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paysage pour cosaques

Ce serait en 1348, je crois, en cette triste année, quand, à Florence, sept gentes dames, belles, gaies, raisonnables et spirituelles, Pampinea, Fiammetta, Filomena, Emilia, Lauretta, Neifile et Elissa, décidèrent de quitter la ville, pour ne pas être atteintes par la terrible peste qui sévissait alors, et ne pas céder à la peine et la tristesse, mais vivre en plaisirs sereins, en devisant, en écoutant de la musique, en cueillant des fleurs, et s’en allèrent donc, en compagnie de Panfilo, Filostrato et Dineo, jeunes gens fort galants, amoureux de trois d’entre elles, ne sais plus quelles, et parents plus ou moins éloignés des autres, se faisant accompagner de servantes et de trois domestiques, se retirer à quelque distance de la cité, dans une belle demeure sise sur une montagne couverte d’arbustes variés et de plantes au vert feuillage, agréables à regarder, comme l’a rapporté le merveilleux conteur Giovanni Boccace.

Nous en ces temps là, Bianca, mes cousins Benvenuto et Domenico, leur ami Andrea et moi, nous tentions de ne pas sombrer dans le désespoir, nous risquant, mais aussi peu que le pouvions, dans les rues de Sienne, par désir de maintenir un semblant de vie dans les places, les rues et les escaliers de notre ville, et surtout pour nous rencontrer, besoin avions de notre amitié et belle entente, ne pouvions croire que la maladie nous viendrait par notre société.

Un jour de grande lumière et grande pestilence, Domenico vint nous lire une lettre de Dineo, qui était son ami pour sa grande gentillesse et parole libre – il nous faisait rire et rougir -, l’informant de la décision qu’avait pris ce groupe. Nous sommes restés rêvant un peu, jusqu’à ce que la plus jeune, Bianca, se lève et nous dise «si vous voulez me suivre, je connais un endroit merveilleux, oh ce n’est pas une grande demeure, ni une belle villa..»

à quoi répondit Domenico : «par Dieu, sommes moins fiers que les florentins»

Mais Bianca, en riant : «ce n’est pas une cabane, c’est un fier château, un peu trop grand peut-être même, celui de mon oncle Paolo, mais il est fort ancien, et resté vide et sans doute assez mal entretenu depuis plus de dix ans, depuis que Paolo a fait pénitence et rejoint les frères de San Francesco, et mes parents trouve l’endroit trop isolé, mais nous pouvons demander à l’intendant de mon père de nous y conduire.»

Alors, ayant bien préparé notre départ, comme l’avaient fait les florentins, nous sommes partis, avec deux servantes et le jeune fils de l’intendant

et suis certaine que Dineo et les autres, s’ils avaient plus d’esprit que nous, peut-être, ou plus de vivacité, ou un Boccace pour tenir minute de leurs échanges, n’ont pas trouvé si beau cadre.

Il y avait une haute tour carrée et de grandes salles presque vides où ne restaient que des meubles un peu trop lourds, un peu trop sombres, ou qui n’avaient pas plu, le buste d’un homme sévère et quelques tapisseries.

Il y avait sur l’arrière une grande cour, une ferme pour nous offrir du lait crémeux, et la petite maison de la nourrice de Bianca.

Il y avait une chapelle et un très vieux, paternel, pieux et discret chapelain

Il y avait des vergers, de beaux arbres arrondis autour de leurs fruits, des jardins d’herbes entretenus et un jardin de fleurs redevenues sauvages

Il y avait de douces collines, un grand rocher pour borner le vent, un bois pour fermer le paysage.

Il y avait surtout un grand étang d’émeraude pâle et trois barques, semblables à des feuilles tombées sur l’eau, pour qu’Andréa et moi, Bianca et Domenico, nous flottions, en écoutant le chant, la musique de Benvenuto, pour que, quand le voulions, nous nous écartions et glissions derrière le rocher.

Et je faisais des souhaits, honte en avais, pour que la peste ne prenne pas fin.

Texte: Brigitte Celerier
Image (agrandissable par cliquer) : « En regardant le Castello in riva a un lago » d’Ambrogio Lorenzetti – Pinacoteca di Siena)