous trouvé? demandait Pierre

– » Qu’avons-nous cherché? répondait-il

– » Pourquoi n’avons-nous rien à dire? demandait Pierre

– » Pourquoi préférons-nous nous taire? répondait-il

A chaque fois le bonhomme retournait les questions comme des crêpes et dans l’ombre, les côtés piles, ils trouvaient parfois des réponses plus intéressantes, plus dynamiques. Parfois rien n’arrivait, qu’un immense silence qui les emprisonnait tous les deux.

– » C’est pour le silence. » répondait-il alors.

– » Je n’aime pas le silence. « 

– » Je sais… C’est qu’il est trop parlant. C’est que tu te trouverais bien obligé de t’entendre! « 

–  » Je commence à comprendre ta manière. Tu évoques toujours le contraire de ce que l’on dit! Crois-tu que je ne puisse rien dire de raisonné et qu’il y a un autre sens à tout ce que je dis?! »

– » Non, mais dans la question même que l’on se pose il y a souvent, en miroir, la réponse que l’on attend. Les questions sont les chaises roulantes de la pensée, elles vous entraînent, vous animent, tu comprends? »

Il comprenait tout et rien à la fois. Il comprenait qu’il pouvait toujours essayer de le suivre, mais que l’invalide avançait à toute vitesse dans le dédale des phrases qui sortaient de lui, comme d’un magicien exhibant des lapins à tour de bras. A chaque fois, l’autre vivisectionnait ses paroles et d’un coup d’estoc final, il achevait de l’ écorcher.

La discussion se poursuivit jusqu’au coucher du soleil. Alors Unethune rompit les amarres et le quitta aussi naturellement que s’ils ne s’étaient rien dit, rien dévoilé. Solitaire.

L’expérience se renouvela A plusieurs reprises encore, ils tinrent leur sorte de cabinet de philosophie entre zénith et couchant. Il apprenait là avec avidité une nouvelle tournure d’esprit, une manière neuve d’aborder chaque question, d’y trouver une réponse inattendue. Tout et rien y étaient hachés menu, de la même façon et ainsi jusqu’ à leur dernière croisée de fers.

Ce soir-là, Pierre rentra chez lui.

Il n’avait plus ce regard singulier sur la maison. Il avait pensé chez lui; il avait dit chez moi. Pourquoi en vérité n’aimait-il pas cet endroit? Mais non… La question était plutôt de savoir pourquoi donc aimait-il tant ses propres affaires, ses petites choses bien à lui et dont il ne savait même plus s’il les avait choisies ou si d’autres s’étaient chargés de les lui faire adopter? Il n’en savait fichtre rien et se demandait s’il y avait réfléchi ne serait-ce qu’une seule fois. Il aurait voulu pouvoir se dire qu’il avait fait des choix, des sélections, que toutes ses possessions étaient venues de sa décision.

Il n’en était rien. Il aimait précieusement des riens du tout qui n’avaient ni sens ni raison d’être. Il aimait des jalons posés dans sa vie, mais qui ne parlaient jamais de lui et auxquels il ne pouvait rattaché aucun de ses sentiments. Sauf peut-être, une potiche baroque, en verre rose qui lui rappelait le visage de sa mère y déposant un bouquet de glaïeuls orangés.

Il s’installa au salon, posa ses pieds sur la table basse, étendit ses bras largement sur le dos du canapé et se prit à écouter le vent.

Une tempête froide s’annonçait.

Les pins et les broussailles, la rampe d’escaliers boursouflée de sable, les cordages oubliés des lessives d’été, le cabanon de douche infesté d’araignées. Les yeux fermés il repassait partout, se demandant si d’un coup d’oeil, il ne pouvait dénicher un carré de bonheur rien qu’à lui. Si d’aventure, il n’y avait pas dans ces lieux, le début de quelque chose. Son oeil de peintre cadrait et recadrait mais il ne sentait pas la plus mince corde se tendre entre cet endroit et lui-même.

Le vent soufflait de plus en plus fort.

Il écoutait contraint et patiemment, à la recherche de ces voix subliminales porteuses paraît-il de vérité cosmique. Mais rien, qu’un avis de rafale répercuté par les arbres et les sirènes de police qui naviguaient le long du boulevard Briand. Petit à petit en lui aussi quelque chose se disloquait et craquait tous azimuts comme des joints se désolidarisant.

Soudain, il se leva.

Plus le moment de chercher, plus le moment de penser, de réfléchir à quoi que ce soit. Faire tout de suite quelque chose. Le poing dans sa poche prêt à percer la couture. Il était tendu comme un arc, enjamba plusieurs fois la longueur de la pièce. Il fallait qu’il se passe quelque chose.

Le vent dans sa tête gonflait la voile, tirait sur ses tempes des boulets de guerre. Ca cognait, il lui fallait cogner, lui aussi. Une tornade se vissait dans tout son corps. Il la sentait l’étirer en tous sens. Alors d’une main, il dévala sur tout ce qui se trouvait à sa portée. Livres, chaises, tableaux en gobelins, photographies de bateaux… Puis des pieds, il se mit à balayer d’une rage bridée et fébrile, les meubles de rotin et autres guéridons ridicules… Tout sur son passage, tout y passait. Une immense raclée. Tout, il descendit tout ce qu’il pouvait, chavira tout le mobilier jusqu’à ce qu’ il fut entièrement à terre, amoncelé et brisé.

Mais il n’était pas au terme de sa colère. Plus forte encore, cette volonté destructrice. Le vent tapait de plus belle. Méthodiquement, il prit un grand balai et se prit à vouloir sortir ce fracas sur le devant de la porte. Il ouvrit la baie vitrée. Le souffle s’engouffra dans la chambre dépressurisée. Tout le vent semblait s’être donné rendez-vous au fin fond de cette pièce. On aurait pu le voir tant il avait soudain de l’épaisseur. Et lui, comme un matelot à son naufrage, il se mit à écoper les gravats.

Jusqu’à l’aube, jusqu’au moment où les températures du jour et de la nuit se passent le flambeau et que les météorologies hésitent entre de nouvelles frasques ou le repos.

Sur la terrasse, canapé, chaises, tables et bibelots divers faisaient une dunette insolite et lui y campait un drôle de capitaine, harassé d’écumes. Debout sur le tas, il tentait d’apercevoir la mer, à quelques encablures. Tout à fait indifférent à l’étrangeté du tableau qu’il composait lui et ses ordures et qu’il offrait incidemment au regard des passants.

Là-bas, au bout de la piste cyclable, une mécanique chuintante avançait vers lui. Il la voyait, l’entendait. Il arrivait donc, il venait vers lui!

Il redressa encore une fois la tête, voulut aller à sa rencontre, puis se retint. Il attendrait fièrement, car il avait l’orgueil de ce qu’il venait d’accomplir.

Unethune ne sembla pas faire attention à l’incroyable dévastation qui se trouvait devant la maison.

– » Sais-tu pourquoi les gens viennent à la mer? »

– » Je n’en sais rien… Pour toutes sortes de raisons, non? »

– » Pour faire des châteaux de sable! »

Il ne savait que répondre.

– » Oui, peut-être ne l’as-tu pas remarqué, mais personne ne résiste au désir de creuser le sol de la plage, d’y aménager de superbes palais, comme des gosses… Tu as cédé à la même envie, je vois… Ils finissent toujours en collines érodées, en tas insignifiants. On ne peut rien contre la mer… »

Unethune jeta alors un coup d’oeil à peine méprisant sur son château, à lui. Il hocha la tête et grimaça légèrement en soupesant mentalement la valeur marchande de cette immondice.

– » Pas grand’ chose … non vraiment, pas grand-chose! « 

Il fouilla d’une main dans sa poche et en sortit une pièce de cent sous. Il la lui jeta. D’un geste de la main, il fit signe alors à une camionnette stationnée en contrebas. Sur le côté, c’était écrit  » Greniers et caves  » en vert fluorescent.

–  » C’est bon… Vous pouvez embarquer tout ça. » hurla-t-il tout de go à ses occupants.

Il regarda alors Pierre. Une toute petite étincelle sembla pour la première fois s’allumer dans son regard.

– » Tu ne peux pas dire que je ne t’ai pas mis en garde. J’ai été honnête avec toi… J’ai pris du temps pour t’expliquer, pour t’apprendre à te méfier de la façade des choses. Je t’ai paru bon, brave et Dieu sait quoi d’autres… Paru, seulement paru! Et ne me dis pas le contraire! Tu es un bon élève, le meilleur que j’ai eu depuis longtemps, celui qui m’a rapporté le plus aussi…Je suis certain que tu n’as plus besoin de maître désormais! »

Il pivota avec son engin et partit.

