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Jordi s’était assis dans la paille fraîche. Le cathare l’avait rejoint après une dernière prière au soleil couchant. La nuit était étoilée. Le ciel scintillant envoyait des signes. Le sommeil ne les gagnerait pas de sitôt. Il y avait tant à dire sur l’histoire de ce pays.

Jordi pressait son compagnon de continuer son récit. Après la chute de Carcassonne et l’avènement de Simon de Montfort à la tête de la croisade, après l’hiver qui, en 1209, fut rigoureux dit la chronique, le printemps s’annonçait. Et quelques espérances vite balayées.

Le cathare avait posé sa tête entre ses mains. Pourquoi reviendrait-il sur ce passé de souffrance ? Pour que les hommes sachent. Pour que jamais les hommes n’oublient. Jordi devait entendre ce récit. Il le rapporterait plus tard dans les contrées lointaines où il voyagerait. Et qui sait, peut-être dirait-il à sa manière, en images de pierre, la mort lente de tout un peuple…

termesAu coeur des Corbières, le château de Termes

Au printemps 1210, reprit donc le cathare, Montfort remet le pied à l’étrier. Son obsession ? Soumettre Toulouse et chasser Raymond VI pour prendre possession de ses domaines. La Croisade a-t-elle alors perdu sa justification religieuse ? Le comte de Leicester, que l’on dit dévoué corps et âme à l’Eglise, ménage ses mentors. En chemin, il purifiera cette terre maudite des hérétiques qui l’empestent.Après Béziers et Carcassonne, le crime suivant est commis à Bram. Montfort y ordonne la mutilation d’une centaine de prisonniers. On leur crève les yeux, on leur coupe le nez et les oreilles. Un seul d’entre eux conserve un œil pour conduire ce cortège funeste en direction du château de Cabaret qui ose résister. Au pied de l’actuel village de Lastours, en Carcassès, cette vision d’enfer provoque l’effroi. La place se rend.

Au mois de juin, le siège est mis devant Minerve. Cette fois, Simon de Montfort va pouvoir rassurer Innocent III sur le service qu’il lui doit. Lorsque la forteresse affaiblie par la sécheresse dépose les armes, cent quarante cathares sont conduits au bûcher. L’épuration aveuglément inaugurée à Béziers se poursuit.

En juillet à Termes, l’affaire semble plus compliquée. Mais c’est encore une fois l’eau polluée des citernes qui aura raison de la résistance occitane, par ailleurs trop dispersée et désorganisée pour faire efficacement face à l’envahisseur. A la fin de l’année 1210, Simon de Montfort a étendu ses possessions. Innocent III a vu ses premières brassées d’hérétiques passées par le feu purificateur. Tout le monde peut être satisfait. La guerre est un succès.

Plus rien, désormais, ne fait obstacle à l’élimination de Raymond VI. N’oublions pas que c’est contre lui qu’Innocent III a prêché la Croisade après l’assassinat de son légat, Pierre de Castelnau. Mais Toulouse pose encore problème. On ne s’attaque pas impunément à la ville d’un comte de puissante lignée. Innocent III continue de l’accuser de protéger les cathares. Simon de Montfort ressent encore la nécessité politique de marquer les esprits.

Béziers, Carcassonne, Bram, Minerve : les morts se comptent déjà par milliers. A qui le tour ? Où, le prochain crime ?

bucherAux Casses, en Lauragais, stèle commémorative des bûchers cathares perpétrés dans la région durant la croisade

Une fois encore, l’hiver a passé. Aux premiers bourgeons du printemps de l’an 1211, les Français assiègent Lavaur. Quatre cents cathares périssent dans le plus vaste bûcher recensé de la Croisade. La châtelaine est violée, jetée au fond d’un puits et recouverte vivante de pierres. Ses quatre-vingt chevaliers sont passés au fil de l’épée. On avait bien tenté de les pendre, mais ce mode opératoire ne s’avéra pas assez rapide dans sa mise en œuvre.

