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Les Cosaques des Frontières

Archives de Tag: Sabine Huynh

Nolwenn EUZEN, ‘Cours ton calibre’, éditions QazaQ, 2016 (avec une postface de Jean-Louis Giovannoni

17 dimanche Avr 2016

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Sabine Huynh

Couv Cours ton calibre

Cours ton calibre, c’est une écriture « sous contrainte » (mots de Nolwenn Euzen), c’est de la poésie donc, et pas n’importe laquelle, puisqu’elle se révèle exigeante, inattendue, et quelque peu sibylline, ce qui n’est pas forcément un défaut.

On sent la contrainte mentale pétrir la langue et la renouveler en la roulant contre la poésie telle qu’on croit la connaître. On y sent aussi le plaisir d’écrire – de plier, de déplier, de coller, de construire et déconstruire – et le brin d’auto-dérision qui fait dire à Nolwenn Euzen des choses comme « on réclame une place pour la passivité », et qui lui fait tordre le cou à la langue çà et là : une revendication du droit de descendre du train en marche, de rester impassible, distincte et droite, au milieu d’une foule agitée, ce qui revient à aller à contre-courant, mais sans dépenser d’énergie autre – énergie énorme ! – que celle demandée par une réflexion profonde, qui « court » sans arrêt, sans avoir peur de buter, et, paradoxalement, sans précipitation, et vers la contrainte !

C’est effarant, n’est-ce pas ? Oui, Cours ton calibre est un texte « sous contrainte » qui est contraire aux règles établies, donc outrageusement libre. Il semblerait même qu’à un moment donné, on ait eu affaire à trop de liberté ici, à une mer sans balises, et qu’elle a été à la fois désirée, chérie et crainte, par crainte du relâchement, dans l’écriture s’entend, car il ne s’agit au fond que d’écriture dans Cours ton calibre : de l’objet contenu dans son diamètre, de sa forme, de ses dimensions, de sa valeur aussi. La liberté atteinte, effrayante, a semble-t-il constitué un poids : un souvenir d’immersion et de dilution transparaît dans l’emploi du « on » dans le texte, une façon de montrer que quelque chose nous efface, nous neutralise, qu’on s’est égarée dans ce no man’s land de la distance entre soi et soi (le projeté et le recherché) – quel est son calibre ?

La contrainte devient alors une bouée de sauvetage gonflée qui tire l’être et la parole vers l’intensité intellectuelle qui les ranimera. Mais pour lui être totalement attentive, il faut se soustraire aux vicissitudes de la vie (« Le monde est moins urgent »), obstacles à l’écriture, et s’engager sur des échelles qui mènent toujours plus haut, vers un air plus pur, qui grise l’imagination, et invite à aller chercher beaucoup plus loin ses mots, aussi loin que dans l’abstraction et l’invention – le texte pulse de néologismes qui attirent notre attention sur la singularité d’une langue qui prend définitivement de la vitesse.

 Extraits :

  • on a jamais demandé la lune on niche une sémantique de proximité pas vraiment apte est-il précisé de quoi il est question ce qui était inapproprié le bord de nos houles
  • on se dépense sans compter pour trôner en soi-même on ne rentre pas systématiquement dans nos bonnes grâces moulé dans une copie on ne force pas pour se comprendre on se cueille refoulé de son mou à force de le rendre plat
  • on tient mieux dans le portrait en petit calibre qu’en poids lourd mais on en éprouve pas la même satisfaction parfois on se peaufine la finesse du phasme mais je s’entrouble
  • Ce livre est disponible dans un format numérique aux éditions QazaQ. Merci à Jan Doets pour ces toutes jeunes éditions au catalogue déjà impressionnant.

 

Texte: Sabine Huynh,  Terre à Ciel

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Nodules de mots tu(é)s

02 jeudi Juil 2015

Posted by lecuratordecontes in Sabine Huynh

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Sabine Huynh

Nodules

Dans la ville il y a une maison
Dans la maison il y a un jardin
Dans le jardin il y a un chien
Dans le chien il y a un cœur
Dans son cœur il y a l’amour
D’une petite fille qui se tait

Dans la maison il y a une chambre
Dans la chambre il y a un lit
Dans le lit il y a un oreiller
Dans l’oreiller il y a le carnet
D’une petite fille qui se tait

Dans le jardin il y a des fleurs
Dans les fleurs il y a des abeilles
Dans les abeilles il y a les paroles
D’une petite fille qui se tait

Dans la petite fille il y a la ville
La maison le jardin le chien les fleurs
La chambre les mots
D’une petite fille qui se tait

