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Mésopotamia

De nous il ne reste que quelques traits de burin sur un bas-relief.
Nous sommes nés en Mésopotamie voici quelques milliers d’années. Je ne me souviens plus de l’année exacte. Je peux juste me souvenir que l’année où nous nous sommes rencontrés, avait été une année de récolte exceptionnelle. Chacun s’accordait à dire que la déesse Terre nous apporterait la prospérité, et que la terre d’entre les fleuves était bénie des dieux.
La vie était douce sur les rives du fleuve.

La terre entre les deux fleuves nous offrait sa généreuse abondance. Ninhursag veillait sur les Dieux, sur sa terre et sur nous. Nous ne manquions de rien, et pouvions accueillir les nomades qui venaient des montagnes et qui s’émerveillaient devant notre richesse. Ils ne savaient pas qu’il avait fallu tirer cette force des deux fleuves ni quel travail cela représentait. Nombreux furent les anciens qui avaient laissé leur vie au soleil du désert, et si aujourd’hui les vergers fleurissaient, c’est avec leur sang qu’ils avaient ensemencé le sable du désert.

Là-bas dans la plaine, les hommes vivaient en paix. Cette terre est bénie des Dieux, nourrissant chacun et laissant suffisamment pour commercer avec les nomades venus de par delà le fleuve. Certains étaient partis voir les terres lointaines, mais ils étaient revenus parce que la vie était plus douce ici. Cela aurait pu durer des siècles et des siècles, si la folie des hommes ne leur avait commandé de chercher mieux ailleurs.

Plusieurs fois, le fleuve s’est mis en colère, emportant les récoltes et les habitations de brique, les femmes et les enfants. Seules les pierres sculptées résistaient, les dieux ne détruisaient pas leurs effigies. Les hommes retrouvaient alors un peu de bons sens, le temps de reconstruire et d’oublier, puis ils recommençaient à se battre. La guerre devint un art et le Roi put pousser ses conquêtes vers le Nord.

Puis tout devint sombre, les sables du désert envahirent les champs. Les fleuves charrièrent les corps des combattants, la terre se gorgea de sang. Je ne me souvins plus de mon nom. J’étais restée si longtemps au soleil. L’air était devenu irrespirable, la chaleur infernale. Un jour, le vent s’était levé et avait soufflé pendant quarante jours, le sable tournoyait, arrachant les couleurs de ma pierre. On ne voyait plus rien. Puis ce fut le noir complet, et le silence.

Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés là, sous une montagne de sable. Je me souviens seulement du jour où cet archéologue a retrouvé notre pierre et du regard étonné qu’il a porté sur moi. J’en aurais presque rougi !  La seule chose qu’il parvint à dire fut : « Oh my God ! » Je ne savais pas ce que cela signifiait, mais il avait l’air émerveillé. Moi, j’avais un peu mal aux yeux, depuis le temps que je n’avais pas vu la lumière…

Ils ont travaillé autour de nous pendant des mois, faisant des hypothèses sur notre histoire, notre âge. J’étais un peu vexée. Demande-t-on son âge à une dame ? J’étais une prêtresse et je n’avais pas d’âge, justement. Mais ils ne savaient rien de nous, alors je leur ai pardonné.

Depuis quelques semaines, ils nous ont installés au frais dans leur Musée tout neuf. Des archéologues et des hommes importants ont défilé devant nous pour se féliciter de notre renaissance. Je suis heureuse de leur plaire. Une femme est toujours heureuse de susciter l’intérêt, même des millénaires après sa mort.  Je me plais bien ici. Il paraît que notre pays est désormais nommé Irak, c’est un nom qui sonne bien. Je vais me plaire dans ce beau Musée, tout blanc, entourée des chevaux ailés et des statues des soldats à la barbe tressée qui me rappellent mon enfance. Ce que je préfère, c’est le regard des enfants qui viennent en visite avec leurs instituteurs. Il est si ingénu, et les dessins qu’ils ont faits de moi sont affichés sur le mur d’en face. Je me trouve très belle dans leurs yeux !

J’espère que je pourrais rester là, au frais, quelques millénaires encore. C’est un pays si beau, si calme, le pays d’entre les deux fleuves.

Un pays béni des Dieux…

Texte : Marie-Christine Grimard