Durant sa visite dominicale, le petit-fils de Mme Bertrand, résidente d’un Ehpad de la région parisienne, lui avait dit pour taquiner un peu, qu’au lendemain des élections l’avenir risquait d’être plus qu’incertain et qu’on allait peut-être devoir rallumer les chandelles du fait de possibles pénuries de gaz russe ou de dysfonctionnement des centrales. Comme la vieille dame perdait autant l’ouïe que la tête, elle avait compris qu’il fallait sacrifier son chandail en le mettant au feu (« rallumer les chandails », qu’elle avait radoté toute la nuit), ce qu’elle s’était résignée à faire le lendemain en le faisant cramer avec le briquet rechargeable « Ici c’est Paris » que son petit gars avait laissé comme un étourdi qu’il était sur le coin de la table de nuit près de la boîte de comprimés de Donepezil, avant de partir pour le bureau de vote situé à une station de là. L’autre problème, c’est qu’il avait rencontré son pote Philippe là-bas, et qu’au lieu de retourner faire un petit coucou à sa grand-mère de 92 ans après avoir voté n’importe quoi et de récupérer son feu dans la foulée, il était allé se taper une ou deux crêpes bien flambées avec le Philou en question. Bref, en ce dimanche après-midi, M. Bertrand Jr. avait visiblement trop abusé des délices des Caraïbes pour oser aller se repointer à l’Ehpad plus qu’à demi éméché.

Le départ de feu s’était produit au niveau du local électrique le lundi vers 17 h 30. Lorsque le gérant M. Arnoux avait entendu les premières alarmes se mettre à hurler dans les couloirs de l’établissement, c’était heureusement le moment de la journée où les pensionnaires accompagnés du plus gros du personnel étaient dans le réfectoire à attendre l’heure du souper imminente. Une épaisse fumée à l’odeur de plastique s’était vite répandue au niveau du rez-de-chaussée, malgré les portes coupe-feu qui s’étaient bien refermées lors de la détection de l’incendie. Après que M. Arnoux eut pu détecter l’origine du sinistre, il ouvrit à l’aide d’un tisonnier le couvercle du local bouillant, et c’est alors qu’il aperçut avec stupeur un épais morceau de tissu acrylique en train de se consumer tel un petit soleil de braise ardente. Heureusement, l’incendie put être vite contenu et on retrouva à proximité le briquet coupable du PSG qui n’avait pourtant pas mis le feu au Parc des Princes avoisinant depuis belle lurette. Le propriétaire présumé de l’objet du crime fut convoqué sur-le-champ (c’était le seul qu’on avait vu depuis la veille avec le maillot de numéro 7 de Mbappé, donc on s’était bien douté), et il expliqua rapidement qu’il avait laissé par inadvertance le dit briquet dans la chambre de sa mamie. La pauvre dame lorsqu’elle fut convoquée à son tour répétait à tue-tête : «Rallumer les chandails, rallumer la flamme, ce soir on vous met le feu, j’ai perdu la tête depuis qu’j’ai flambé Suzette, je perds la raison depuis que j’vois Noël au balcon, Pâques au tison…»

Début des années 80, ma mère avait trouvé une dame qui, à temps perdu, tricotait des chandails. J’avais demandé un pull à col bateau. Nous retournâmes deux semaines plus tard pour l’essayer. J’ai passé un long moment à l’intérieur à dire que je m’y trouvais bien, que la laine avait beau sentir très fort elle était ma foi très douce mais qu’il fallait revoir le col car j’étais stoppé net. Ma coiffure dépassait certes de quelques mèches mais ce ne serait jamais assez pour laisser passer ma tête.

Texte 1 : Eric Tessier

Texte 2/Illustration : David Jacob