Dans la ville il y a un appartement
Dans l’appartement il y a un bureau
Dans le bureau il y a une femme
Dans la femme il y a une petite fille
Une petite fille qui se tait
Dans sa bouche bourdonnent les abeilles
Elles piquent ses joues
Elles font des nœuds avec les non-dits
Dans la femme il y a des nodules de mots tu(é)s
Des boules de feu qui font voler en éclats
Les vitres des fenêtres toujours fermées
De la maison muette

Son regard se détourna en croisant la seringue de métal sur le plateau, parmi la douzaine d’instruments étincelants. Cela ne ferait pas plus mal qu’un dard, n’est-ce pas ? Un dard de frelon fiché dans la joue. Le chirurgien dit en riant qu’il était temps qu’elle arrête de se ronger de l’intérieur. Sans comprendre, elle rit avec lui. Puis tout se passa très vite, compresses fourrées dans la bouche, piqûre d’abeille, triturations, tube de succion – ces assonnances et ces allitérations : on se croirait presque dans un poème.

Elle entendit « scalpel », elle entendit « tu vois le muscle là, tu dois couper juste au-dessus, mais quand même bien à la base, il faut partir de la base », et elle opina dans sa tête : c’est toujours de la base que ça provient, de ce corps-là, et ce sur quoi il repose, l’origine, cette inconnue, l’origine de l’écriture. Elle imagina l’adjoint du chirurgien ratant son coup et lui sectionnant un ou plusieurs muscles, ceux de l’élocution, de l’expression faciale, du sourire.

Elle entendit « ça saigne profusément, je ne vois plus ce que je fais, succion s’il te plaît ». Elle frémit en se souvenant des longs couloirs gris et vides de l’Hôtel-Dieu, cet hôpital lyonnais où, à l’âge de six ou sept ans, son père l’avait amenée pour qu’on lui enlève une boule dans le palais. Elle ne se souvient pas avoir crié, mais elle sait qu’elle l’a fait, parce que le chirurgien, le visage suant de colère, lui avait soufflé, comme on envoie un soufflet sur la joue, « mais tu vas arrêter de hurler et de pleurer à la fin ? » Elle se débattait aussi, il avait fallu la sangler, puis l’endormir à l’éther.

Ensuite – était-ce le jour-même ou le lendemain ? – son père l’avait conduite au supermarché de la ville de banlieue où ils vivaient, pour lui acheter un cadeau. Il lui dit qu’elle pouvait choisir n’importe quel jouet du rayon. Elle, qui d’habitude avait toujours pour consigne de ne prendre que « le plus petit le moins cher parce que tu as trois petits frères », embarrassée, ne sut pas. Il prit pour elle un véhicule pour enfants, et elle traversa le supermarché en le chevauchant timidement, avant d’en passer les portes coulissantes. Un camion avec une remorque ? Une locomotive avec des wagons ? Impossible de s’en souvenir, même si la couleur éclaire l’absence : jaune d’œuf.

Le chirurgien lui demanda si ça allait, lui dit que ça irait, qu’il ne fallait pas qu’elle s’inquiète à cause de la biopsie. Elle répondit que ce n’était pas la biopsie qui l’angoissait, mais juste quelques mauvais souvenirs d’une chirurgie buccale subie quand elle était enfant, et peut-être une autre aussi, en Angleterre, à l’âge adulte, mais celle-là, elle ne s’en rappelle pas du tout, on lui a raconté. L’infirmière lui conseilla de décroiser les jambes, de desserrer ses mains, de respirer normalement, « n’oubliez pas de respirer, mais gardez les dents bien serrées, n’ouvrez surtout pas la bouche ». Continuer à la fermer, roulée en boule. Qu’y avait-il à dire de toute façon ?

À cette question, elle découvre ce qu’ont refoulé ces boules qui ont poussé dans sa bouche cousue, sous son palais et à l’intérieur de sa joue : les creux et les pleins d’autrefois, qui entravent la parole. La joue n’est-elle pas considérée comme révélatrice des troubles intérieurs ? Intérieures et antérieures, ces histoires qui explosaient dans la famille, ce passé charrié d’une génération à l’autre, puis balayé sous le tapis de peau de son visage rouge de gifles et nu de baisers. Nodules de mots tu(é)s qui pulsent comme des cœurs en désaccord, taches en relief, fanaux fatigués, se nourrissant de dureté sous la joue pourtant douce, encore, si vous saviez.

Joue c’est jouer aussi, ou pas assez, ou jamais, et aujourd’hui ces boules pour rien, qui ne roulent ni ne rebondissent, ces nœuds où la parole s’échoue, s’étrangle, et qu’il lui arrive de mordre quelquefois, exprès, ou pas. Quand ils recousirent ses pensées, elle craignit que le fil ne fût noir. Il était blanc. Le sang le maquillerait peut-être. Quelle différence cela faisait après tout ? Puisqu’il tomberait au bout de quelques semaines, le fil de ses pensées, dont les nœuds sont faits.

