Tu as la peau fine elle marque facilement J’ai compris le tout c’est de ne pas laisser de marques Un lancer de basket sur la tête un lancer d’échelle de mezzanine puis un poing sur la pommette Fond de teint maquillage répare le dommage Dommage crier laisse-moi tranquille va-t’en laisse-moi tranquille va-t’en à suivre dans l’appartement enfermée maintenir la porte écran d’ordinateur explosé tasse de café brûlant renversé brûlures Une dispute de couple ça arrive parole de flic Madame vous êtes en danger et votre fils parole d’un deuxième flic Signalement description donné fausse indication Ce n’était pas le premier le premier s’appelle géniteur Claques tapes derrière la tête pour une mauvaise note pour faire lire un titre de livre trop dur pour des maths Claques tapes sur les fesses sur les cuisses sans habits s’appelle fessée déculottée pour un non pour une rébellion pour du vernis à ongles destruction d’objets stylo plume préféré pointe écrasée Une maîtresse a vu à la piscine pas de suite Larmes torrentielles pluie diluvienne dans la chambre déluge du cœur Retour des mots pour un nouveau ciel celui de la culpabilité Pardon ma fille Pardon mais… Mais quoi redoublement de larmes torrentielles pour d’autres ciels Un cauchemar une nuit une fille tuée que j’ai tué je ne sais pourquoi ni comment Que faire du cadavre ? Elle tient dans un carton cubique qui lui-même entre dans mon caddie de courses l’ancien celui où j’habitais avant Le mieux est de le jeter dans la Seine Mon fils est là Il me soutient et participe mature culpabilité palpable de faire porter un tel secret à un enfant et moi je vais devoir vivre avec cette morte secrète sur la conscience et la peur d’être découverte jusqu’à la fin ?
Ils bombent ils bombent ils viennent la nuit toutes les couleurs dans le sac à dos il faut faire vite escalader guetter la bande adverse repasser sur la fresque d’hier
ils montent sur les voies sur les immeubles sur les trains aux dépôts et s’expriment
disent leurs couleurs leurs visages leurs symboles leurs blazes leur nom de code leur nom de couleur chimique street art énergie des villes
ils se cachent des bleus des serpents urbains à l’affût venin féroce de la liberté d’expression
elles aussi sont là elles tracent elles sont des Winnie Graffiti mouvements circulaires du bras elles peignent leurs icônes féminines slogans et désirs sous les bombes la couleur danse dans le métal fait son bruit de jeu d’enfant le circuit à billes en bois du petit frère
elles imaginent leurs pays ils ont les traits les contours de leurs naissances elles inventent les matières métisses inondent les murs de portraits des consœurs de combats elles signent poupées noires sexy et coupe afro robe moulante presque pin-up des couleurs dans les cheveux le lierre des murs devient coiffure la nature résistante habille les corps
Elles s’engagent ils disent elles esthétisent ils dévoilent
ensemble ils commencent sur les tables dans leur chambre dans la cage d’escalier dans les caves sur les murs du quartier sur les boîtes aux lettres aux arrêts de bus sur les trains
Ils marquent leur territoire elles prennent leurs ailes et les déploient ils se font la courte-échelle en espérant toucher le ciel
A l’occasion de la sortie de son recueil Banlieue Ville, Aline Recoura sera en lecture le 30 janvier prochain à « La Lucarne des Ecrivains« .
Nous profitons de cet évènement pour présenter deux nouveaux textes qu’Aline Recoura a bien voulu réserver aux Cosaques.
