Encore une fois, dans ce petit matin qui se refuse à la clarté suffocante de mes rêves, cette page blanche s’ouvre devant mes yeux, muette et ridicule, me sollicitant, me faisant des courbettes, minaudant, m’éblouissant par d’obscures étoiles et de souterraines exigences. Elle est comme femme que je ne connais pas, nue dans le silence de l’aube, attirante, troublante, en attente d’une parole qui cherche à établir un lien unique mais despotique et surchargé de contradictions. Elle est là, avec ce grand sourire équivoque sur un visage que je ne saurai jamais reconnaître, impossible à saisir avec justesse, ambiguë sincérité des traits. Elle est blanche et me tend la séquence d’une possibilité. J’ai le trac. Deux choix seulement, je dois la nourrir de mon désir ou, abandonnant l’alternative, laisser dépérir son désir fauve. Le creux vide du corps d’une page blanche. Aucune trace encore. Il faut se lancer, bien maladroitement le plus souvent. Hésitations et soupirs agacés.

Joie d’écrire ? Il n’en est rien. Âpre lutte plutôt, où il faut consentir à la puissance des nerfs, céder et ne pas céder. Les mots déchirent l’espace entre l’insondable de l’esprit et le factuel de l’écriture. Comment évoquer une vision claire avec un vocabulaire si précaire et une grammaire académiquement autoritaire ? Je ne suis pas joyeux quand j’écris, je suis douloureusement concentré et je m’épuise à tenter de décrire l’illusion d’une inspiration. Je lutte contre ma propre culture pour faire surgir, dans le sens d’un récit ou d’un poème, une lueur qui prend sa source au plus profond de mon cortex cérébral. J’essaye d’apprivoiser l’effet d’une orthographie au delà des mots mais en utilisant ces mots-même dans une syntaxe singulière pour que jaillisse l’ineffable beauté du monde et l’indicible pouvoir du vivant.

Et rien alors ne se produit quand mes doigts cessent de pianoter, rien qui ne me permette de prétendre que j’y réussis. Je me contente du trouble qui opère en moi lorsque je dépose, ingénument, le point final au bout de ma modeste et dernière phrase. 

Texte : Zakane

Illustration : Eric de la Brume