Tomber hors d’un trou ou dans un trou, ne rien pouvoir en dire, ressasser ce non-dit jusqu’à sa matérialisation tumorale, se faire enlever un morceau de joue, et avec un peu de chance, se retrouver avec une cicatrice en forme d’étoile ou de cristal de glace, qui scintillerait en secret dans la nuit blessée de la bouche contrainte au désert. « Mais le plus beau dans mon terrier c’est son silence, bien sûr il est trompeur » (Kafka). Attendre lèvres ouvertes que tout cela donne les phrases dont on a besoin pour vivre.

Texte et image : Sabine Huynh, Tel Aviv, 30/06/2015

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Le premier saut en parachute

05 dimanche Avr 2015

Posted by lecuratordecontes in Sabine Huynh

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Sabine Huynh

Parachute club.1

Parachute club.2

J’ai longtemps hésité avant d’entreprendre le récit de mon premier saut en parachute. Je m’y résouds aujourd’hui, poussé par une nécessité impérieuse.
(Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance)

J’inspire profondément, je retiens ma respiration, je relâche et je saute dans le vide de la page blanche à remplir. Je ne sais pas si le parachute s’ouvrira au bon moment, à la bonne seconde, car une seconde plus tard tout peut être fichu et les mots déployés en corolle au-dessus de la tête ne sauraient empêcher l’enlisement irréversible. Écrire me fait très peur, ce qui révèle peut-être combien cela m’est nécessaire. Parler en public, devant une classe d’étudiants ou un parterre de conférenciers me faisait le même effet ; devant une classe d’enfants de cinq ans aussi. Il m’arrivait de perdre mes moyens, ce qui dans mon cas voulait dire perdre la parole et la mémoire. Ce n’était même pas que le parachute ne s’ouvrait pas, il disparaissait.

C’est pour cela qu’au bout de vingt ans j’ai arrêté d’enseigner. Pourquoi pas avant ? Parce que me mettre dans des situations qui pour moi étaient des situations extrêmes, des situations de risque, me permettait de me repaître des bouffées d’adrénaline nécessaires à ma survie. Lorsque la sécrétion d’adrénaline augmente, le cœur bat plus vite, le sang pulse plus fort, la survie de l’individu qui vient de faire l’expérience d’une situation qui aurait pu lui être fatale est ainsi boostée, mais au préalable, il faut qu’il se soit mis en danger mortel. Je l’avoue, j’étais droguée à l’adrénaline, mon élixir d’immortalité.

On ne se jette pas dans le vide n’importe comment, on prend sa décision longtemps avant de sauter. Se jeter dans le néant veut dire vouloir en finir avec ce qui a été, et renaître pour entamer quelque chose de nouveau. Cette volonté d’en finir avec ce marasme, toute cette lourdeur, toute cette difficulté d’être, avec ce parachute de quinze kilos sur le dos et sur le ventre. C’est un saut dans l’inconnu. C’est aussi une sorte de suicide raté. Mais tandis qu’on prépare son saut, on n’est pas forcément conscient de ce que cela implique (cette renaissance dont je viens de parler), on ne le réalise que plus tard.

Clara Malraux avait dit à Perec que le saut en parachute équivalait à une psychanalyse. Il avait été surpris par sa remarque et l’avait trouvée drôle. J’ai eu la même révélation qu’elle après mon premier saut en parachute : d’un coup, tout était réglé, pas à jamais (et cela aussi, il faut du temps pour le comprendre), mais pour assez longtemps, le temps de se reconstruire un peu. Pour moi ça a eu des résonnances absolument incontestables.

Je ne me souviens pas vraiment de mon saut en parachute. Je peux cependant vous en parler parce que je me souviens de certaines phrases déjà utilisées lors de ses narrations successives. J’ai eu un problème cinq ans auparavant, à cause de LSD ingéré à mon insu, et des pans de ma mémoire à long terme se sont écroulés, tandis que la mémoire immédiate, affectée également, a mis plusieurs années à se rétablir. Ma mémoire fonctionnait à peine à l’époque de mon saut en parachute, je me demande d’ailleurs comment je faisais pour enseigner (j’étais lectrice dans une université anglaise). Je devais être très mauvaise. Mais trêve de digressions, je vais vous raconter ce que je sais raconter, peu importe si mes souvenirs ou les mots qui se font passer pour eux sont fidèles à la réalité ou pas.