Y’a pas d’âge
Aimer par corps à coups de cœur je ne veux pas de maison élue domicile un carrelage froid une pièce abandonnée un duvet des draps usés un peu de café lune soleil dardant leurs lumières muscles poils et sueurs saveurs odeurs d’un logis où vivent les bougies soupe sur le feu poireaux carottes navets pommes de terre à feu moyen feu fort rougit les seins nues ébouriffe les cheveux de nos danses
Un doux cœur à cœur galop féroce dans l’entrée chatte dormante sur le coussin de l’eau à la lave j’attends à toi tes souffles ténus tendus retenus en flux tendus à peau carrée œillades répétées aiment affolées par mon port de tête et mes os fins
Ta tête amarrée sur mon pubis j’exile mes pensées dans l’écume les suit les laisse flotter la mouette en moi sur l’eau salée retrouvée en notre amour ma bouche te calme avant
avant la bête vive qui mord
En notre amour une expérience la mort qui pousse dans l’intense comme vent fort dans les voiles conscience de la disparition la mort à nos trousses surveille garder les étoiles en attraper les pointes croquer gourmandise avalée-léchée-pelée-sucée embrassée en mémoire ce qui n’a pas été fait aimer sur le tard comme nouveau mot adulescent s’embrasser dans la rue se prendre la main se toucher se toucher tout le temps savourer ça existe bien ce corps on peut le palper le serrer il veut faire qu’un comme avant la naissance on s’en fou des antinomiques morales de l’amour on s’aime tard comme si c’était trop tôt on s’aime ado comme si c’était trop beau ça dure les draps défaits la nudité la peau cajolée ensorcelée de tours magie de nuit magie de jour y’a pas d’âge pour l’amour
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Y’a du Sang
Y’a du sang dans ma douceur Y’a des révoltes dans les fleurs Y’a un coeur rouge vibrant strié de noir aux cauchemars récurrents Y’a la perte y’a le temps y’a toi rayonnant à la plage au milieu de trois enfants y’a la peur de baisser les bras de pas y arriver y’a la hantise qu’un jour tout soit fini qu’un jour on ne s’entende plus qu’un jour on ne s’aime plus Y’a la bourrasque des inconnues dans le sommeil très agité Y’a du sang dans mes cauchemars des abandons des têtes passées des bébés crocodiles des grenouilles qui se noient des sens sensation d’effroi
Y’a de l’eau des aquariums des mots qui planent des voix mais qui fait le premier pas d’habitude Y’a les déchirements les hurlements la douleur l’impuissance à accepter l’abandon le désamour Y’a tant de cris dans ma douceur tant et tant silence de mon air je ne fais jamais beaucoup de bruit Sang silencieuse mon coeur explose quand dort le reste du corps
La nuit tu marches tu entends tes pas claqués sonores comme talons ils résonnent dans les tunnels les pas les élans tu serres quand même ton corps tu te récites des poèmes tu cherches l’odeur qui te rappelle ta grand-mère ce jour où un soir tu as ouvert la fenêtre de la cuisine et pour la première fois tu as senti l’odeur de la nuit tu te souviens de ta grand-mère car tu étais chez elle au sixième étage vue sur le square où tu avais toujours l’impression de voir des formes bizarres tu ne reconnaissais même plus le bac à sable les arbres changeaient de couleur ils ressemblaient à des hommes les bancs parlaient tout seuls Mon corps devient rapide un retour une pulsation battement oisillon un froid à fuir transperce le pantalon des bruits à apprivoiser Je n’ai pas envie de rencontrer un vampire ni la bête des villes elle rode et se promène avec une hotte pleine de mauvaises surprises dompter le silence comme un fusil porté à l’épaule Regards qui entendent loin oreilles qui voient près circulaire toujours la vue dans le noir des kilomètres de nuit des visions des films des idées des fumées blanches brouillards broussailles boue invisible juste une sensation de glissement vide personne Arrivent des feux de route inquiétants qui est au volant peur d’un arrêt les yeux de chats à l’affût
les oreilles montent la garde elles réagissent plus vite que le hérisson L’odeur de la pluie remonte quand le frais et le chaud se mélangent la lune t’envoie ses rayons tu penses au sabre laser de ton fils le corps lumineux tu arrives chez toi c’est ton thriller de minuit
La première fois elle a vu que dans une flaque d’eau géante au milieu d’une forêt
un matin d’automne elle pouvait scruter son visage.