Cette après-midi-là, Pierre retourna une dernière fois sur la plage. Il y monta un gigantesque château. Les enfants le piétinèrent et la mer l’acheva à marée montante. Table rase.

Texte : Anna Jouy, 2003

Partager :

  • Twitter
  • Tumblr
  • Imprimer
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

Soirée télé [2003, longread, 3700 mots, temps de lecture 15 minutes]

14 mardi Juin 2016

Posted by lecuratordecontes in Anna Jouy

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

longreads Anna Jouy

soirée téléMrs. Akelpot (cliquer sur image pour l’agrandir)

La nuit se couche, maintenant. C’est toujours le noir mais il a des variations, au fur et à mesure du temps qui passe.Maintenant c’est la teinte du coucher.

Il sent les vibrations, les tressaillements de celle qui s’étend. Cette fatigue lente et lascive, qui tombe autour de lui. Il sait qu’elle vient aussi pour lui, même si ce n’est pas la même chose que pour les autres. Ce n’est pas pareil et pourtant il le vit semblablement. Le soleil, il sait sa chaleur, sa force ou sa faiblesse. Tout ce qu’il pense de la pluie, des brumes ne peut pas s’expliquer. Ce n’est pas important. Ce n’est important pour personne, pour personne qui voit et ne connaît pas sa nuit.

Chaque instant à sa sensation, son goût. Pour eux, c’est le fait de la lumière. Pour lui, c’est celui de la nuit, de ce noir parfois couvé, parfois léger. De ce noir planète, cosmique.

Sur la table basse, il y a les restes de son repas. Quelques miettes d’odeurs qui planent autour de lui. D’un geste sûr, il se met à ranger, à les enfermer dans des boîtes de plastique aux couvercles étanches. Celle-ci pour le pain, celle-là pour les fromages, et cette autre pour les acides et les piquants des cornichons.

Il va vers la fenêtre et veut aérer. Plus que tout au monde, il adore que ce soit en ordre et que chaque chose soit à sa place. Et l’air, c’est son indice de netteté.

Le vent gris s’amène. Il est apaisé ce soir. Il ne ressemble plus à ce cheval sauvage d’hier, qui a henni longtemps derrière la vitre et qui s’est cabré devant lui. Non, le vent étalon est tranquille, peut-être d’avoir fait tous les vallons à la course, d’avoir rué en horde dans cet état de colère noire qu’il a des fois, quand il a tenu trop longtemps l’enclos. Comme lui. Il tend la main vers ses naseaux.

 » Tout doux, mon beau…Tes yeux sont brillants, plein d’humidité! Mais non, voyons… Je ne t’en veux pas… Donne-moi ta caresse… Allons, donne… »

Le vent est beau. Il resterait des heures à le toucher, à sentir son souffle. C’est un grand cheval, son animal à lui, un animal de vitesse et de puissance qui surgit du fond des ténèbres. Celui-là est partout chez lui, il règne, il possède chaque recoin.

Devant ses yeux l’infinité des nuances de noirs.

Chacun des arbres, chacune des herbes, tout est traversé par cette bête qui lui apporte des nouvelles de la terre à voir. Il devine les espaces, les distances, comment le terrain est brisé par endroits, combien de forêts, combien de champs rasés de près; il devine tout cela si le vent y a couru.

Ce soir, à sa fenêtre, il apprend que les foins se sont couchés sous la pluie et que leurs odeurs se sont mises à monter en molles plaintes vers le ciel. Il comprend que l’arbre à l’angle que fait la route est tombé et que ses feuilles au son métallique ne feront plus leur bruit de mobile argenté. Il entend et il sent qu’il n’y a plus de char à l’entrée du chemin. Qu’un petit veau est né, que les renards sont revenus, que la vieille Gasparine mangera des carottes et peut-être un peu de lard…

Le vent est à ses mains et dans son braille sensuel, il lit les nouvelles du jour.

Et lorsqu’il n’y a pas de souffle, il dit simplement qu’il n’a pas eu de visite.

C’est à ce moment du coucher, du soupir, qu’il commence sa journée. Quand le soleil est quelque part, invisible à tous, il peut agir comme tout le monde. Il peut partager sa nuit, faire partie de l’ensemble. C’est pour cela qu’il vit en noctambule assidu. Il sait que chacun est aveugle désormais, du moins un peu, qu’on a fait un pas vers lui et qu’il peut faire de même.

Il se dirige vers son canapé, un canapé très vaste, sur lequel on pourrait se tenir à quatre bien à l’aise. Il y va parce que dehors, derrière sa fenêtre, il sait que la nuit est bien assise maintenant et qu’ainsi il peut juger de l’heure qu’il est. Le moment d’enclencher son poste de télévision.

Ca leur avait paru étrange, lorsqu’il avait réclamé cet appareil. On avait pensé avec beaucoup d’obligeance que la radio allait mieux convenir. Il avait même dû insister un peu. Faire le capricieux. Mais il est difficile, c’est sûr, de refuser quelque chose à quelqu’un comme lui! Il lui manquait l’essentiel, alors allait-on le priver du superflu?

Leur essentiel seul avait quelque chose de superflu.

Assis, la télécommande dans la main, il allait pouvoir travailler. Il s’était mis en tête de développer une sorte de traité de la vision. Par tangentes interposées. Ce qu’il détestait par dessus tout, c’était l’arrogance avec laquelle les voyants prétendaient saisir la réalité, la vérité même. Voir était une affaire de tout l’être, et l’image un aboutissement, peut-être inutile.

Cette idée avait germé en lui quand il s’était rendu compte qu’on lui enviait une partie de ses possibilités. En fait de talents, c’était surtout l’extrême acuité de ses sens qui provoquait l’admiration et même la jalousie de ceux qui s’occupaient de lui. Son odorat en particulier, qu’il avait incroyablement aiguisé au cours de son existence, son toucher aussi, enfin bref, tout ce qui compense de manière évidente l’absence de la vue. Ces capacités-là lui étaient venues naturellement et pendant longtemps il n’avait pas douté que ce fut un juste défrayement de la nature qu’il en fut ainsi. Elle avait pris des mesures adéquates pour son cas; elle avait fait de lui un phénomène unique. Personne ne pouvait en cela l’égaler, non personne. Mais il avait dû déchanter.

Ce fut sur le coup une véritable semonce.

Alors qu’il était encore un adolescent, il s’était mis à s’intéresser à la biologie, l’anatomie et autres physiologies, ainsi qu’à tout ce qui avait trait à l’étude du corps humain. Ses professeurs en général lui apportaient pleine satisfaction, chaque question trouvant une réponse. Il n’en demandait pas plus. La sensimétrie avait été confiée à un jeune arrogant fraîchement sorti de son université. Celui-ci avait l’intime conviction d’être au-dessus de la moyenne des mortels et que son intelligence ne supportait aucune comparaison.

Au début de leurs relations, tout semblait être dans l’ordre logique des choses. L’un enseignait, l’autre apprenait. L’un donnait, l’autre recevait. Hélas, le professeur s’était mis en tête de pimenter son enseignement de quelques exercices pratiques, et pour ce faire il avait prévu les choses en grand…diverses visites guidées dans des endroits où les sens seraient plus sollicités qu’à l’habitude!

Au début, chez le luthier par exemple, dans l’atelier de sculpture, ou dans les cuisines du restaurant à étoiles, tout avait encore la semblance d’un cours, durant lequel quelques notions scientifiques sur le canal auditif, les papilles gustatives et autres terminaisons nerveuses permettaient au jeune universitaire de donner le change.

Cependant son énervement alla croissant car l’élève avait des dons que l’on pouvait difficilement brider. Il supportait donc de plus en plus mal que cet enfant perçoive si légèrement des choses qu’il aurait bien voulu pouvoir lui aussi déterminer. Ces possibilités, tellement plus importantes que les siennes, avaient éveillé en lui une sorte de dépit conforme à celui que l’on ressent lorsque l’on a trouvé meilleur que soi. Il appréhendait donc la dernière leçon, celle qu’il voulait consacrer à l’odorat, et lorsqu’il amena sur son pupitre une caisse entière de parfums divers, il espérait secrètement que l’autre allait s’y casser le nez! Ce ne fut pas le cas naturellement. Même les les plus secrètes odeurs semblaient ordinaires à ces narines-là.

 » C’est normal, monsieur, je suis aveugle et les aveugles ont les sens beaucoup plus développés que vous autres!  » avait-il ajouté comme pour s’excuser de son succès trop facile.

