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Amarante

Je suis sur la table. Une odeur. Un parfum. Et des grappes violacées qui tendent vers toi les plumetis de mes graines cousues d’or, le mystère d’une étoffe haute couture.

Je suis là, posée sur ta table et tu passes déjà, ne me regardant plus. Ton admiration fut aussi éphémère que violente. J’en fus surprise, je me songeais si ordinaire. Moi parmi tant d’autres, coupée, choisie pour être de ton intérieur. Tu m’as conduite vers le secret de ta maison et j’en fus, quelques heures, la merveille. J’étais un bijou, une lueur, j’étais la sculpture du soleil, j’étais cette amarante royale. Une diva en représentation, je chantais pour toi le silence avec la plus belle des grâces.

J’étais sur la table.

Désormais, il n’y aura personne, comme est nu l’air autour de moi, comme je frisonne de soif, comme je penche et me referme, comme ma peau jaunit et comme s’agencent sur moi des pliures nouvelles, des froissements involontaires, comme je tombe lentement en poussière devant la vitre, sous le soleil qui passe et que je sais loin et désormais intouchable. Bien trop violent pour que je vive…

Il n’y aura personne, ce jour-là quand sur le papier de journal tomberont les miettes de mon visage, les fripes de mes pétales. Je sentirai que se seront vidées l’une après l’autre mes veines, mes nervures et qu’il n’y aura que la craquelure de mes tiges pour tromper le morbide départ. Brisée de tes mains, cassée et tordue, avant que tu ne m’enroules dans des linceuls sans lumière.

Il n’y aura personne. C’est ce que j’imagine. Une nuit sans doute, ou alors une de ces très longues patiences d’aube où on creuse d’arrache pied son rêve, parce qu’il est trop noir et qu’on songe à une mine, du charbon ou des pépites. On pourrait dire qu’il faudra revenir de très profond, je serai si intensément ensevelie dans les sous territoires où se tente l’oubli. Ou alors la semence. Les deux vont de paire, on le sait bien, quand on se dépose dessous la pelle. Ce ne sont que des enveloppes et des feuilles dedans, qui vont se déployer, par des effets d’eau et de pourriture. Je serai incognito, la passagère d’un arrosoir ou d’une onde, avec la force chlorophylle de l’ombre.

En moi, pourrissent tous les livres, une nouvelle chose doit éclore et c’est ce qu’il adviendra. Ce sera une nuit sans doute, et j’aurai mûrement mâché le sol et bouffé les saveurs insipides des sables transitoires. Un filtre long et patient et je remonterai comme ça, du noir d’un puits vers un œillet de lumière. Et ne crois pas que ce sera simple. Ou facile. Qu’il n’y aura pas d’arrêt, que je serai forte et intrépide. Rien n’est moins sûr. Mais je sentirai croître de mon ventre, une tige, pâle, exsangue et je n’aurai aucun doute. Ce sera vers la bonne direction où que profond je serai enfouie. Je reviendrai comme ça, prête à jaillir dans longtemps ou demain… Et personne ne s’apercevra de ma pousse et de ma revenue.

Et puis, quelqu’un aimera cette couleur qui est celle de mon sang. Il voudra en orner sa maison. Il pensera me faire l’amour et me coupera net aux racines. Je gonflerai un instant moi aussi de l’orgueil de la terre et de vivre…

 

Texte et photo : Anna Jouy