L’année de ce saut en parachute, j’enseignais donc, au douzième étage d’une tour qui surplombait la pelouse centrale du campus. De mon bureau, je pouvais voir assez loin : la ville couleur brique, avant les usines noires, puis la campagne verte. Pour monter au douzième étage, il fallait prendre un paternoster, un ascenseur spécial inventé en Angleterre, dénué de porte (est-ce ce détail qui l’a rendu populaire dans les bâtiments de la Stasi de l’Allemagne de l’Est ?). Les cabines du paternoster, indépendantes les unes des autres mais toujours maintenues verticales grâce à deux chaînes qui les relient entre elles, montent et descendent dans un mouvement continu, entraînées par des poulies dentées, ce qui peut évoquer les perles d’un chapelet égrenées lors de la récitation du Notre Père.

À chaque fois que je posais un pied sur le sol d’une cabine du paternoster en mouvement, mon cœur faisait un bond, libérant une poussée d’adrénaline. Le paternoster est un type d’ascenseur dangereux : on le prend et on le quitte en marche. J’avais tendance à sauter dans la cabine ou hors d’elle. Je vous parle de cet ascenseur parce que le prendre me grisait, et puis ce n’était peut-être pas un hasard que l’année de l’entrée du paternoster dans ma vie coïncidât avec celle de mon saut en parachute.

Saviez-vous qu’en plus de désigner la voile qui s’ouvre en corolle pour ralentir la chute d’une personne ou d’un objet, le mot « parachute » désigne également un mécanisme placé sur la suspension de la cabine d’ascenseur pour bloquer celle-ci et en empêcher la chute libre en cas de rupture des câbles de traction ? Quatre cents mètres plus bas il y a la terre, c’est-à-dire qu’il n’y a rien. Il n’y a rien devant nous, et on doit se jeter. C’est ce moment dont je voudrais vous parler. C’est pour ça que je vous raconte cette histoire.

Un soir, je suis sortie de cours et l’un de mes étudiants m’a entraînée à la projection d’un film documentaire sur le « skydiving » et le « free fall », ou saut en chute libre (avant l’ouverture du parachute, actionnée manuellement par le parachutiste). Nous y avons retrouvé plusieurs de mes amis. Le film montrant des hommes et femmes casqués aux sourires ballottés par l’air du ciel a captivé la tête brûlée que j’étais. Je me suis inscrite au stage d’une journée, qui serait suivi par six sauts avec un parachute sur le dos (dont l’ouverture est actionnée par une sangle d’ouverture automatique accrochée à un câble reliant le parachutiste à l’avion) et un parachute sur le ventre (le parachute de secours, à ouvrir soi-même), avant le saut en chute libre et le brevet final. Faire cet acte absolument gratuit.

Le samedi 2 décembre 1995, il y a presque vingt ans, un car nous mena de l’université au terrain d’aviation. Je ne sais pas si je dois dire « terrain » ou « camp » d’aviation, ou plutôt employer le terme « base aérienne ». La différence entre les trois n’est pas claire dans mon esprit, je risque donc de me tromper dans l’usage, que les puristes me pardonnent.

Il avait fallu se lever à l’aube, le stage débutait tôt. La brume s’était dissipée peu à peu durant le voyage, révélant, à notre arrivée, une tombe fraîchement creusée, dont l’emplacement se trouvait environ vingt mètres avant le portail de la base. Accueillis par ce moniteur qui s’était tué lors d’un saut, nous sortimes silencieusement du car, en enfilant nos gants et nos bonnets. Je crois avoir entendu chuchoter un timide « what the hell? » (« c’est quoi ce bordel ? »). L’herbe était toute givrée, la buée sortait de nos bouches bées. On est véritablement condamné.

Cafés, thés, chocolats chauds enflammèrent nos gosiers, puis nous fumes rapidement dirigés vers l’extérieur et divisés en groupes. J’étais la seule personne de sexe féminin. Toute la formation allait se dérouler dehors, debout, avec une pause à midi pour avaler du concombre et du cresson en mayonnaise fourrés entre deux triangles de pain de mie mou et froid, et engloutir, avant que le gobelet ne fonde sous nos doigts, une soupe lyophilisée fumante. Je crois qu’il y eut aussi une pause-goûter, avec des barres de Mars.

Dix heures passées à apprendre comment ne pas mourir à cause d’une erreur. Devant des tables, plier et replier des parachutes, dans un ordre strict, sinon il ne s’ouvre pas ou pas correctement, se coince… On les pliait et on les rangeait sur des étagères une fois qu’on était sûr qu’on sauterait sans hésiter avec. Le pire, c’est quand le premier parachute, le principal, le dorsal, s’ouvre mal (trop lentement, par exemple) et que le deuxième, le ventral, le parachute de secours, appelé « parachute de réserve » en anglais, est actionné trop tôt (dans un excès de panique, par exemple), entraînant les deux parachutes à s’étreindre dans une chandelle mortelle. Je me promis de ne pas y songer le jour du premier saut. On doit à tout prix faire confiance à quelque chose. On doit à tout prix faire confiance à ce parachute.