– » Ce n’est pas vrai et je te le prouverai!  » avait répondu le maître jaloux. Un handicap reste une infériorité.

C’est comme ça qu’il s’était retrouvé assis au côté d’un homme-nez, un grand parfumeur, en train de tester mille senteurs différentes et qu’il avait compris que la nature ne lui avait pas fait de don exceptionnel, à lui l’aveugle.

Depuis, il cherchait d’une façon ou une autre à transformer l’essai manqué. Il regardait plus intensément, tentait de lever le voile gris, d’aller jusqu’au fond de l’image. La télévision était ce challenge. Plus que bizarre. D’elle ne viendrait pas d’interférences odorantes et même si les sons lui venaient aux oreilles, ils ne pouvaient complètement l’aider à décoder les couleurs, les formes qui se tenaient dans cette boîte. Il regardait la télévision pour tenter de se créer un dictionnaire de l’image hors sens. Il aurait voulu pouvoir, un jour, se confronter une nouvelle fois à ce professeur et lui dire que lui aussi il voyait. Quand il aurait réussi.

Pour l’instant, l’heure était à Mrs. Akelpot. Une femme dont la voix éraillée et douce se baladait de long en large pendant une heure sur le carré vitreux. Elle était difficile à comprendre, Mrs. Akelpot. Pas par ce qu’elle disait, non, mais par ce qu’elle était, elle, et comment elle l’était.

Depuis longtemps, il suivait les épisodes de ses enquêtes de détective, juste pour pouvoir le dire avec certitude.

A force de recoupements, il avait pu tirer quelques premières conclusions, parmi lesquelles, qu’elle était blonde, mince et jolie. Il aurait voulu pouvoir dire la forme exacte de son visage, qu’il imaginait rond et presque tendu. Ses lèvres, il en était certain par contre, étaient pulpeuses, car elle avait une manière particulière de formuler les mots qui n’aurait pas pu être si elles avaient été fines.

Mrs. Akelpot habitait une maison de verre. Partout, autour d’elle les objets tintaient étrangement. Si elle posait quelque chose, toujours, ça faisait un petit écho cristallin. Il en avait déduit que la dame aimait la verroterie. D’autre part, il n’entendait aucun bruit de pas quand elle était chez elle. Elle devait avoir mis des tapis partout, des moquettes. Cela le confortait dans l’idée de la particulière fragilité du décor de Mrs. Akelpot.

Elle portait un rouge à lèvres tenace. Elle n’hésitait jamais à utiliser les serviettes du restaurant, chose qu’une femme hésite à faire si elle pense laisser la moitié de sa parure sur un bout de tissu! Forcément, elle était donc aussi riche ou aisée, parce que ce genre de cosmétique ne se donne pas dans le premier supermarché venu…

Le gris de ses tenues devait tirer sur le rouge. Tout au moins pensait-il qu’elle n’était pas le genre de femme à choisir des pastels pour se mettre en valeur. Elle avait un caractère rouge, sans aucun doute. Parfois, c’est vrai qu’elle devait sacrifier au noir. Comme lui. Surtout quand elle n’était pas aussi tranchante qu’à l’accoutumée, quand elle se laissait surprendre par des doutes, ou que plus simplement elle n’avait pas envie d’être cette intrépide héroïne qu’on voulait la voir être. Au premier coup d’oeil, il aurait pu dire quelle couleur elle portait, rien qu’au ton de sa voix.

C’était rare pourtant qu’elle ne soit pas tout de rouge vêtue.

Sa blondeur… Cela n’avait pas été facile de la reconnaître. Plusieurs épisodes durant, il avait tenté de superposer les teintes sur l’arrondi du visage. Elle était blonde, peut-être cendrée, à cause de son léger accent, presque imperceptible qui signalait une ascendance nordique. La brosse dans ses cheveux avait aussi pu lui indiquer qu’ils étaient longs, lisses et sans artifice.

Mrs. Akelpot était une femme énergique; elle passait d’une situation à une autre avec entrain, ne semblant pas se laisser démonter par quoi que ce soit. Un tempérament d’animal racé, comme un cheval peut-être, ou alors quelque chose de plus fin, comme un cerf. Il pouvait en conclure que cette femme-là était grande et mince, probablement athlétique.

Il savait beaucoup de choses d’elle.

Sur un petit cahier, il poinçonnait méthodiquement toutes ces données. De détail en détail, il avait pu dessiner la silhouette de Mrs. Akelpot, une forme de plus en plus claire, de plus en plus précise.

Mrs. Akelpot était une belle femme, une femme idéale.

Le programme de télévision lui proposait d’autres séries, d’autres aventures. Au début de son idée, tout était objet d’un vif et passionnant intérêt. D’ailleurs, il y avait une variété infinie de paysages et de milieux , de la ville australienne, à la plaine du far-west, en passant par des collines françaises ou des faubourgs londoniens. Ces choses-là étaient à elles seules tout à fait dignes de son attention. Cependant, au fur et à mesure de ses investigations, son intention première s’était diluée et c’est de plus en plus souvent qu’il se relâchait et suivait les feuilletons du reste de la nuit sans grand entrain. Son cahier de notes se remplissait très succinctement de commentaires elliptiques et de renseignements approximatifs. Depuis le début de son « travail », il n’avait encore réussi à dresser le portrait-robot d’aucune autre vedette…

Rien ne valait les enquêtes de Mrs Akelpot, rien ne valait Mrs. Akelpot elle-même.

Ce soir, Mrs. Akelpot s’attaquait à forte partie. Elle semblait crispée, et sa voix sortait d’elle presque angoissée. Une rumeur étrange s’était emparée du bureau d’avocats où elle pratiquait avec trop de succès son art de psycho-détective. Mrs Akelpot cachait un amant! Ses collègues, de parfaits laiderons tous plus ou moins épouvantables d’hypocrisie et de veulerie – il avait compris cela, à l’invraisemblable vocabulaire dont ils usaient vis-à-vis d’elle – ses collègues avaient reçu une lettre anonyme leur dévoilant cette sordide cachotterie. Mrs Akelpot n’était donc pas hors de tous soupçons; elle jouait double jeu!

L’affaire lui parut très vite parfaitement claire. On voulait la détruire!

Savoir comment était sa favorite en ces instants pénibles devint à la fois douloureux et sans plus d’importance. Il lui sembla certain que l’avenir même de cette femme était en jeu et qu’elle se trouvait dans une situation on ne peut plus dangereuse. Il écarquillait les yeux se doutant bien que n’importe quel détail allait avoir de l’influence sur le déroulement positif de l’affaire. Et il était là, lui, impuissant à la sauver, impuissant à comprendre ce qui se déroulait péniblement sous son regard.

Mrs. Akelpot perdait les pédales, elle ne voyait rien de cette sombre machination dont elle était la victime. Elle se perdait en conjectures toutes plus éloignées de la vérité les unes que les autres. Il sentait dans la naïveté de ses interrogations qu’elle ne connaissait pas la perfidie du piège dans lequel elle était prise. Chaque hypothèse qu’elle lançait au hasard, la rendait à la fois ridicule et touchante de candeur. De toute évidence, Mrs. Akelpot n’avait à son propre endroit aucune lucidité et souffrait d’une cécité noire pour appréhender ses proches. Elle était toute de confiance et se croyait en sécurité dans son petit cercle d’intimes!

Il en est troublé, presque gêné.

Décidément, elle se comportait bien en retrait de ce qu’il avait l’habitude de la voir faire. Là où elle agissait avec détermination et clairvoyance ordinairement, elle se mettait à tergiverser et se fourvoyait dans le dédale de ses déductions. Ce qu’elle cherchait était à portée de sa main et elle paraissait n’y voir goutte.

Sur le canapé, l’énervement est monté d’un cran…

Qu’est-ce qui lui arrivait donc? Pourquoi ne réagissait-elle pas, se laissait-elle ainsi couler?

Il saisit son petit carnet de notes et se met à le parcourir du doigt, page après page, fébrilement. Avait-il commis quelque erreur d’appréciation, s’était-il trompé dans ses conclusions, quelque chose d’important lui avait-il échappé? Mais il ne trouve rien qui puisse lui apporter l’explication nécessaire.

Ce soir, Mrs. Akelpot était un méli-mélo de couleurs sans consistance, un tacheté de rose, de bleu pâle, de vert jaunet, une sorte de brouillon indéfinissable dont il lui était impossible de tirer la moindre image. Elle passait d’un état à un autre, d’une forme à une autre comme si elle était une glaise sous la main de ses partenaires.

