Il y a là, au milieu de ma poitrine, un nid. Des pustules. Qui encadrent un point. On a percé ma peau. Une grosse aiguille. Du sang a coulé je le sentais glisser dans mon cou.
Avoir un enclos rouge sur la peau. Et dessous, très profond dedans, le sentiment d’une douleur. Une douleur indécise, qui ressemble à la nausée. Indécise et profonde.
Je regarde, je touche. C’est là-dessous. Il faut bien observer. Mais ça ne sert à rien. Un animal est en train d’y grandir, caché dedans. Je couve l’inconnu.
C’est un grain de bête. Pas grand-chose. Je ne dirais pas un embryon. Quoi que ce soit possible. Il y a des gens qui mettent bas des germes bestiaux. Alors est-ce un mammifère ? Un oiseau ? Un poisson ? J’incube quelque chose d’imprécis.
J’offre le gîte à un être particulier, singulier. Il manifeste une présence minuscule avec un tempérament fort. Il a du caractère. C’est tout ce que je sais.
Balancier. Mal-être, bien-être. Terre et ciel. Double face. La peau brûle et grelotte en même temps. À ce rythme d’encensoir, je m’évapore. Je liquide les brumes. Rien de plus. Ce petit nuage de flemme qui sort de moi parce que je secoue la tête à la recherche d’une réponse.
Il y a des maux que l’on n’estime pas à l’aune d’un péché. Ils sont de l’ordre naturel de la vie. D’autres sont des punitions. Tu as quelque chose, tu as fait quelque chose ou alors dit ou même pensé…je suis sûre d’avoir assez pensé pour me décharner moi-même.
C’est vrai que Dieu ne devrait pas être interpellé. C’est une force d’amour qui ne supporte pas de nom car un mot limite, délimite.

Quand je me lève, j’ai encore le sentiment de l’autre vie. Celle inhabitée. J’ignore même comment et pourquoi il a fallu enfoncer une pince coupante là entre mes deux seins. J’ignore que je couve quelque chose. Je suis comme avant. Vide en somme. On est bien quand on est vide, on l’ignore. On ne sait pas que cet infime étranger qui loge en vous est capable de vous remplir « d’étrangetés ». Et tellement que malgré l’insaisissable, il peut squatter la vie d’une sensation gênante et malaisée.
Quand je me lève, j’ai oublié mon corps, je le ramène sur Terre si lentement. Il revient d’un voyage sidéral dans lequel de toutes façons, ni lui ni moi ne sommes identifiables. Je suis douée de pouvoirs et lui est privé de sens. Il ne sent rien. Il est creux. Je veux dire qu’il n’a aucune épaisseur et que là-bas, qu’il soit fluide, gras ou germe illisible sous le regard, mon corps ne varie pas et ne se définit jamais… Et moi, puisque je suis de cette absurde caste qui sépare pensées et chair, dans mon rêve, je fais ce que je veux. Et donc je reste cette femme vide d’avant.

Et puis, je me tiens à la porte de verdure. C’est la baie de pâtures. Un océan d’algues broutées par des cétacés, paisibles et lents sur cette vague puissante. Une étendue marine aux abois, qui prendra des milliers d’années à se coucher sur ma maison…
Je n’ai pas choisi le pré. Il progresse vers moi de ces pas minuscules des êtres empruntés au temps stupéfait.
Le ciel s’ouvre à la frange des arbres. Un œil jaune rasant des cils de sapin. Jaune et vert, le monde du matin.
Et je cherche à creuser ces amas pour atteindre un ciel d’une eau transparente.
Qu’en serait-il de se lever à une arche bleue ?
La douleur est un caméléon. Elle se fond dans le pays, dans la maison, dans la chambre. Elle se confond. Je me confonds. Jaune et verte, je suis une colline dévorée de troupeau.

Texte/Illustration : Anna Jouy