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2015-12-27 11.41.14

Au temps de Madame de Sévigné, on jetait sa langue aux chiens plutôt qu’aux chats. Je fais de même. Qu’ils en fassent bon usage.

Je suis née d’une famille de taiseux. Du côté de mon père, il y a cette minéralité compacte des montagnes de l’Italie du nord, dont son père est descendu pour extraire la pierre dans une carrière de l’Oise. Et avant lui, son grand-père enterré vivant dans une mine de houille du côté de Charleroi. Demandant récemment des précisions à mon père, celui-ci m’a dit qu’il n’en savait guère plus, sa mère n’ayant jamais vraiment développé. Du côté de ma mère, ça parle un peu plus, mais à peine.
Ayant donc d’abord appris le silence, c’est naturellement que j’ai appris la langue des chiens. Plus précisément de ma chienne, présente à ma naissance. Depuis, il y a toujours eu des chiens à nos côtés. Les chats souffrant d’une mauvaise réputation qu’ils ne méritaient pas, je n’en ai eu qu’à l’âge adulte.
La langue des chiens passe par les yeux. Des études scientifiques récentes ont montré que l’échange de regards entre un chien et un être humain accroissait le niveau d’ocytocine, l’hormone de la confiance et du plaisir. Les chiens de ma vie m’en ont tellement apportée, qu’il est naturel que je leur donne la parole. Ils me connaissent mieux que moi-même. D’où le titre, Ma langue aux chiens.

Cette autobiographie n’est pas intégralement authentique mais parfois vraisemblable.

La photo en noir et blanc a été découpée en biais sur sa partie gauche. Elle est verticale et a été prise au 8 rue du Bel Air, à Persan, à proximité des berges de l’Oise. On me voit de trois quarts dos dressée sur mes pattes postérieures à hauteur de la fenêtre de la cuisine. Ma petite maîtresse (âgée de deux ans ?) à l’intérieur sourit, un doigt tendu jusqu’à toucher ma truffe. Nos regards sont rivés l’un à l’autre. L’ombre de la végétation chamarre ma robe de motifs floraux et ses yeux brillent d’une confiance sans limite. Elle a déjà beaucoup appris de moi et pas encore trop des humains. Pas leur langue. La mienne aussi douce que râpeuse, si !

La première. J’ai été la première de la famille. C’est le père, chasseur à l’époque, qui m’a ramenée rue du Bel Air à peine sevrée. Quitte à faire preuve d’immodestie, j’étais très belle, et pas seulement aux dires de mon maître. Il m’a construit une belle niche en pierres qu’on aperçoit à l’arrière-plan d’une autre des photos de l’album vert. Malheureusement, inconfortable, je ne l’ai jamais vraiment habitée. Et puis, il faut bien le dire, je fuguais souvent comme ils disent. En réalité, j’avais besoin de me dégourdir les pattes et d’explorer l’entour de cet espace.

Véritable épagneul breton, c’est la mère, Lili, comme l’appelle le père, qui m’a fait don du nom. Une année en « I » puisqu’il faut mettre les points dessus. Le Larousse illustré ne proposait pas grand-chose. Iowa me seyait à merveille. Je pense avoir contribué fortement à la passion pour un certain romanesque exotique de ma petite maîtresse, ma sœur et ma déesse! Le père l’appelait Kiki – oui il aime les « i » ce monsieur ou alors les points à mettre dessus ! Son aînée de quelques mois, je lui ai servi de nounou et de compagne de jeux. Je la vénérais. Un jour, elle a volé dans mon écuelle les os qui m’étaient destinés. Tout autre qu’elle m’aurait entendu montrer les crocs ! Ma maîtresse, non ! Elle en a grignoté une partie avant que les parents la prenant sur le fait, les lui retirent de la gueule avant de me les restituer. Je les ai vite enfouis dans  le jardin pour les lui conserver. Les parents ont fait toute une histoire de cette histoire, une de ses préférées dans la mythologie familiale.

Non, je t’ai dit qu’il n’y avait eu ni chien ni chat chez Mémé et Pépé, des chats chez ma grand-mère Antoinette et un chien noir quand j’étais petite qui m’avait mordue !

Iowa, la douce, bonne chasseuse mais qui a pris la poudre d’escampette, papa l’avait ramené déjà une fois  en la reconnaissant derrière une grille du garde-chasse, elle aboyait, il avait sonné à la porte, personne, il avait escaladé la clôture et l’avait prise… Pourquoi me poses-tu toutes ces questions sur les chiens ?

J’ai d’abord été enlevée par le garde-chasse de Mesnil-en-Thelle. Passant en voiture devant la maison du garde, mon maître n’a pas hésité : il est passé par-dessus la grille et m’a ramenée chez nous.

Restée auprès d’elle pendant près de quatre ans, j’ai été ensuite enlevée par un Troyen (non de Troie mais de Troyes, et qui ne s’appelait pas Pâris) : la petite a éprouvé son premier abandon et son premier chagrin. J’ai essayé de m’enfuir pour la retrouver mais plus de 220 kilomètres séparent Troyes de Persan… J’ai péri lamentablement loin d’elle qui n’en a jamais rien su et m’a toujours gardé vivante en son « fort » intérieur.

Il existe une autre photo de nous alors que nous n’avions pas encore quatre ans à nous deux. Elle dans sa chaise haute, de profil, me regarde tendrement et moi debout, les pattes antérieures posées sur la tablette, pour avoir les yeux à la même hauteur que les siens. Ce doit être l’été car elle a les pieds nus. On voit le saule pleureur planté par le père. Nous nous regardons intensément, indifférentes à la photographe (la mère). Je crois que je lui apprends silencieusement à s’élever pour être à la hauteur de l’amour de l’autre. Pas à dominer, non, à se mettre à la même hauteur de regard. Juste ça.

J’ai été la première et la dernière car après moi, ce sont des mâles qui ont accompagné les petites. J’occupe une place de choix dans sa mémoire et constitue un jalon essentiel de sa petite enfance.

 

Texte et photo : Christine Zottele