Les doutes et les sensations contradictoires l’envahissent maintenant. Il y a une heure, il croyait tout comprendre d’elle, et maintenant le noir le plus total, la bouteille à encre. Il pensait avoir fait d’elle un portrait logique, au plus près de ses sensations et de son intelligence. Il pensait n’avoir permis aucune interférence, aucune immixtion de quoi que ce soit entre lui et elle. Et voilà qu’elle ne jouait plus le jeu. Qu’elle remettait tout en cause, comme si elle se révoltait, comme une enfant gâtée qui casse son jouet. Elle le trahissait, parole!

Mrs. Akelpot le trahissait! Cette idée est là maintenant, elle ne le quitte plus. Si elle agissait ainsi, c’était pour lui. Uniquement pour lui. Mrs. Akelpot savait ce qu’il faisait et elle avait décidé de tout mettre en oeuvre pour le déstabiliser. C’était clair!

 » Je ne suis pas dupe … tu fais tout ça pour me contredire, pour me contrecarrer, pour me mettre bas … Intéressant, certes … mais totalement inefficace… Je sais qui tu es. Rien de ce que tu feras ne me fera changer d’idée, crois-moi. « 

Il ricane. Il est franchement agacé. Ses doigts tapotent la table pour scander son impatience et cette phrase qui revient sans cesse  » Je sais qui tu es! Je sais qui tu es!  » Ses jambes se croisent et se décroisent sans répit. Il s’avance, les deux coudes sur les genoux, se recule, étend ses bras sur le dossier du canapé, pour bien montrer son indifférence, et puis se réavance et recommence encore. Il n’entend plus vraiment ce qu’elle dit, ce qu’elle répond, les questions qu’elle pose. Il est tout à sa découverte, la trahison de Mrs. Akelpot!

Plus rien de ce qu’elle pourrait dire maintenant, ne rattrapera cette sensation qu’il a en lui. De son poinçon, il griffonne quelques notes. – Les gens sont rebelles à l’idée qu’on se fait d’eux.- Ils croient savoir ce qu’ils sont mais sont inaptes à toute lucidité – Il y a une incroyable prétention à penser que l’on est seul à se connaître-… Autant de phrases pour dire sa rage, et dont il veut se souvenir pour ses études futures.

Mrs Akelpot est blonde, mince et jolie. Elle a du caractère, de la maîtrise. De toutes situations, elle sait tirer profit, ne peut pas se laisser influencer, ni manipuler. Elle est comme lui. Trait pour trait. Elle ne peut s’échapper de cela, elle est ainsi faite et quoi qu’elle tente pour tromper ou tricher, elle est ce qu’elle est, ce qu’il est. Il la connaît. Cette image, il l’a décodée, révélée, comme trempée dans son acide. Il la sait. Il l’a parfaitement vue.

Soudain, le bruit d’harmonica du cendrier fouette ses pensées. Un silence impressionnant tranche sec son monologue. Il semble que le téléviseur soit devenu muet. Le suspense l’atteint de plein fouet. Il écoute, il écoute. Que fait donc Mrs. Akelpot? Elle est chez elle. Tout est feutré. Elle fronce les sourcils, elle va vers sa fenêtre, elle va l’ouvrir à coup sûr. Le vent va lui souffler la réponse, elle sait comme lui qu’il sait tout, qu’il a la solution, elle va enfin comprendre. Le vent va mettre tout en ordre; il va balayer ce cauchemar, se glisser dans ses cheveux blonds jusqu’à son oreille. Elle va comprendre.

Il s’approche, tout près du poste, jusqu’à la surface lisse et électrique du verre, pour la toucher, l’aider à faire ce qu’elle doit. Elle se tient là, presque à portée de main, avec cette froide ironie qui préside à leur relation, la juste distance. Il va l’aider.

Une musique monte. Elle instille en lui une crainte sourde de violons grinçants et de triolets de hautbois. Mrs. Akelpot a-t-elle peur? De quoi donc pourrait avoir peur une femme comme elle? Il est impossible qu’elle ne puisse dominer ce sentiment. Elle peut, elle doit comprendre qu’on la manoeuvre, qu’elle est devenue une marionnette dont on tire les ficelles à volonté. Cette fois, la fenêtre est ouverte sur la nuit sans fond de son building. Elle sent le vent, mais ne sait pas l’écouter. Lui, il entend les sirènes, les voitures, les gémissements de la ville et Mrs. Akelpot se penche et n’entend rien. Elle a fermé ses oreilles, elle est à l’intérieur d’elle-même.

Non! Elle ne peut pas avoir envie de tomber? Elle ne sait pas ce qu’est le noir, le noir du gouffre, des gouffres, dans lequel il est, dans lesquels il tourne sans cesse. Elle ne peut avoir envie de cette prison, aux parois toutes de gris et d’anthracite, ce puits gigantesque dans lequel il dévisse sans remède, sans élastique à son pied, sans cordage à sa taille. Mrs. Akelpot ne peut pas vouloir cela! Son coeur cogne, le danger traverse le cathoscope. Elle doit s’en tenir à ce qu’elle est, à ce qu’il sait qu’elle est… Blonde, jolie, mince… Pleine de ressources!

Le cri de la descente, l’effroi du plongeon… Elle a dû le regretter, comme ça, tout de suite après l’avoir fait. Elle a dû penser, ça y est je vois clair maintenant. Elle a pris son élan et … non, elle a simplement versé, comme un nuage de lait dans une tasse de café. Alors peut-être elle a compris et elle a crié.

C’est grand, un immeuble new-yorkais, c’est très haut, très long à descendre. C’est tout en verre, partout, dedans, dehors…. Le vent qui le balaie ne doit pas venir des plaines, ni des vallons. C’est un vent qui tourne en rond, qui vient de derrière un autre immeuble et d’un autre encore, qui se court après en somme. Il n’a rien à dire, rien à raconter, il se suffit à lui-même. Il est comme un prisonnier dans un labyrinthe. Et parfois il s’amuse avec les gens, ceux qui tombent du ciel et ceux qu’il a un peu poussés.

Sur la table basse, il pose enfin son poinçon. Depuis longtemps il regarde les feuilletons à la télévision. Chaque fois, c’est pareil. Ils s’en vont tous, pour ne plus revenir, ils l’abandonnent. Pendant quelques jours, il regrettera Mrs. Akelpot, se dira qu’elle lui manque, comme Polly Findall, Babe Nobody ou Miss Alisson…

Demain il découvrira Spacy Jame. Il y a encore beaucoup à apprendre.

Texte : Anna Jouy, 2003

Partager :

  • Twitter
  • Tumblr
  • Imprimer
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…

Psychanalyse d’un poisson [2003, longread, 3850 mots, temps de lecture 15 minutes]

07 mardi Juin 2016

Posted by lecuratordecontes in Anna Jouy

≈ 2 Commentaires

Étiquettes

longreads Anna Jouy

Psychanalyse poisson

Le jour est fermé. Double tour. Doubles volets à persiennes. Sur le sol de planelles roses, les barreaux du soleil de l’après-midi. Il fait si chaud, et le repas qu’il vient d’avaler avec lenteur en sirotant sans passion un petit vin acide, va lui fermer les yeux, sans plus de passions. Se coucher maintenant et bénir une fois de plus cette sacro-sainte sieste qui lui rendra tout à l’heure un allant de vie.

Il est « du matin ». Du matin, ou du lever de préférence. C’est là qu’il accumule tous ses courages. Qui iront dépérissant avec le jour. Sorte de tournesol en complet trois pièces, tournesol de cité, de jardin public. De caniveau, ajouterait-il avec humeur. Son côté cour et son côté jardin. Rat de ville et rat de champ. Tout ça en lui, balance ascendant gémeaux, qui ne trouve que dans le sommeil le lieu des équilibres et des non-choix.

La ville ne s’arrête jamais. Elle boucane toute la journée avec une ferveur de commère. Sans faire relâche et sans que sa voix ne module ses inflexions. Il n’en peut plus. Le moelleux poussiéreux de son couvre-lit l’appelle. Il voudrait s’y jeter et qu’à peine enfoui dans ses rondeurs de grosse poupée endimanchée, il disparaisse par la porte du rêve. Tout son corps se mutine. Une grève sauvage. Il est lourd à ne plus pouvoir se bouger.

Avant toutes choses – cela fait partie du rite – il cherche son baladeur. Mettre sa tête à l’abri des klaxons, des moteurs, et écouter une fois de plus  » Okra ». Tout est maintenant prêt.

