PENDULE-DIVINATOIRE

J’ai cru longtemps qu’en écrivant, j’étais une cueilleuse d’ombre. Que la vie était comme un oiseau en-dessus de moi, laissant sous mon pas une ombre étrange et que j’avais des doigts habiles à ramasser cette trace. J’étais entre la vie, celle des autres, et ces mouvements gris sur le sol, toujours à s’effacer, ni vivante ni morte. Je pensais que ne pouvant vivre, je pouvais tout de même endosser les marques des vivants, les mettre sur la page et refermer l’herbier. Je pensais être une archéologue et j’étais là pour raconter la vie qui a passé. Je le croyais d’autant plus que j’ai toujours eu conscience que le présent n’existe pas.

Mais non, ce n’est pas ainsi. Ce serait trop simple, trop facile et il n’y a rien à faire de ce genre de cueillette. L’histoire ainsi récoltée n’a pas de vie. Ce serait écrire comme on marche à reculons, avec cette frousse des embûches dans le dos. Avec la peur de vivre.  Pourtant si chaque mot qui sort de mes doigts est en retard de pensée, il est fait pour le futur. En fait, c’est la vie qui est l’ombre et l’écriture, l’oiseau. Les mots gravent au sol, mettent en forme l’existence.

Certaines histoires font sur terre des ombres si fortes que le monde entier les voit. Des œuvres prémonitoires, faites par des visionnaires. D’autres ont de moins imposantes destinées. Tout ce qu’on trame, tout ce qu’on tisse semble être à venir. L’écriture est projection, parfois juste quelques pas devant soi, parfois des métrées. L’existence s’invente, on n’arrête pas de tisser une trame, une énigme. Grand atelier, grand métier. Les termes du tisserand vont si bien à la vie, vont si bien à l’écriture. Et quand on touche le monde du côté des métaphores on finit par comprendre qu’en écrivant on tisse obstiné l’image de sa vie.

Je n’écris pas d’histoire d’amour, il y a juste parfois de l’amour au passant d’une histoire, comme un motif surprenant. Il se glisse comme un fil de couleur dans le tissu du dire. Une couleur vive qui fait qu’on la voit, qui s’impose un instant avant de disparaître du mauvais côté de l’étoffe pour y faire un nœud d’arrêt ou trois points de suture.

J’ai écrit trop de poèmes d’absence pour que cette vie soit emplie.

 

Texte : Anna Jouy

Se familiariser avec son pendule

(réf . illustration)