L’un des exercices consistait à monter  dans une carcasse d’avion posée au sol — un vieux Cessna je crois. On montait du côté où on faisait la queue et on ressortait de l’autre pour en sauter, les bras en croix, la tête renversée en arrière, le dos arqué et la voix criant aussi fort que les poumons transis le permettaient les mots « One thousand, two thousand, three thousand, check canopy! » (« mille, deux mille, trois mille, vérifier le parachute »). Huit mots appris par cœur, pour ne pas paniquer durant les quelques secondes qui suffisent à les dire, secondes pendant lesquelles le parachute formidable fleurit au-dessus de vous. Si au bout de ce cri vous constatiez en levant les yeux qu’aucune toile ne vous faisait de l’ombre, il vous fallait actionner immédiatement votre parachute de secours. Et pendant qu’on apprenait à ouvrir le parachute ventral en répétant à l’infini et de plus en plus vite l’action de baisser les yeux, localiser sa poignée sur sa poitrine et littéralement l’arracher de là de toutes ses forces, on priait pour ne jamais avoir à le faire dans les airs. Combien de fois avons-nous répété ces exercices ? Cinquante, cent fois chacun ? Combien de fois l’entraîneur m’a-t-il hurlé de crier plus fort, encore plus fort ? Parce que s’il ne m’entendait pas de l’avion, il ne pourrait pas noter ma performance : pas de note égalait échec automatique.

On nous fit également monter l’un après l’autre sur une tour en métal, nous cramponner à deux manettes reliées chacune à un câble par des poulies (je ne suis pas sûre du mécanisme) et sauter d’une hauteur de dix ou vingt mètres, le regard porté droit devant, les pieds joints et les genoux fléchis vers la poitrine. À l’atterrissage, nous devions effectuer une roulade vers l’avant, pour apprendre à plaquer le parachute au sol afin que l’air en sorte, afin qu’il ne nous traîne pas à terre (nous aurions risqué de nous blesser). Saut, roulade, puis se relever, remonter dans la tour, sauter à nouveau. C’était l’exercice que je préférais, j’aurais voulu le répéter sans fin, paternoster.

Le reste se perd dans le brouillard épais de la campagne anglaise en décembre et se confond avec le jour du premier saut. À la fin de la journée, on me remit une carte, me confirmant que j’avais réussi mon stage, à moins que je n’aie reçu cette carte le jour de mon premier saut… ce qui ferait du 2 décembre 1995 non pas le jour du stage mais celui du baptême. Peu importe.

Ce jour-là se fit attendre. C’était l’hiver, les conditions climatiques n’étant pas clémentes, il fallut reporter le saut plusieurs semaines de suite. Les débutants (et peut-être même les confirmés, qui sait ?) n’avaient pas le droit de risquer leur vie un jour de grand vent, par mauvais temps, ou sous des nuages tout simplement.

Je me souviens avoir mis un jeans parce que c’était censé mieux vous protéger que d’autres types de pantalon. Je me souviens avoir enfilé des collants sous mon jeans pour ne pas avoir froid dans le ciel. Je me souviens avoir fait rire mes amis parce que j’avais emporté avec moi mes lunettes de natation, sans savoir qu’on nous donnerait des lunettes d’aviation. Au fur et à mesure qu’on avance, on perd peu à peu conscience, la seule chose qui reste c’est cette volonté. Je me souviens avoir sauté sans mes lunettes de vue aussi, alors que j’ai toujours été très myope. C’était ma seule paire, je ne pouvais pas me permettre de la casser. Je me souviens que mon ami norvégien Georg chiquait sans relâche du tabac durant le trajet en voiture, pour se donner du courage. Il avait la nausée, il était à jeûn. Je me souviens avoir échangé des plaisanteries avec mon ami singapourien Basile, des promesses aussi : on se prendrait en photo dans les airs. Promesse que je n’ai pas tenue, même si je lui ai fait signe dans les airs, avant qu’il ne disparaisse de mon champ de vision. Promesse que lui a tenue, mais il ne m’a jamais donné les clichés et je l’ai perdu de vue l’année d’après ; à l’époque nous n’avions pas encore Facebook et l’E-mail était balbutiant.

Je me souviens avoir flotté pendant un bon quart d’heure, alors que Basile et Georg m’avaient dit n’être restés dans les airs que huit ou dix minutes. Se peut-il que ce fût seulement un quart d’heure ? Il m’avait semblé voler pendant des heures. Je me souviens que mon ami malaysien Noël avait décidé à la dernière minute de ne pas sauter, à moins que ce ne fût mon ami singapourien Nicholas, non, il a sauté, lui. Je me souviens que ce dernier, très croyant, ne cessait de répéter, derrière le volant de sa voiture, « Oh man… why are we doing this? Please God, help me God, I don’t want to die today! » (« Sérieux… pourquoi on s’inflige ça ? Mon dieu, s’il vous plaît, aidez-moi, je veux pas mourir aujourd’hui »). Je me souviens qu’il a répété « oh man » à la vue de la tombe du parachutiste malchanceux.

