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pour cosaques - cul sur la pierre

Le cul sur la pierre il regardait ses pieds.Ou plutôt il regardait son pied gauche endormi dans un mocassin, et puis ses yeux sautaient, en passant par les feuillages des arbres dans le lointain, jusqu’au pied droit, un peu plus fermement planté dans le mocassin qui lui était attribué.

Ne regardait pas, entre eux, sur la même marche, la coupelle de laque rouge posée sur un chiffon de brocard déchiré, éraflée la coupelle et contenant une pièce, pas tout à fait au centre, non juste là où son oeil avait voulu cette tache pour qu’elle ait toute l’évidence que méritait le fait que c’était sa dernière – pas vraiment, il y en avait deux autres dans la poche de son jean, mais il avait décidé que c’était sa dernière, les deux autres étaient intouchables et secrètes – et qu’elle lance un appel.

En attendant, en affichant, pensait-il, son humilité par sa tête baissée il jouissait en silence de la caresse du soleil sur les plis de sa vieille nuque. Et, sans en être vraiment conscient, il en affichait la tendresse par la détente de son visage, et une ombre de sourire rêveur.

Tête baissée, yeux sur son pied ou sur l’autre – ce qui le faisait loucher un peu -, il s’amusait de voir passer, aux rives de son regard, les pieds des visiteurs qui montaient ou descendaient les degrés, mais s’agaçait de leur rapidité, de leur manque d’hésitation en passant à côté de cette détresse qu’il incarnait.

Et il s’indignait en silence au nom de toutes les détresses, des dignes vieux corps et coeurs usés aux ressources si minimes qu’inimaginables, des mères à smala – ou unique gosse, corrigea-t-il – et maigres ressources, des enfants émissaires forcés d’exploiteurs, et des exilés sans droits.

Les aidait comme pouvait, mais c’était si peu, alors…

Mais comme les heures passaient, comme sa pièce n’avait été rejointe que par de rares oboles, et comme l’inutilité engendrait ennui pesant – il y avait bien eu cette femme, un peu fol-dingue avait-il pensé, qui s’était assise à côté de lui après avoir déposé ses pièces, s’était inquiétée sans trop insister, et, comme il évoquait tous ces abandonnés, l’avait traité d’idiot en riant – comme le soleil descendait derrière les arbres du jardin au dessus de lui, il s’est levé, épousseté, a rangé tissu et coupe dans un petit sac plastique, et il a descendu les marches pour rentrer chez lui.

Elle avait raison, c’est vrai qu’ il avait l’air trop prospère et qu’il faisait peur, les éventuels samaritains prenaient conscience de leur fragilité… et passaient leur chemin ; il devait s’y résoudre, il allait rejoindre son association, on lui trouverait bien une utilité.

Texte et photo : Brigitte Celerier