Je me fous de Matzneff. Je m’en fous qu’il soit vieux, pauvre, seul. Je me fous de sa tourmente, de sa lapidation, du fait que la justice rattrape ses actions. Matzneff est une personne comme une autre, justiciable, responsable mais en quoi faut-il que ses actes écœurants, sa perversité, ses faiblesses, son effroyable vie de prédateur sexuel et son narcissisme m’intéresse ? Je ne suis pas dupe, il fait partie du tas de porcs qui constitue une frange de notre société. Je ne suis pas étonnée, pas abasourdie, je ne tombe pas des nues… C’est un type bien ordinaire, issu d’une époque, d’un passé où on aurait pu trouver en chaque famille un frère de porcherie pour un homme tel que lui. Voilà pour Matzneff qui est en tant qu’homme un parfait inconnu à ranger semble-t-il dans l’armoire des ogres et autres assassins d’âmes qui pullulent dans notre société. Un fait divers, un parmi tant d’autres, aussi horrible soit-il.

Je ne me fous pas par contre de l’importance médiatique qu’on accorde à cet événement pour autant qu’elle voudrait bien mettre en évidence les dysfonctionnements du monde de l’édition. N’est-on pas éclairé soudainement sur la complaisance des éditeurs certes mais aussi le manque de vrai regard et d’éthique dans leurs choix éditoriaux ? N’est-on pas soudainement mis crûment en face d’un système qui ne publie pas ce qui est jugé bon, de valeur mais les manuscrits de copinage et de famille ? De même, d’ailleurs pour les émissions littéraires qui choisissent leurs invités dans le bottin littéraire.

Je ne me fous pas de savoir qu’on puisse exprimer des regrets et qu’on retire de la vente les livres de Matzneff. Cela n’est pour moi qu’un aveu de la part de ces gens de la légèreté avec laquelle leur travail pourtant si important pour la littérature, est fait. Soit ils n’approuvent pas le contenu d’un manuscrit et ne l’éditent pas. Soit ils le soutiennent. Mais au nom de la littérature. Se lancer dans ce genre de réactions, regrets et retraits, c’est lamentable et significatif d’un monde qui tourne en rond. Même si on avait envisagé que la publicité faite à cette affaire pouvait donner hélas un souffle nouveau à la vente du journal de Matzneff, il fallait assumer. Ou avoir de quoi assumer… Les auteurs qui s’associent au lynchage d’un des leurs, perçoivent-ils que le seul terrain de débat auquel en réalité ils ont droit est et reste celui de l’écriture ? L’homme Matzneff ne leur appartient pas, qu’il ait ou non usé de sa notoriété, de son talent, de son aura pour commettre ses crimes.

Je ne me fous pas de voir qu’à la lumière de ce tremblement dans un certain monde très parisien de l’édition, on en arrive à ne pas faire de distinction entre un objet, coupable de rien s’il en est, et un homme aux prises avec la justice. Un livre, un tableau, un film… L’art doit parler de tout absolument tout ce qui est de la noirceur humaine. Le journal de Matzneff est-il de la littérature ? Gallimard a décidé un jour que oui.

Le Consentement est une œuvre littéraire engagée. Parlons de ce livre, de ces qualités, de son contenu. Laissons V.Springora et Matzneff humains déchirés, face à la justice. J’ai pour ces deux personnes une sincère compassion. Leurs livres, il est de mon choix de les ouvrir ou non.

Une opinion qui sans doute mérite quelques commentaires et autres prises de position.