Il va pouvoir partir. Déjà ses yeux sortent du monde. Déjà son coeur se plie à un rythme d’hibernation, ses mains entourent sa face et ses pieds remontent jusqu’à son ventre.

Il est prêt.. Il va dormir. Il va dormir. Dormir.

 » M. Pilli… Que me demandait au juste M. Pilli? Ah! Oui … préparer un discours pour l’inauguration de ses installations… Qu’est-ce qu’il croit, celui-là…? Que je vais faire … pour ce genre …de conner… »

La porte s’ouvre. C’est un bar. Je ne crois pas y être jamais entré; cependant quelque chose me semble familier, le genre du mobilier peut-être, que j’ai déjà dû voir ailleurs. Tout au fond, sur une sorte d’estrade, est-ce le piano? Est-ce tout cela qui a un air de déjà vu? Le pianiste semble fort doué. Il peut presque donner à entendre un orchestre, tant il a l’air inspiré! Il sourit en haussant les épaules.

Je suis fatigué… Dieu du ciel! Il faudrait que je dorme… Ce bar a un air de bibliothèque, une sorte de bibliothèque à bouteilles, avec des places en négatif, tout du long, dans lesquelles sont rangés des gens sérieux en habit. Seules les cravates manquent de tenue, semi-arrachées ou pendouillantes.

Je me cherche, je me cherche dans la glace. J’ai de la peine à me distinguer, car juste derrière moi et à mes côtés, il y a beaucoup de monde. Bientôt je m’aperçois tout de même. J’ai rajeuni! Pourquoi ai-je l’air si jeune? Je me sens pourtant si fatigué…

-« Pour Monsieur, ce sera? »

Le barman est un homme à la figure aussi lisse que le shaker qu’il tient ostensiblement à la main. Il m’invite, c’est évident, à prendre une de ses spécialités, un mélange des plus géniaux des liqueurs les plus épatantes! Il pue de la gueule. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il doit les goûter toutes, les unes après les autres.

-« Qu’est-ce que vous me proposez? »

Je crois qu’il a deviné ce à quoi je viens de penser. Il a pris un air vexé pour me répondre.

-« Une bière peut-être? Monsieur a l’air de quelqu’un qui aime la bière…! »

Je me regarde à nouveau dans la glace. Il ne peut avoir remarqué mon ventre, qui doit être bien camouflé dans la profondeur du tablier du bar. Je réajuste tout de même mon manteau. Ma tête se dresse dans le miroir au-dessus d’une collection pur cuir de L’Encyclopédie de Diderot. J’ai rajeuni… C’est certain! Je suis moins tiré, comme repassé de frais … Oui, moins je ne sais trop quoi…

Le barman suit mon air interrogatif. Il croit comprendre.

– » Ah! Monsieur convoite notre série spéciale… Monsieur est un connaisseur! »

Ce qui l’amène à changer d’attitude envers moi. Je le regarde en prenant bien soin de conserver toujours ce même air intéressé…Il saisit un ouvrage, au hasard semble-t-il, et le pose devant moi, en même temps qu’il me remet un minuscule verre à pied vissé.

« Vitesse déconcertante pour un éméché permanent! » me dis-je, légèrement surpris.

L’oeuvre de Diderot se tient belle droite sur la tranche. Avec un air de magicien, de comploteur et de démiurge malfaisant tout à la fois, il escamote la couverture. Dans un écrin de plastique se dresse une bouteille de fine dont le nom écrit en gothique tente de justifier tant de mise en scène! J’ai du mal à entretenir ce fameux air de connaisseur qui avait réussi à mettre l’animal à mon service. Je me décide alors par dérobade à jeter un regard indifférent sur la salle. Une fumée épaisse navigue dans les sphères célestes de l’endroit. Le piano, là-bas… On y joue un air que je connais… Je n’arrive plus à mettre un nom dessus… C’est comme un après-midi de chaleur et de sieste qui détonne formidablement avec les lieux. Je me rends stupidement compte que l’estrade musicale est plus importante et garnie que je n’y avais pris garde Et moi qui m’étonnais d’entendre sortir de ce piano des sons d’orchestre!

Il y a de la moquette partout. Du sol aux murs. C’est ce qu’il faut bien appeler le luxe, le luxe des bars de la Calle Garibaldi, attirant le monde de l’après-travail et d’avant la nuit.

Le barman a fait son service. Rien ne me plairait plus maintenant qu’une bière mousseuse, et devant moi le verre à pied tordu artistiquement m’offre sa pisse jaune et prostatique. Je ne peux m’empêcher de grimacer. Contre ce maudit serveur et surtout contre moi-même qui ai trouvé l’absurde moyen de commander ce que l’autre aurait sifflé avec avidité et que je ne voulais pas, en réalité.

La musique s’étale lentement. Personne ne l’écoute. Il y a du boursicotage dans l’air, du pari mutuel et quelques juteuses affaires de fesses que l’on se passe en douce pour tout à l’heure … La nuit. Qu’importe la nuit! C’est juste une autre porte, une porte plus loin, comme si la vie en enfilade s’ouvrait sur un long corridor de passages diurnes et nocturnes. J’ irai sans allégresse de celle-ci à la suivante, ne sentant pas la plus petite excitation à l’ouverture de l’une ou de l’autre. Jour. Nuit. Egal chemin d’égaré. De mouton dans son enclos, qui franchit sans état d’âme les portillons de son engraissement…

Je sens la déprime monter, comme à chaque fois qu’il y a trop de lucidité et plus aucun engagement. C’est ça le début de la nuit. Sûrement. Uniquement. Tout à l’heure j’aurai franchi le sas et tout sera à nouveau plus calme, plus évident. Je déteste les moments de transition, ce passage des portes, ces changements de caps, ces anniversaires…Exactement comme le juste avant la nuit, auquel je ne m’autorise à prêter aucune attention et j’oppose mon indifférence calculée.

De l’autre côté du bar, près de la musique, le plus près à vrai dire, je viens de voir un homme, un visage familier, mais qui aurait pris depuis ma dernière rencontre quelque chose d’insolite Son chapeau, posé à portée de son verre, est celui d’un cow-boy. Suis-je bien où je crois être? Est-ce bien ma ville, ou suis-je ailleurs? Je cherche de la tête un indice, quelque chose qui me rassure un peu, me le confirme. Mais il n’y a rien de pittoresque.

Une immense rumeur comble et bourre l’air. Un frisson me parcourt. Je voudrais moi aussi parler, de crainte que la « chose » ne se retourne contre moi. A toute explosion sa victime; je suis cet idéal! L’homme cow-boy me sourit. Il a levé sa bière dans ma direction. J’hésite à répondre, et puis ce verre de fine est si ridicule… Je relève juste le menton. On ne sait jamais. Mon tabouret est à vis. Je pivote pour accéder plus aisément du regard à la scène. Le piano bravement attaque son public. D’ici, il brille comme un mirage au soleil. Entend-il seulement que personne ne l’entend?

Pourtant ses notes me parviennent. Je les discerne, comme si j’avais pu trier les bruits importuns et les isoler dans une autre bulle, dans un paquet poubelle.

A nouveau un frisson me parcourt. Comme si j’avais froid. Je crois que j’ai froid. Même si cela semble incongru… On ne peut tout de même trembler dans un lieu pareillement peuplé.

A qui ressemble-t-il déjà? Qui est-il? Il a l’air de n’être pour moi qu’un visage, quelqu’un que je ne connais pas vraiment mais qui posséderait mes secrets. Il a un drôle de sourire qui me le prouve. C’est évident. Je baisse les yeux. Peut-être sait-il que je ne devrais pas être là…? Mais j’ai moi-même oublié où je devrais être. Dans la cage d’une souris de laboratoire, au parcours fléché de biscuits secs…?

La musique fraise sa route vers moi. A nouveau je sens la gène m’envahir. Qu’ont-ils besoin de jouer pour moi? N’y a-t-il pas assez d’ autres oreilles dans cet endroit qu’il leur faille me choisir? Il me faut respirer. A fond. Expirer. Respirer.Le barman a vu. Il a jeté un regard idiot sur mon verre, le sourcil levé de ceux qui vont très vite trouver la solution!

De vide, voilà mon récipient plein. Décidément, il sait tout, ce cocktail en noeud papillon! Il a une science ahurissante de la psychologie humaine! Son  » ..Je sais ce que c’est… » me fait considérer son geste comme le premier moment amusant de ce quart d’heure. Je sens une vague de rires saugrenue se presser dans ma gorge. Je contrôle. Sauf la bouche, qui doit bêtement sourire. Evidemment.

