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assis dans ma cellule, je m’efforce à traduire la voix venue de ce livre vide ouvert à la première page sur la table de mes travaux forcés. Mais à peine ai-je posé la mine de mon crayon sur le papier qu’un doute puissant me paralyse la main. Je ne peux me résoudre à faire confiance au moindre mot, de peur de trahir cette voix… Que faire pour la restituer sans la fausser ? Répéter au mot près ce que je crois entendre ? Ou au contraire, ne plus prêter attention aux mots prononcés et seulement rendre compte de l’angoisse qui les traverse ?

Isoloir-1

j’ai passé la nuit entière comme dans l’isoloir d’une vérité à attendre douloureusement la première ligne. Je sens encore la présence de la voix du livre mais elle ne dit plus rien. Elle se tait comme pour m’écouter me taire. Le silence finit par céder, il pose sur la première page, non sans un certain embarras, une question comme s’il entamait avec ce livre une conversation, celle d’un face à face avec la voix, cette voix dans ma tête à laquelle j’ai l’impression de devoir rendre des comptes… Je dis :

«— que sous-entendez-vous à vous taire ainsi ?

— … »

presque une heure est passée suite à cette question. J’ai beau ne plus entendre sa voix, je sens qu’il est toujours là. Sa présence invisible est si intense qu’il me semble l’entendre penser, cherchant au fond d’une interrogation suffocante une réponse à formuler…

puis elle surgit soudainement, au moment même où ma vigilance m’abandonnait, comme un coup de tonnerre éclatant le silence dense et insoutenable qu’il faisait régner sur moi. C’est en écrivant sa réponse que j’ai reconnu, aussitôt la première lettre posée, la voix majestueusement calme de monsieur M…. Elle disait :

Isoloir-2

Texte et images : Anh Mat