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Couv Cours ton calibre

Cours ton calibre, c’est une écriture « sous contrainte » (mots de Nolwenn Euzen), c’est de la poésie donc, et pas n’importe laquelle, puisqu’elle se révèle exigeante, inattendue, et quelque peu sibylline, ce qui n’est pas forcément un défaut.

On sent la contrainte mentale pétrir la langue et la renouveler en la roulant contre la poésie telle qu’on croit la connaître. On y sent aussi le plaisir d’écrire – de plier, de déplier, de coller, de construire et déconstruire – et le brin d’auto-dérision qui fait dire à Nolwenn Euzen des choses comme « on réclame une place pour la passivité », et qui lui fait tordre le cou à la langue çà et là : une revendication du droit de descendre du train en marche, de rester impassible, distincte et droite, au milieu d’une foule agitée, ce qui revient à aller à contre-courant, mais sans dépenser d’énergie autre – énergie énorme ! – que celle demandée par une réflexion profonde, qui « court » sans arrêt, sans avoir peur de buter, et, paradoxalement, sans précipitation, et vers la contrainte !

C’est effarant, n’est-ce pas ? Oui, Cours ton calibre est un texte « sous contrainte » qui est contraire aux règles établies, donc outrageusement libre. Il semblerait même qu’à un moment donné, on ait eu affaire à trop de liberté ici, à une mer sans balises, et qu’elle a été à la fois désirée, chérie et crainte, par crainte du relâchement, dans l’écriture s’entend, car il ne s’agit au fond que d’écriture dans Cours ton calibre : de l’objet contenu dans son diamètre, de sa forme, de ses dimensions, de sa valeur aussi. La liberté atteinte, effrayante, a semble-t-il constitué un poids : un souvenir d’immersion et de dilution transparaît dans l’emploi du « on » dans le texte, une façon de montrer que quelque chose nous efface, nous neutralise, qu’on s’est égarée dans ce no man’s land de la distance entre soi et soi (le projeté et le recherché) – quel est son calibre ?

La contrainte devient alors une bouée de sauvetage gonflée qui tire l’être et la parole vers l’intensité intellectuelle qui les ranimera. Mais pour lui être totalement attentive, il faut se soustraire aux vicissitudes de la vie (« Le monde est moins urgent »), obstacles à l’écriture, et s’engager sur des échelles qui mènent toujours plus haut, vers un air plus pur, qui grise l’imagination, et invite à aller chercher beaucoup plus loin ses mots, aussi loin que dans l’abstraction et l’invention – le texte pulse de néologismes qui attirent notre attention sur la singularité d’une langue qui prend définitivement de la vitesse.

 Extraits :

  • on a jamais demandé la lune on niche une sémantique de proximité pas vraiment apte est-il précisé de quoi il est question ce qui était inapproprié le bord de nos houles
  • on se dépense sans compter pour trôner en soi-même on ne rentre pas systématiquement dans nos bonnes grâces moulé dans une copie on ne force pas pour se comprendre on se cueille refoulé de son mou à force de le rendre plat
  • on tient mieux dans le portrait en petit calibre qu’en poids lourd mais on en éprouve pas la même satisfaction parfois on se peaufine la finesse du phasme mais je s’entrouble
  • Ce livre est disponible dans un format numérique aux éditions QazaQ. Merci à Jan Doets pour ces toutes jeunes éditions au catalogue déjà impressionnant.

 

Texte: Sabine Huynh,  Terre à Ciel