Avec « Océan(s) » Charles-Éric Charrier conclut une trilogie démarré avec « Outre-Camps ». Trois courts recueils d’une densité poétique remarquable. Océans(s) façonne des paysages peut-être plus intimes. Et cisèle des vers souvent bouleversants. Écriture en apparence abstraite, elle dessine une intériorité singulière, empreinte de spiritualité, d’un apaisement puissant. La forme, ensuite, de ces mots est saisissante ; ils construisent une poésie sans équivalent, se jouant parfois d’une grammaire établie, pour y établir des ruptures, une musique différente. Une approche presque visuelle pour mieux dessiner l’indicible.
50 mots choisis par chacun des deux auteurs, puis regroupés aléatoirement par paire. De là naissent suites de poèmes et de textes autour de leurs photos venant illustrer chaque nouvel échange poétique.
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Le lundi, c’était à celui qui dénicherait un nouveau livre, un nouveau disque à raconter. Nous étions sur le muret de l’école. Déjà tes yeux et ton sourire me faisaient deviner notre amitié et les chamboulements de mon cœur.
Le directeur, M. Propre, ex-pater familias d’une petite école d’Haïti, était un dénicheur de bêtises, une tête chercheuse qui de son bureau sentait les complots se fomenter jusqu’au bout de la cour de notre collège privé du Centre-Bretagne. Mon copain Jean-René, grand fan de Lloyd Cole and the Commotions, qui m’avait fait découvrir les premiers albums d’Aztec Camera et de Fra Lippo Lippi, me rendait visite lors de la pause déjeuner. Lui était un électron libre de l’école publique, dite l’école du diable située chez les bidasses de Coëtquidan.
Un vent de liberté passait les murs du collège à chaque fois qu’il venait me voir pour faire du « trafic » de cassettes enregistrées autant que parler des Smiths, du handball et des filles du collège. On s’asseyait sur les petites marches qui menaient à la grande salle d’examens, dite la salle de torture (qui était aussi la salle où s’entreposaient anarchiquement nos sacs et cartables lors des quelques récrés journalières). Un jour de printemps trop beau pour lui, notre poisson nettoyeur qui avait constaté la visite régulière de Jean-René, se décida à venir alpaguer l’intrus pour le prier de quitter l’enceinte de l’établissement. Jean-René qui n’était pas sous l’emprise de son diktat et de ses protocoles imaginaires inventés sur-le-champ, se releva subitement et avant de s’en aller, lui rétorqua d’un ton sec et ferme : « Qu’est-ce que l’on fait de mal, hein ? Franchement, c’est ridicule, on se croirait ici dans une prison. » Pris au dépourvu, M. Propre lui lâcha à demi-mot un : « Je sais, je suis désolé. » En ce début de printemps, le verre de l’aquarium du collège, cœur sacré du sanctuaire pour algues desséchées et menu fretin craintif, avait été fêlé.
« Tendre Au moins * Une vague Dans tout * L’existence Est une prière Exaucée * Scotché à L’effet de la Pluie »
On retrouve dans ce recueil de Charles-Eric Charrier le minimalisme de son travail graphique. Texte court, elliptique, mystérieux, parfois drôle avant de se révéler d’une finesse remarquable. Les mots sont ordonnés d’une étrange manière, à la façon d’Isidore Isou. Il y a du lettrisme dans l’écriture de Charles-Eric Charrier. Une organisation perturbante des vers qui ouvre sur un univers poétique sans équivalent.
Voici la suite de la publication de poèmes sur la guerre de Shahrzad BEHESHTI MIRMIRAN, traduits par son frère Shahriar BEHESHTI. Photo de Shamim BAHARZADEH. On retrouve dans ce texte toute la terrible émotion et beauté aride d’une plume contemporaine forgée dans la souffrance et la simplicité absolue.
Dans des boîtes, sur une voiture
À travers des chemins À travers des terres arides Ils ont fait traverser Quelque chose de nous
Avant l’arrivée à une ville Je vis une femme Glaïeuls et gypsophile à la main C’était ma mère
Comme tu as vieilli ! Elle suivait la voiture et touchait les boîtes
J’ai poussé la boîte Je suis tombé d’en haut Il n’y avait pas de cadavre dans la boîte Mon portefeuille, la photo de ma femme, ma plaque Et quelques lambeaux de ma chemise Se dispersèrent sur la route, sur une terre aride
La voiture traversait mon village Ils m’ont ramassé
Un homme ne regarda pas la photo de ma femme Il la glissa sous ma chemise
L’a reconnue Elle avait dix ans de moins Elle n’avait pas d’enfant dans les bras
Ma femme, sa femme
Il pleurait doucement
Les “Senteurs-Brûlures” avaient fleuri Et la plaine sentait ma brûlure
*Arbuste à fleurs, ce nom est la traduction littérale de persan
Souvenons-nous souvent pour ne pas oublier, répétons chaque mot important, en marchant, en courant. Il faudra bien sûr saluer des gens entre-temps mais faisons comme si de rien n’était, saluons-les tout en continuant de nous souvenir, de marcher, seul le reflet pourrait bien faire tout s’écrouler. Le doux piège de la lumière venu après une nuit et si peu de pluie pourrait bien nous faire chanter.
Reflets que l’esprit
ne peut plus lire
qu’à l’envers
et déformés
sur les parois
liquides
d’une broche
à l’épaule
inconnue
Mystère à terre
du hiéroglyphe
sur un rouleau
de papyrus
50 mots choisis par chacun des deux auteurs, puis regroupés aléatoirement par paire. De là naissent suites de poèmes et de textes autour de leurs photos venant illustrer chaque nouvel échange poétique.