Je me souviens avoir fredonné en balançant les jambes et en tirant la manette de droite pour virer à droite, la manette de gauche pour virer à gauche. Je m’amusais comme une enfant, j’essayais de siffloter, tout en cherchant des yeux la « chaussette » de la base aérienne, indicatrice de la direction du vent, qu’on nous avait dit de constamment garder en vue pour ne pas nous perdre. Était-elle jaune, verte, rouge ? Je l’ignorais, je n’y voyais rien de toute façon, je n’avais aucune idée d’où je me trouvais et je m’en contrefichais. Je n’avais jamais été aussi heureuse de ma vie, j’aurais voulu rester là-haut pour toujours.

Je me souviens des champs qui rosissaient, du sol qui se rapprochait vite vite vite, de mes pieds joints, genoux fléchis, mains qui serraient les manettes comme si ma vie en dépendait, et le souvenir de m’être déchiré la membrane entre le pouce et l’index en serrant trop fort les poignées du guidon du vélo de mon frère, à l’âge de six ans peut-être, s’est superposé dans un flash aux sensations procurées par l’atterrissage. C’était la première fois que je montais sur un vélo, celui-ci n’avait ni pédales, ni freins. Je ne l’ai plus fait jusqu’à l’âge de vingt-quatre ou vingt-cinq ans, soit environ deux ans après mon saut en parachute. Mais je crois qu’à l’âge de quinze ans je suis tombée méchamment de vélo, m’ouvrant le mollet, à moins que ce ne fût de mobylette, oui, la mobylette de mon frère. Bref, après ce saut en parachute, je n’ai plus eu peur de rien pendant longtemps, et surtout pas du ridicule de me retrouver en train de chuter de la bicyclette de ma meilleure amie, à Lyon, sur les quais du Rhône, le jour où elle m’a appris à en faire. J’avais donc vingt-quatre ou vingt-cinq ans et j’ai mis plusieurs mois avant de réussir à tourner à gauche sans me retrouver par terre. Ce sentiment d’invincibilité s’est dissipé peu à peu lors de mon stage de professeur de l’enseignement secondaire dans le comté anglais du Norfolk, en 1997-1998, mais c’est une autre histoire, que je raconterai peut-être un jour.

Je me souviens de ma fierté à avoir effectué un atterrissage en douceur, de mon regret que personne ne fût là pour le voir. J’ai tranquillement ramassé le parachute, qui était froid et humide, décidé d’une direction à prendre, et commencé à m’enfoncer dans la pénombre avec la lourde toile dans les bras. Je recommençais quelque chose que j’avais déjà connu. Je me souviens de la lampe frontale du casque de l’entraîneur braquée sur mon visage, des cris de soulagement de mes amis, des paroles de Mike, ou de Basile, je ne sais plus : « C’est elle ! Oh mais regardez-la, ça fait des plombes qu’on la cherche et elle nous accueille avec ce sourire idiot ! Mais qu’est-ce que tu faisais, où étais-tu passée ? On s’est fait un sang d’encre ! Mais arrête de sourire comme ça ! ». Je me souviens du flash de l’appareil-photo de Basile, qui a tenu à immortaliser mon sourire idiot.

Je me souviens n’avoir pas eu peur jusqu’à la seconde précédant le saut dans le vide, à des centaines de mètres d’altitude. C’est à ce moment-là que se pose le problème du choix, exactement le problème de la vie tout entière. Mon esprit devait s’accrocher aux huit mots-talismans. Quand j’étais petite et que je souffrais dans ma chair, je me répétais « l’esprit est plus fort que le corps, l’esprit est plus fort que le corps ».

Je ne me souviens de rien entre la tombe et cette seconde-là.

Puis il y eut la tape du moniteur sur mon épaule. À ce signal, j’ai sûrement avancé mes jambes pour les laisser pendre hors de l’avion et, soudain, la salve des « Go go GO! » mitrailla mon dos. Ma main (gauche ou droite ?), alors agrippée à une paroi de l’avion, lâcha prise et sans savoir comment, je me retrouvai

dans le vide

 à crier

 en tombant

hors de moi.

 

Je crois qu’il faut, il faut que nous acceptions de sauter, c’est tout.

Sab.photo de K.Worsdell

Texte  : Sabine Huynh
Photo (prise il y a deux décennies): K. Worsdell
NdA : Toutes les phrases en caractères gras sont de Georges Perec, extraites du texte « Le Saut en parachute » (en: Je suis né).
Une première version de ce texte a été publiée sur le blog de François Bonneau, L’irrégulier, lors d’un vase-communicant effectué avec François le 07/12/2012.