– » C’est mon métier!  » me dit-il, pour me rappeler que le service est compris!

C’est amusant décidément. Mais que va-t-il imaginer? Ai-je la tête de tous ces autres? Leurs visages sont des caricatures. Ils ont des nez, presque tous des nez immenses, difformes. Et leurs lèvres ne cessent de remuer. Leurs lèvres molles, humides, tirées à quatre épingles. Il en sort toujours quelque chose de semblablement mou, mouillé ou piquant. Je voudrais comprendre.

Me revoilà dans le miroir. Mes lèvres bougent, elles aussi! Comment cela se fait-il? Je n’arrive plus à savoir si c’est bien moi, là, en face… Pourquoi ces lèvres bougent-elles? Je ne fais que penser! Je ne cause jamais tout seul! Je déteste parler d’ailleurs… Y a pas de raison que…

Je ressemble à un poisson.

Brutalement la musique cesse. Le brouhaha ambiant tombe tout aussitôt. Un silence impressionnant. Un noir de théâtre. Chacun se cherche et se trouve une place assise. Comme si tous avaient attendu cet instant. Comme on aurait attendu l’office, l’ouverture du supermarché, l’heure du bureau, la reprise des cours… La tête me tourne dans tous les sens. J’essaie encore une fois de comprendre, mais il semble que j’aurai toujours un pas de retard dans ce ballet!

Le pianiste entame quelques vrilles puis quitte son instrument.

Une petite femme vient de se lever. Son pas est mal assuré mais elle tient le menton fièrement en l’air. Elle grimpe l’estrade, se rapproche du micro dans une douche de lumière bleue. Elle a fermé les yeux. Sa respiration fait un bruit de marée, de bord de jetée, de flux et de reflux de mucus. L’ envie, que je qualifie très vite de stupide, l’envie de rire me reprend; je suis bien le seul, à voir les autres, regards fixes sur ce qui ressemble à une farce, mais qui doit être plus vraisemblablement une tragédie.

De ses longues mains tordues, elle se met à se frapper la poitrine. D’abord comme des gouttes d’eau tombante, quelque chose de proche d’une percussion africaine. Sa voix rauque se fait entendre, se lamente entre deux souffles. Je suis gêné. Je ne sais pourquoi puisqu’elle a les yeux fermés et que la nuit me camoufle de son silence. La souffrance se lit sur son visage, les plis de ses lèvres, le volume mouvant de ses joues et le cuir flasque et transparent qui lui sert de cou. Son cheveu même, qui parfois plaque sur son crâne et parfois pique l’air de ses cornes, sa bouche qui n’est qu’un sac de punaises. Les sons d’écailles et de velours me scarifient du dos à la racine de mes dents. Je ne veux plus voir. Ce spectacle me fait l’effet d’une purge. C’est comme si j’avais peur.

Je retourne la tête vers le miroir. Je suis là, encore une fois différent. Qu’ai-je de changer que je ne puis déterminer? Tous les éléments concordent. Bien mon corps, mes bras, mes mains. Bien ma tête, là, au bout de ce cou maigre, avec cette bouche pendante et ce regard serré le long du nez. Sur la scène, la femme a baissé la tête. On l’applaudit.

Maintenant quelqu’un d’autre vient de prendre sa place. Lui aussi sorti du public. Il n’y a pas de public! Ou plutôt si, mais il fait le spectacle lui-même! C’est donc pour cela que tout m’apparaissait jusqu’à cet instant si bizarre. Je devais le pressentir…

C’est un homme cette fois.Je ne vois plus que sa bouche ronde et lippue. Il articule tant et trop que rien d’autre ne peut plus se voir. Il capte les regards vers le carmin de sa langue. Les mots tombent lourdement de là-dedans vers le sol. Des mots durs comme des pierres, froids et maudissants. Si lourds qu’ils tombent à terre et que je crois les voir littéralement s’amonceler à ses pieds et le statufier en un amas de gravats.

Ai-je respiré pendant tout ce temps? J’en doute. Je suis dans un étau. Dans le miroir, je suis un poisson, dont l’aquarium se serait vidé. Ma bouche cherche l’air.

« De l’eau! » dis-je entre deux états.

Le barman s’inquiète. Il retourne deux ou trois fois la tête dans ma direction, tout en remplissant un verre à limonade.

Me voilà gratifié d’une sollicitude nouvelle. En cherchant à respirer, j’obtiens qu’on étanche ma soif! Piquant! ça a du bon d’être poisson.

Là-bas, l’homme n’a pas achevé de pétrifier l’assistance. Il y a en moi une résistance comparable à celle que je ressens à l’heure du sermon de la messe.Qu’a-t-il donc à gémir ainsi? Pourquoi tout a l’air si épais autour de lui?Il parle de peur, d’épée, de dagues acérées, d’âmes violées…

Je voudrais crier  » A l’escroc! ». Je voudrais rester à la surface des choses, qu’il n’utilise que des phrases toutes prêtes, celles que l’on dit en écoutant les nouvelles ou en finissant la page des faits divers.Mais il est là et je sais qu’il dira tout, tout ce que je ne veux pas entendre. A-t-il le droit de souffrir ainsi devant tout le monde? Je préfère les fakirs.

Maintenant il est épuisé. Il a dit.Dans le miroir, le poisson s’est fait rudement mazouté. Je grimace pour l’expédier aux égouts. Le défilé se poursuit.

Une envie me prend. Irais-je? C’est timide mais ça s’installe… Une envie qui sort des rêves, quand tout paraît possible. Que tous les dons vous ont été d’avance accordés. Que vous croyez maîtriser votre corps et pouvoir faire de lui ce que bon vous semble….danseur phénoménal, athlète, contorsionniste… Devant le miroir, le poisson fait des bulles. Des picotements de chaleur, sur toute la peau. Ceux-là même qui me griffonnent lorsque je viens d’éviter une bêtise.

L’homme au chapeau s’est levé. Il n’a pas peur, lui. Je le vois. Ce peut-il qu’il ait aussi quelque souffrance cachée? Je suis intrigué, plus que je ne le voudrais. De ses bottes à talons, il se met à battre le sol. D’abord posément. Puis le rythme s’installe. A l’arrière, le piano  » emmode » quelques accords tandis que miaulent les sonorités cuivrées de la guitare qu’on vient de lui remettre.

Il a choisi l’ironie. C’est tout ce qu’il a envie de dire. L’histoire d’un homme qui s’inquiète du jour qui vient, de la nuit qui tombe, de son patron et des sous qui vont tomber à coté de sa poche. Et sa musique va de même. Un vieux blues qui doit loger dans l’inconscient collectif. Personne ne veut l’applaudir. Jusqu’à ce qu’un ahuri du fond du bistrot se mette à crier  » HOO YEE! » On finit par apprécier.

Et moi, je voudrais bien qu’il n’y est plus rien. Du tout.

–  » Il ira loin, celui-là… » commente le barman.

Je voudrais bien savoir pourquoi! Je dois avoir un air assez éloquent… Puisqu’il a compris que je ne comprends pas.

– » C’est un bar à poésie… »

Poésie?

– » Aujourd’hui le public est parfait. Discipliné. Inspiré. Réceptif … Idéal pour faire une première tentative… » continue-t-il.

Où veut-il en venir? Essaie-t-il de me donner un coup de pied pour que j’avance? Essaie-t-il de me pousser dans l’arène? Je secoue les épaules. Pour rire. Pour m’alléger. Parce qu’il y a ce sentiment qui me prend. Celui que l’on subit lorsque le comique de service cherche son partenaire parmi les spectateurs et que l’on sait déjà que ça va être pour sa pomme. Nom de Dieu! Ce n’est pas possible! Je crains à tout instant que l’on m’interpelle. Tous les visages semblent n’attendre que ça. Que j’y aille… C’est impossible!

Le poisson bégaie des ronds d’oxygène.

– » C’est un bar à poésie, monsieur … A poets house… » recommence le gargotier.

J’ai bien compris… Ben …voyons! Il me regarde. Sa moue d’homme aux convenances parfaitement assimilées exige. Il n’y a pas d’alternative? Je résiste et secoue le tête. Pas moi… Jamais moi!

-« Je sens que Monsieur est venu pour ça…C’est mon travail. … que d’encourager la clientèle… »

Son travail? Mais où suis-je donc?!! Je suis libre. Non? Je me retourne un peu. Pour m’assurer que cette histoire ne se déroule qu’entre lui et moi. Mais… Ne dirait-on pas que… Au micro le cow-boy me fixe.

