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Un homme qui serait arrivé chez nous il y a quelques années, s’il avait pu être totalement ingénu, n’avoir jamais entendu le petit bruit que notre ville, notre région, faisaient encore dans le monde, aurait souri, un peu étonné, en le croisant, de le voir aussi entouré – même si ce n’était encore que d’un petit groupe d’hommes jeunes, marchant vivement, décidés, leurs regards fixés sur lui -, lui ce petit homme rond, avec ses joues rebondies et ses petites boucles dressées autour de son front.

Il aurait pensé, murmuré peut-être «ne lui manque qu’une conque pour accompagner de son souffle un dieu marin». Et l’ami qui l’accompagnait aurait répondu d’une voix assourdie «bien mauvais souffle, et qui prend force».

De fait, outre les jeunes hommes empressés, l’étranger aurait repéré, en se retournant, deux fortes carrures qui précédaient ou suivaient d’assez près le petit personnage.

Devenu notre concitoyen, il aurait pris l’habitude de voir de plus en plus souvent ce visage poupin surgir dans les journaux, d’entendre cette voix un peu métallique à la radio, à la télévision, et de retrouver ce nom dans les conversations.

Et il serait, à corps et coeur défendants, passé peu à peu d’une vague curiosité à un désintérêt agacé, à une attention méfiante, à un effarement méprisant, à un refus irrité puis véhément. Aurait, comme nous, désiré pouvoir l’ignorer.

Mais il prenait de l’importance le petit personnage, il avait acquis un rôle, il prenait la parole partout, à tous propos.

Les premiers temps cela débutait par une réflexion pateline et assez humble que ses joues soutenaient de toute leur rondeur, et puis, à mesure que le temps passait, que sa position devenait plus sure, incontournable, il entamait chaque discours, chaque intervention, par quelques phrases fermes, par une condamnation assenée sur les fractions de population qu’il avait choisies comme repoussoir…

Et quelles que soient ses proies, quel que soit le groupe qu’en flattant les sentiments les plus bas de ses auditoires il choisissait de désigner comme indigne de la communauté, s’appuyant sur ce rejet pour asseoir son pouvoir, repousser dans l’ombre ses décisions, il enrobait ses phrases d’une familiarité caricaturale, d’un langage plus relâché que celui de la foule qui s’en trouvait secrètement flattée, d’un faux bon sens qui n’était commun que de s’affirmer tel, et d’une rhétorique savante, manipulatrice, qui à l’usage, heureusement, finissait par être inefficace à force d’être attendue. Mais l’habitude de l’entendre avait à la longue contaminé les esprits et ses discours servaient de base aux jugements, aux décisions qu’on le suive ou qu’on s’oppose à lui.

Il redressait chaque centimètre de sa petite stature, se faisait raide de dignité, pour mieux se pencher ensuite vers les autres, mais avec un sourire combinant complicité veule et ironie envers ses auditeurs, et l’écoutant, le regardant, l’ex-étranger en venait à le détester, furieux de lui donner une importance qu’il jugeait injustifiée.

Et nous qui, malgré nos efforts, ne pouvions non plus totalement lui échapper, l’ignorer, nous étions partagés entre la colère, un rire triste et un mépris qui nous prenait à la gorge et que nous ne pouvions dire puisque n’avions pas d’importance.

 

Texte et photo : Brigitte Celerier