John Martin (1789-1854), Le Pandemonium, 1841, huile sur toile, musée du Louvre, Paris
Vous qui jugez les uns de vos triples hauteurs, ces jeunes illusionnés fraichement débarqués ; avec les mêmes rires glauques vous condamnez de vos trônes empaillés. La flamme n’attend plus que l’étincelle pour exulter. Dans les couloirs vermoulus de vos sociétés secrètes Où l’on distribue bons points, diplômes en vacuité, d’une main lâche vous frappez ; préparant bien en avance vos éloges funèbres et forçant le destin parfois quand le goût du sang monte à la bouche devient trop prégnant.
Que connaissez-vous des routes de la faim ? Pas celles qui creusent le ventre mais le tonneau insatiable, quand les têtes soudain mises à nu tournent sur elles-mêmes en fixant le ciel pour y entrevoir un visage ami, prêt à tendre vers lui, à tout sacrifier.
Mais la constellation change de planète, sourde à leurs vers en faisant semblant d’y croire. Des mots vides, rassurants mais vains. Vous êtes trop loin masqués derrière vos bronzes académiques ; sans peine vous cheminez tristes Nadirs vers les actualités du jour.
Des âmes mortes voilà ce que vous êtes et vos mots ne traverseront jamais la terre. Ils ne sont plus rien.
Quand le siècle soudain se tait, votre nom lui-même s’oxyde.
C’est pour toi l’adieu fraternel sans rancune ni regret Devant cette fenêtre radieuse ouverte aux quatre copains à revivre jusqu’à ma fin nos vies glorieuses puis la dérive de la Seine promise à des banlieues trop lugubres Console-toi des poèmes échangés de nos jeunesses oublieuses des serments sacrés Elle est belle notre trahison de papier Nous y sommes roulant à côté d’autres vies en terre d’amnésie Je est un Autre et pourtant ton ami L’automne de notre rentrée est là où les dos ronds s’agglutinent au bahut des origines Console-toi de nos 9 années et de celle-ci, incomplète je le sais toi, tu dois continuer Moi de l’autre côté respire un bon coup À notre glorieuse amitié !
Ton ami Xavier
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Pluies frileuses Alopécie du ciel loin des cascades à présent stériles qui ne viendront plus adoucir tes nuits Toutes ces « villes intérieures » du manque ne reflètent que soupirs Parapluies décoratifs Imperméables à vif remisés dans les zones d’ombre, inutiles Le sol craquelle en perte de mémoire l’herbe peine à fleurir là où les gouttières privées d’Oasis hurlent à l’asphalte insensible au ruissellement de tes vers aux gestes limites Mimant comme une farce La tornade impossible
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De fenêtre en fenêtre coulisse le vice libre à qui sera celle qui résiste fureur carnassière jeunesses à bout de flaque Paris trop cher abusée comme ses rues tutélaires Fondu au gris sur Haussman dont les lourdes fumées louvoient de-ci de-là avec ce départ imprévu à la pointe Nord d’un calendrier inversé face aux mers en désertion là où des pas trop timides sont stoppés net À la faveur d’un recueillement photogénique flashbacks suspendus Paris est déjà loin sacrifiée aux forces telluriques doux rêves de passagers en utopie
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En septembre 1981, Xavier Girot se suicidait à l’âge de 20 ans, laissant derrière lui plus de 200 poèmes écrits entre les âges de 15 ans et 20 ans. Poèmes à présent réunis par les Editions Raz.
Grégory Rateau est un écrivain et poète français né dans le 93 et vivant aujourd’hui en Roumanie où il dirige un média. Il est l’auteur d’un premier roman, Noir de soleil, chez Maurice Nadeau (sélectionné au Prix France-Liban et au au Prix Ulysse du premier roman 2020) et d’un recueil, Conspiration du réel, chez Unicité. Ses poèmes circulent dans plusieurs anthologies et dans une trentaine de revues en France/Corse, Belgique, Suisse, Roumanie, Portugal et bientôt Espagne et Italie.