Un visage au milieu des feuilles déchirées des ombres des branches des arbres
venues du dessus.
Un visage se froisser légèrement au souffle du vent nez yeux bouche ondulés petits cheveux
au milieu de l’autre de l’autre nature la nature de l’autre.
Son épuisement ou son feu. Sa chaleur aux confins des baisers. Sensuelle répétition.
L’odeur dans le cou comme au creux de l’écorce, elle s’est souvenue.
L’arbre entouré de ses bras confiants. Pleurer de peur de perdre.
Perdre son chapeau pointu son ciré clair à petits pois blancs.
Son enfance.
L’homme vert, grave son passage sur les troncs d’arbres sème des énigmes sur les mystères de sa présence.
La journée passe la profondeur de la forêt attire autant qu’elle fait peur.
Femme coiffée de lierre chevelure verdoyante la frange cache un œil celui qui assemble des bouts de temps comme morceaux de tissus pour en faire d’autres vêtements, celui qui tape la vase du pied à la recherche de myes qu’il grattera un peu étourdi.
Femme verte compose feuille à feuille sa forêt de prose d’œil à œil avec les jours.
Aimer dans l’embrasement des écorces des racines des reflets de l’autre.
Le coin caché où traîne la poupée de chiffon.
Maquillée de tes pastels gras de tes feutres à la pointe écrasée.
Tu lui as aussi coupé les cheveux plus courts d’un côté que de l’autre.
Tu l’as tapée quand tu avais mal toi aussi la poupée maltraitée la rejetée de ton estime le coin caché où trône ta méchanceté l’écharde cachée aux yeux.
Quand tu aimes elle surgit la poupée maltraitée. Elle crie dans ton ventre et se venge.
En parfaite petite fille malaimée elle sort par ta bouche enferme les baisers dans une toile
d’araignée.
Immobile
honteuse
paralysée
dans une prison froide.
Quelle liberté pour les poupées maltraitées ?
Je veux parler ouvrir la bouche articuler sortir des mots.
Refrain
J’ai éteint la lumière encore ce soir. Comme tous les soirs avant que la nuit tombe je ferme les portes et entre.
Entre dans l’ombre du théâtre du vide. Je tâte les contours de mon corps afin de vérifier que je suis bien là.
J’aimerai que tu mesures chaque soir l’état de mes frontières. Que tu mesures l’énergie de mes hanches
de mes seins
de mon nombril
de mes fesses
de mes cuisses
de mon dos. Démon sensuel de l’envie.
L’énergie sous mes paupières dans le fond de ma gorge dans ma langue.
L’énergie de mon âme plongeant dans tes frontières sans gardes.
Je cherche mon garde-folle à la vitesse d’une enfant qui fait une bêtise chute disparaît dans le magasin attrape la fourchette fais tomber son assiette ou son verre joue de l’inquiétude de sa mère fais semblant d’être morte sans savoir qu’elle est vu en train de respirer.
Je cherche ton sexe la lanterne de mon sommeil le donneur de somnifère le sirop de l’apaisement. Je veux la sensation du liquide blanc coulant entre mes jambes prisonnier de ma vulve dansante entre les lèvres chantant le repos de l’amour.
Je m’endors dans ces flots dans la douceur du chaud étranger entre mes jambes.
Le miracle entre les jambes. Le mélange des liquides des opacités des sangs blancs de nos âmes. Transe-lucide de la fusion.
Je veux rester allongée pour ne pas en perdre une goutte. Une miette.
Seule ce n’est pas la même idylle. Je tourne et retourne l’emballage. L’intérieur remue dans toutes les directions pense à ce qu’il ne faudrait pas penser à cette heure.
Remue l’arnaque de la solitude des draps de la solitude de la feuille de salade flétrie au fond du réfrigérateur.
Impossible de voir l’apaisement dans ses yeux ni t’entendre ses souffles réguliers.
Je pensais pouvoir m’endormir. Refrain des paupières à clore pour dormir.