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Je résisterai

24 mardi Mar 2015

Posted by lecuratordecontes in Sabine Huynh

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Sabine Huynh

Je résisterai

Note : À l’adolescence, Sabine Huynh s’est retrouvée à la rue, après le divorce de ses parents. Aujourd’hui écrivain, elle évoque pour la première fois cette facette de sa vie dans un texte qu’elle a écrit pour soutenir le travail du photographe Marc Melki, qui s’attache à sensibiliser l’opinion publique sur le sort des sans-abris.

À Paris depuis presque une semaine pour le travail, je prends le métro tous les jours et je constate avec désolation que cette ville au ciel gris et ses lieux publics sont dépourvus de bancs où l’on pourrait s’allonger pour dormir. Je vis à Tel Aviv, une ville où l’on trouve des bancs et des sièges à tous les coins de rue, une ville où des bancs larges, longs, assez confortables, propres, souvent repeints, jalonnent les boulevards, offrant à quiconque en éprouve le besoin un moment, un lieu, de repos, décent. L’on peut aussi dormir sur la plage.

À Paris, le choc. Je ne vois pas de bancs dehors, ils semblent rares dans les jardins publics, et sur les quais du métro, s’il y en a, ils ne sont faits que de trois lattes étroites bien disjointes, l’ensemble d’une largeur à peu près équivalente à la longueur de mon iPad (25 cm. ?), avec la latte centrale surélevée de façon à empêcher tout corps de s’y allonger. Même s’y asseoir est inconfortable au possible. Si la banquette est en béton, on aura pris soin d’y coller, tous les 40 cm. environ, des carrés surélevés, empêchant ainsi de s’y coucher. Sinon, l’on dispose juste d’une barre en métal, inclinée si elle est plate, ersatz nu et froid où coller ses fesses.  Mais d’habitude, c’est à une série de sièges individuels qu’on est confronté, à l’assise trop étroite, ou trop incurvée, encore une fois pour interdire l’allongement du corps en travers, sur plusieurs sièges, ou pour faire du repos une torture.

Pourquoi tant de haine envers les personnes qui dorment dehors parce qu’elles n’ont pas le choix ? Pourquoi cette absence totale de compassion ? Ce mépris du pauvre ?

L’autre jour, dans le métro, deux musiciens à l’air triste ont joué des airs enjoués au saxophone, du jazz américain. Lorsqu’ils ont quitté la rame, un garçon âgé d’environ dix ou onze ans s’est tourné vers sa mère et lui a dit : « Ah, enfin, les musiciens sales sont partis, on va avoir plus de place. » La mère a vu mon regard noir sur son fils. Elle lui a chuchoté mollement que c’était bien, la musique, pourquoi tu dis ça.

Hier, une jeune femme a traversé la rame avec un bébé mal vêtu accroché à son sein. Elle demandait des pièces pour manger, d’une voix douce et claire. Ses yeux souriaient sans cesse à son enfant. Les passagers la toisaient avec dégoût, puis s’échangeaient des rictus de connivence, ou bien ils gardaient les yeux rivés au sol. Les miens ont suivi la peau de ce sein offert, une peau de lait légèrement boutonneuse, salie à la fois par la crasse des mains qui l’agrippaient et par les regards qui le violaient. Bien que mécréante, j’ai prié mentalement pour que la force de vie de cette jeune mère perdure.

Dans son roman Feu pour feu, Carole Zalberg écrit : « Je ne me coucherai pas sur le goudron luisant de pluie. Je résisterai à l’idée pourtant soudain envoûtante de l’abandon » (Feu pour Feu, Actes Sud, 2014, p. 61).

Ces deux phrases m’ont frappée par leur justesse, car je sais bien qu’avant le moment où, trop faible, trop fatiguée, l’on consent enfin à laisser son corps s’affaisser dans une cabine téléphonique, sur un banc humide, ou sous un banc, sur le gravier constellé de mégots, ou encore sur le béton froid d’une cave d’immeuble ou d’un local à poubelles — mais où appuyer la tête, si fragile, où poser la joue, où ? Sur la main ? Sur l’avant-bras ? Et sentir sous sa paume les aspérités du sol, la poussière, les débris… C’est la paume ou la joue — on lutte, on s’oppose de tout son être à cette chute, à cette violence faite au corps qui, on le sait déjà inconsciemment, portera toujours en lui l’infâmie de cette dégradation. Les yeux resteront à jamais voilés des toiles d’araignée qu’ils ont regardées de trop près, pendant trop longtemps, les poumons étouffés par ces souvenirs gluants, par les odeurs, les oreilles resteront toujours à l’affût. Que peut faire une personne allongée par terre, immobile, sans défense, sinon enregistrer les moindres sons, sursauter au moindre bruit, trembler de peur et d’espoir emmêlés, accrochée à l’imminence d’un nouveau renversement ?