 » Et maintenant, de la chair fraîche, un nouveau, un débutant. Il est timide. Il hésite encore. On l’encourage! »

On applaudit. Frénétiquement… Je le crois du moins. Cette fois, je suis trempé de sueur pour de bon. La fine remonte et me brûle. Une nausée. Le fin du fin.Mais laissez-moi … laissez-moi donc. Où est la porte? Je ne vois plus la direction de la sortie. Je suis debout. Je veux la retrouver. Tout de suite. Il le faut. Mais on applaudit à nouveau… Ca y est. Ils croient que j’y vais! On me pousse. On me bouscule. Laissez-moi passer. ! Je veux sortir.

Des mains glissent sur mon corps, me palpent, me tâtent. Elles sont à deux doigts de me saisir. J’en réchappe de justesse. Mais à chaque fois, je suis à nouveau rattrapé. Je me cogne à la paroi humaine qui est là, tout autour. Cercle maléfique, opaque et infranchissable. De glace. De vitres.

 » Oui vas-y, sors… Sors tout ce que tu as dans les tripes… » entends-je.

Mais … Je suis… Réfléchir. Vite. Maintenant. Tout de suite. Une solution. Devant moi, l’estrade. Il faut y aller! N’en avais-je pas envie? Oui, il y a quelques instants… N’ai-je pas senti ce petit quelque chose en moi qui le voulait?

Tout autour, les gens ont des gueules étranges, élastiques, comme vues au travers de cet objectif déformant qu’utilisent parfois les photographes. Cette fine m’a tourné la tête. Et saoulé plus vite que je ne le croyais! Je vais monter. Je suis monté. Le silence tombe sur moi. On a l’air satisfait puisqu’on sourit. Et moi quelle tête suis-je en train de faire? Je crains que l’on ne remarque à quel point je suis trempé. Ma chemise? Et n’ai-je pas taché ma veste aujourd’hui? Je revois le café qui s’est renversé à la pause de midi. Quelle honte! Le micro me tend sa poire. Que fait-on de ses mains? Qu’on fait les autres…?Je n’arrive plus à m’en souvenir.Le silence.Une gargouille. Deux gargouillis balbutient dans mon estomac.On attend. Que dois-je dire? Mais que dois-je dire déjà? Vite trouver quelque chose.Le silence.Et on attend encore.J’ouvre la bouche.Où est donc l’air? On a volé l’air! Pourquoi n’y a-t-il plus de ventilation?J’ouvre à nouveau la bouche.

« Madame la présidente de la CVB, Monsieur le directeur, Mesdames, Mes demoiselles, Messieurs …C’est avec un grand plaisir et non sans émotion…

Le discours de M. Pilli! C’est ça. C’est tout ça qui me vient à l’esprit! Je m’étonne moi-même de la facilité avec laquelle je l’envoie.

 » Faites-le taire! » Ca a jailli du fond de la salle. Tous ces regards sur moi!

 » Oui! Qu’il se taise! Dehors! Dehors! Dehors!… »

Mais je veux continuer maintenant. Attendez, attendez donc! Vous allez voir ! Je n’ai plus peur maintenant. Je peux parler! Je le veux. Qu’ils me le laissent faire! Mais qu’ils me laissent donc…

« …que je prends la parole en cet instant glorieux.. .Non! Pas glorieux … Plutôt précieux… Voilà précieux, c’est plus juste précieux…. Glorieux, c’est trop lourd… Et puis cela suggère des honneurs qui n’existent pas… En cet instant précieux donc, qui me permet de saluer ici tous mes amis et de les remercier du soutien considérable… Considérable? Faut pas exagérer tout de même… Ca donne l’impression que sans eux rien n’aurait été possible… C’est pas le cas… Non … Je dirais mieux en parlant de soutien soutenu… Soutien soutenu? N’est-ce pas redondant..? »

Je lève alors les yeux. Peut-être que je les ouvre, plus simplement. Je croyais la salle pleine. Il n’y a en tous cas plus personne, maintenant. La porte du fond est juste en train de se refermer. Je crois deviner qu’ils sont tous partis, par là-bas. A travers le vitrage, je vois bien qu’il y a du monde, du monde qui s’en va. Le barman ne fait pas attention à moi. Il n’est ni mécontent, ni heureux. Il prépare son travail pour demain. Sûrement. Il remplit ses frigos et range ses verres. Il a l’air de quelqu’un que rien ne touche. Probablement en a-t-il vu bien d’autres! Je voudrais m’excuser. Je crois que ce serait bien si je le faisais. Je m’approche. Mon manteau est sur le siège surélevé, qui m’attend. Je vais aller le récupérer. J’en profiterai pour lui glisser un bon pourboire. Ca devrait jouer comme ça…

Là juste devant lui, un verre à pied vissé et tout à côté une cruche d’eau. Bien ronde et pleine à ras bord. Je ne l’avais pas remarquée tout-à-l’heure.

Dedans, il y a un poisson.

Je suis hébété. Il y a un poisson dans cette cruche! Je lève les yeux vers le barman. Il s’arrête de boutiquer, comme pour me dire que c’est l’heure et qu’il ne sert plus rien. Je ne peux m’empêcher de regarder à nouveau l’étrange aquarium…

– » Nous sommes obligés, c’est la loi, de servir de l’eau gratuitement à notre clientèle, si elle le désire. C’est notre manière de protester… Une idée originale, pas vrai? Un poisson dans le pot à eau, c’est drôlement parlant… Monsieur en conviendra. »

Texte : Anna Jouy, 2003

Partager :

  • Twitter
  • Tumblr
  • Imprimer
  • Facebook

WordPress:

J’aime chargement…
Follow Les Cosaques des Frontières on WordPress.com

Editions QazaQ

  • À PROPOS – Editions QazaQ
  • BIOGRAPHIES AUTEURS Éd. QazaQ
    • André Birukoff
    • Anh Mat
    • Anna Jouy
    • Brigitte Celerier
    • Christine Jeanney
    • Christine Zottele
    • Claude Meunier
    • Dominique Hasselmann
    • Éric Schulthess
    • Françoise Gérard
    • Jan Doets
    • Jean-Baptiste Ferrero
    • Jean-Claude Goiri
    • Lucien Suel
    • Ly-Thanh-Huê
    • Marie-Christine Grimard
    • Martine Cros
    • Murièle Modély
    • Nolwenn Euzen
    • Olivia Lesellier
    • Serge Marcel Roche
    • Stuart Dodds
    • Zakane
  • CATALOGUE LIVRES Éd. QazaQ
    • Anh Mat – Cartes postales de la chine ancienne
    • Anh Mat et l’apatride – 67 Cartes postales de la chine ancienne (tome 2)
    • Anna Jouy – Je et autres intimités
    • Anna Jouy – Pavane pour une infante défunte
    • Anna Jouy – Strasbourg Verticale
    • Anna Jouy – Là où la vie patiente
    • Brigitte Celerier – Ce serait…
    • Christine Jeanney – Hopper ou « la seconde échappée »
    • Christine Jeanney – Ligne 1044
    • Christine Jeanney – L’avis de Pavlov
    • Christine Jeanney – Piquetures
    • Christine Zottele – Rentrez sans moi
    • Christine Zottele – Vous vivez dans quel monde?
    • Dominique Hasselmann – Filatures en soi
    • Éric Schulthess – Haïkus (ou presque) tombés des cieux
    • Francoise Gérard – Avec L’espoir que tu me lises un jour
    • Jan Doets ¬– Moussia, une âme russe dans la tourmente du XXème siècle
    • Jan Doets – beloumbeloum
    • Jan Doets – « C’était l’adieu à la Russie, l’adieu à tout »
    • Jan Doets – “It was a farewell to russia, a goodbye to everything”
    • Jan Doets and André Birukoff – “It was a farewell to russia, a goodbye to everything”
    • Jan Doets et André Birukoff – « C’était l’adieu à la Russie, l’adieu à tout »
    • Jean-Baptiste Ferrero – Huit histoires de fantômes
    • Jean-Claude Goiri – Ce qui berce ce qui bruisse
    • Lucien Suel – Express
    • Lucien Suel – Sombre Ducasse
    • Ly-Thanh-Huê – Histoires du delta
    • Ly-Thanh-Huê – L’antimonde
    • Ly-Thanh-Huê – L’objeu
    • Ly-Thanh-Huê – Transformations Chimères
    • Marie-Christine Grimard – D’ici et d’ailleurs
    • Martine Cros – Autoportrait à l’aimée
    • Murièle Modély – Sur la table
    • Nolwenn Euzen – Cours ton calibre
    • Olivia Lesellier – Rien, te dis-je …
    • promenoèmes – Claude Meunier
    • Serge Marcel Roche – Conversation
    • Serge Marcel Roche – Journal De La Brousse Endormie
    • Stuart Dodds – Towards a buried heart
    • Zakane – l’heure heureuse
  • Formats de lecture