Enfin l’armée s’avance vers Toulouse. La ville est frappée d’interdit. On se bat au pont Montaudran. Le futur Saint-Dominique est venu en observateur. Raymond VI, qui a rassemblé ce qui lui reste de fidèles encore insoumis, reçoit le précieux renfort des comtes de Foix et de Comminges. Le 29 juin 1211, les Croisés décampent. Durant l’été, la contre-offensive occitane fait mouche. Montfort a vu son camp déserté par des barons retournés en leurs terres. Cette histoire de quarantaine est une véritable plaie. Il appelle à l’aide. Il lui faut du renfort, faute de quoi l’entreprise risque de mal tourner.

A l’automne, les troupes toulousaines font route en direction de Carcassonne. Simon de Montfort sent le traquenard. L’audace ne fait jamais défaut à ce guerrier intrépide, passé maître dans l’art de la guerre. Il décide de sortir de la Cité pour se porter au devant de l’ennemi qui a repris force et vigueur. La rencontre décisive a lieu à Castelnaudary.

Septembre annonce-t-il des vendanges amères pour le camp des Français ? C’est mal connaître les ressources morales d’une armée qui a Dieu à ses côtés. Montfort a engagé Bouchard de Marly dans la mêlée. Contre toute attente, il remporte la victoire sous les yeux impuissants du comte de Toulouse qui n’a pas bougé d’un cil. Incroyable inertie ! Mais cette bataille perdue ne sonne pas pour autant le glas des espérances occitanes. Un messager toulousain envoyé au devant de Montfort retournant à Carcassonne fait croire que l’ost est vaincu. Rouerie ? Toutes les lois de la guerre ont été bafouées. Les Occitans à leur tour en prennent à leur aise. Et ça marche ! Partout, les populations chassent l’occupant. C’est dire si le peuple du Languedoc en a assez d’une soumission ressentie comme une injustice. Le temps de la reconquête commence. Il sera de courte durée.

Depuis longtemps, de l’autre côté des Pyrénées, le roi Pierre II d’Aragon enrage face au comportement des Croisés sur les terres de son vassal Raymond VI. Il ne peut tolérer plus avant les exactions françaises et décide d’agir. D’autant que, durant l’année 1211, Quercy, Périgord, Agenais sont aussi tombés. Des Cassès à Moissac, bûchers et tueries se sont succédé. La résistance bafouille. Souffle le chaud et le froid. C’en est trop.

Le 27 janvier 1213, le comte de Toulouse se rebiffe à nouveau. Ou plutôt se soumet ! Mais ce n’est plus vers l’Eglise de Rome qu’il se tourne pour trouver une issue à la crise. Cette fois, il fait hommage de ses biens au roi d’Aragon qui accepte. Voilà Pierre II dans l’obligation d’intervenir puisque désormais, c’est directement lui que l’on attaque.

Le dernier crime français de cette sinistre période sera commis devant Muret, le 13 septembre 1213. Montfort, plus que jamais affaibli en nombre de combattants, ne croit plus trop en ses chances, face à l’armée adverse augmentée des troupes levées en Catalogne et en Aragon. Comme il en a pris l’habitude chaque fois qu’il revêt son armure, le comte de Leicester entend la messe, se confesse, règle ses affaires avec la terre et le Ciel.

Que faire ? Ce jour-là, la réponse ne lui vient pas de Dieu. Tuer le roi d’Aragon qui vient livrer bataille ? C’est une idée. On prête à deux de ses sbires d’avoir prémédité cet acte inouï. Alain de Roucy et Florent de Ville auraient projeté d’isoler le monarque du reste de ses hommes et de l’assassiner. Montfort, sourd à toute règle de chevalerie, aurait laissé faire.

Légende ? Le fait est que c’est exactement ce qui se produit. Au milieu de la fournaise, Pierre II commet l’imprudence de se faire connaître à haute voix. Il est immédiatement repéré, désarçonné puis transpercé à coups de lances et d’épées. Le roi est mort. Son armée se débande. L’Occitanie s’écroule. Il y eut 15 000 tués à Muret, victimes françaises et occitanes confondues.

Raymond VI n’a plus qu’à demander pardon au Pape, pour la énième fois. L’exil l’attend. Il y est contraint, comme la plupart de ses pairs. En novembre 1215, Simon de Montfort entre officiellement en possession du comté de Toulouse. Il a gagné.

Texte et images : Serge Bonnery