Parfois une odeur corporelle — celle d’un(e) autre qui vous ramène à la vôtre, ancienne, enfouie — vous chavire les sens et vous replonge dans ces moments subis qui vous dégoûtent de vous-même. Vous êtes obligée de marcher vite pour arrêter le tangage, de courir même, fuir, laisser le vent vous crucifier de part en part, pour ne plus rien ressentir de ce qui vous assommait, vous tétanisait, vous dérobait ce qu’il vous restait d’identité et de dignité.

Ne croyez pas, ne croyez jamais, qu’un homme à terre l’a voulu, ne laissez pas de telles pensées le fouler, le blesser encore plus qu’il ne l’est déjà dans sa chair et dans sa tête. Un homme, une femme, un enfant, au ras du sol, ont résisté jusqu’à la cassure avant de sombrer. Et même s’ils parviennent à s’extirper du gouffre, à vivre mieux, dedans le cassé déhanchera toujours leur vie, toujours. Quoi que puissent en dire les rêveurs, quoi que puissent en « montrer » les artistes qui créent l’illusion d’une liberté de choix, de la jouissance de jours sans entraves ni contraintes.

La rue est une prison. Il n’y a ni poésie ni espoir dans la rue qu’on subit.

Me sachant à Paris, Marc Melki m’a demandé de poser pour la série de photographies « Exils Intra Muros ». J’ai refusé, n’ayant pu envisager de faire semblant de dormir dans la rue, alors que je l’avais déjà vécu. Cela ne m’empêche pas d’admirer son travail. Qu’il en soit remercié par ce texte, que je confie aux Cosaques des frontières, un refuge pour les dépaysés, pour les sans-pays, les sans-abris.

Sabine Huynh
(Paris, 23 mars 2015.)
Photo (agrandissable par cliquer) : Marc Melki
Exils Intra Muros:
http://exils-intramuros.org/
Diaporama
: http://www.marcmelki.com/diaporama.php?id_reportage=14309

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C’est un monde

10 samedi Jan 2015

Posted by lecuratordecontes in Sabine Huynh

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Sabine Huynh

C'est un monde

Ma fille a toussé toute la nuit
ce matin m’a dit avoir rêvé
d’un éléphant s’empifrant de plumes.
Combien de temps encore
vais-je pouvoir lui faire croire
que ce monde est merveilleux ?
Et pourtant avec elle il l’est.

La bouche sculptée au couteau
de la poète Yona Wallach
soulignée de rouge
a dit avoir écrit tous les mots
les siens, ceux qui restaient
ceux qu’on avait effacés
ceux à venir, tous les mots
et Yona est morte les yeux ouverts
sur un monde aussi altéré qu’elle.
Fictions, fictions, personnelles
historiques, masques d’échaffaudages
sur la face du monde malade.

Elle est morte le corps compressé
par la douleur, avec le souvenir de ceux
pressés sur le sien, des hommes
qui l’ont aimée, morte
à quarante-et-un an à l’apogée
de son art que l’on savait déjà
abouti alors qu’elle n’avait
que dix-neuf ans. Quelle question
de vie et de mort que la tâche
à laquelle nous nous attelons
lentement chaque jour face au monde
tentant d’en dépasser les crabes.

Je jette une écharpe de feu à la poubelle
j’enroule une écharpe noire et blanche
autour d’un cou qu’on dit trop long
c’est peut-être pour ça que je ne sens plus
mon corps dans ma tête alors que je bouge.
Mais j’hésite à sortir, à lire la peur
sur le visage des autres qui est aussi le mien.

Quelques semaines plus tard je me réveille
toute la nuit j’ai arraché des touffes
de coton de ma bouche, d’entre mes dents
en me demandant pourquoi, alors que
tellement fragiles nous sommes
cassés en dedans, souriants dehors
comme ces fleurs givrées qui ploient
sous le vent d’hiver, l’on s’attend
encore à ce que nous émettions
de la lumière. Pour être phare
il faut voir plus loin que soi
plus loin que les croyances
que les évidences
et arrêter de parler
le langage des sourds
il faut boire le lait des voies
qu’embrassent les langues incroyables
il faut aussi savoir s’immoler.

Certains jours je baisse les yeux
les bras, le ton, les volets, la garde
les commissures droite et gauche
retourne mon estomac sur la table
sans trouver la cause de cette brûlure
qui me sépare de ces mots
qui ne disent pas l’indicible.

Je vis où là
je vis où je lis où que tout
allait s’arranger dans le meilleur
désordre possible ?
C’est un monde             où ma fille
rit à pleines dents, tête renversée
les yeux de plaisir

clos.

Texte et photo : Sabine Huynh

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