Les Cosaques

  • À PROPOS – Les Cosaques
  • Formats de lecture
  • André Birukoff
  • Anh Mat
  • Anna Jouy
  • Brigitte Celerier
  • Christine Jeanney
  • Christine Zottele
  • Claude Meunier
  • Dominique Hasselmann
  • Éric Schulthess
  • Françoise Gérard
  • Jan Doets
  • Jean-Baptiste Ferrero
  • Jean-Claude Goiri
  • Lucien Suel
  • Ly-Thanh-Huê
  • Marie-Christine Grimard
  • Martine Cros
  • Murièle Modély
  • Nolwenn Euzen
  • Olivia Lesellier
  • Serge Marcel Roche
  • Stuart Dodds
  • Zakane
  • Anh Mat – Cartes postales de la chine ancienne
  • Anh Mat et l’apatride – 67 Cartes postales de la chine ancienne (tome 2)
  • Anna Jouy – Je et autres intimités
  • Anna Jouy – Pavane pour une infante défunte
  • Anna Jouy – Strasbourg Verticale
  • Anna Jouy – Là où la vie patiente
  • Brigitte Celerier – Ce serait…
  • Christine Jeanney – Hopper ou « la seconde échappée »
  • Christine Jeanney – Ligne 1044
  • Christine Jeanney – L’avis de Pavlov
  • Christine Jeanney – Piquetures
  • Christine Zottele – Rentrez sans moi
  • Christine Zottele – Vous vivez dans quel monde?
  • Dominique Hasselmann – Filatures en soi
  • Éric Schulthess – Haïkus (ou presque) tombés des cieux
  • Francoise Gérard – Avec L’espoir que tu me lises un jour
  • Jan Doets ¬– Moussia, une âme russe dans la tourmente du XXème siècle
  • Jan Doets – beloumbeloum
  • Jan Doets – « C’était l’adieu à la Russie, l’adieu à tout »
  • Jan Doets – “It was a farewell to russia, a goodbye to everything”
  • Jan Doets and André Birukoff – “It was a farewell to russia, a goodbye to everything”
  • Jan Doets et André Birukoff – « C’était l’adieu à la Russie, l’adieu à tout »
  • Jean-Baptiste Ferrero – Huit histoires de fantômes
  • Jean-Claude Goiri – Ce qui berce ce qui bruisse
  • Lucien Suel – Express
  • Lucien Suel – Sombre Ducasse
  • Ly-Thanh-Huê – Histoires du delta
  • Ly-Thanh-Huê – L’antimonde
  • Ly-Thanh-Huê – L’objeu
  • Ly-Thanh-Huê – Transformations Chimères
  • Marie-Christine Grimard – D’ici et d’ailleurs
  • Martine Cros – Autoportrait à l’aimée
  • Murièle Modély – Sur la table
  • Nolwenn Euzen – Cours ton calibre
  • Olivia Lesellier – Rien, te dis-je …
  • promenoèmes – Claude Meunier
  • Serge Marcel Roche – Conversation
  • Serge Marcel Roche – Journal De La Brousse Endormie
  • Stuart Dodds – Towards a buried heart
  • Zakane – l’heure heureuse

Commentaires récents

Dominique Hasselmann dans LE CHARDON – Un instant…
« Moussia… dans Lilia de Jan Doets et André…
brigitte celerier dans Favart(adagio)-mars 2022…
Chabriere dans Poèmes en colère
Sig dans Teos du Jeudi

Textes Cosaques

Articles récents

  • LE CHARDON – Un instant dans la vie de Panaït Istrati… 21 mars 2023
  • Poèmes sur le thème de la Création par Shahrzad BEHESHTI MIRMIRAN – Traduits par Shahriar BEHESHTI 16 mars 2023
  • Parking 14 mars 2023
  • Le Lointain – Extrait du recueil de Jean-Claude Bourdet publié dans la collection Les plaquettes de la Revue A L’INDEX 10 mars 2023
  • « Moussia » de Jan Doets aux Editions QazaQ 9 mars 2023
  • Poèmes de Pierre Vandel Joubert 7 mars 2023
  • Poème de Miguel-Angel Real 3 mars 2023
  • Imposture 2 mars 2023
  • Alphabet forêt 26 février 2023
  • « L’hiver » de Charles-Eric Charrier aux Editions QazaQ 23 février 2023

Les Cosaques chez eux

  • Alexandre Nicolas
  • Aline Recoura
  • ana nb – effacements
  • ana nb – sauvageana
  • Anh Mat
  • Anna Jouy
  • Anne-Marie Gentric
  • Arnaud Bourven
  • Brigetoun
  • Brigitte Celerier
  • Carol Delage
  • Catherine Watine
  • Charles-Eric Charrier
  • Charlie Périllat
  • Charlotte Van Kemmel
  • Christine Jeanney
  • Christine Zottele
  • Claude Enuset
  • Claude Meunier
  • Claudine Sales
  • Clément Dugast Nocto
  • Contrepoint
  • Corinne Le Lepvrier
  • Cyril Pansal
  • David Jacob
  • Dominique Hasselmann
  • Dorothée Chapelain
  • Eric Macé
  • Eric Tessier
  • Fabien Sanchez
  • Florence Noël
  • Françoise Gérard
  • Gabriels F
  • Gracia Bejjani
  • Grégory Rateau
  • Gwen Denieul
  • Isabelle Pariente-Butterlin
  • Jacques Cauda
  • Jan Doets FR
  • Jean-Claude Bourdet
  • Jeanne Morisseau
  • Julien Boutonnier
  • Kieran Wall
  • Laetitia Testard
  • Lanlan Hue
  • Lélio Lacaille/aunryz
  • Lucien Suel
  • Marie-Christine Grimard
  • Marie-Pier Daveluy
  • Marine Giangregorio
  • Marine Riguet
  • Marlen Sauvage
  • Martine Cros
  • Miguel Angel Real
  • Mots liés/aunryz
  • Murièle Modély
  • Nicolas Bleusher
  • Nolwenn Euzen
  • Peter O'Neill
  • Philémon Le Guyader
  • Pierre Vandel Joubert
  • Romain Fustier
  • Sandrine Davin
  • Serge Bonnery
  • Serge Marcel Roche
  • Tara Mahapatra
  • Tom Buron
  • Virginie Séba
  • Yan Kouton
  • Zakane

Tags

Aedificavit Anh Mat Anna Jouy Au-bord-de-tout Au bout du village BLAST Boîte de réception Brienne Brigitte Celerier Ce serait ... Christine Zottele Chronique de l'escalier Chroniques du su et de l'insu Claude Enuset Confessions intimes Conjuguer sa vie Contes de l'équateur Cosaquiana Destins Diaspora, feuilleton Drôle d'Histoire F.C. Terborgh Florence Noël Françoise Gérard Gabriel Franck Gwen Denieul Hoel et Léo Hyperbôle Il y a quelqu'un Journal de vacances L'amour qui ne se dit pas L'apatride La bague, feuilleton La bataille finale de Teruel (la Guerre Civile d'Espagne) Lan Lan Huê La nuit semblait venue La Révolution russe de 1917 La tentation du vent La Tranchée le monde est une rencontre Le passage de l'hiver Les carnets du Major Syvorotka Lettres à mon grand ami du nord longreads Anna Jouy Luc Comeau-Montasse Là où la vie patiente Maisons Ma langue aux chiens Manivelles Marlen Sauvage Martine Cros Mon oncle Murièle Modély Musique Peintre regarde moi ... et mon regard latéral Pensées d'un passeur Portraits de famille Portraits fictifs Poèmes d'amour et de Pygmésie intérieure Poésie de l'ancienne Chine Ralentir passage de rêves Sabine Huynh Secrets de maisons Simon seul Tissus de mensonge Underground Un jour une rencontre Un roman cathare Vases Vieilles histoires d’un pays haut Villes jamais Yan Kouton Zakane À mon amie perdue Éditions QazaQ

Creative Commons

Licence Creative Commons
Tous le contenu de Les Cosaques des Frontières est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

Propulsé par WordPress.com.

  • Suivre Abonné∙e
    • Les Cosaques des Frontières
    • Rejoignez 305 autres abonné∙e∙s
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Les Cosaques des Frontières
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné∙e
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…
 

    %d blogueurs aiment cette page :