Wilmington, NC – Kelayres, PA
Ton père lira tous les psaumes de la terre
Tandis que ta mother se rongera le sang
Avec son habituel « What are you gonna do? »
Priant dans ce Greyhound entre nuit et éclairs
Trafics incertains sur trois voies, chemins de boue
« Pennsylvania’s so far » — compteur bloqué à cent
Enfants de l’Apocalypse
Enfants de l’Apocalypse
Jouant dans les champs de ruines poétiques
Où rien ne peut plus faire sens
Dans les éclats de conscience
Perte du rythme, de la foi aux symboles
De la transcendance, de la Voix lyrique
Retrait du génie humain, et de toi, feu public
Adieu, Poésie
Au détriment du visuel suprême
Et des pornographies omniscientes
Règne du narcissisme immanent à tout va
Violences animales dans les stades
Oscillant entre oral et (b)anal
Renfermement, cloisonnement, sclérose des lieux scolaires
Reproduction d’ouvrages à but didactique
Et critiques —très peu lus—
En vue de vaines promotions universitaires
Sayonara, Poésie
Nullité crasse du style et dictature du concept neuf mal recyclé
Du haïku readymade minable
Faussement harmonieux
Au slam lourdingue, prétentieux et pauvrement rimé
Servi par des idées à l’esprit pâteux
Asservi à des opérations de Partnership
Bye-bye, Poésie
Millions d’albums vendus—ô génie de la langue, le français est tendance—
Tandis qu’inévitablement s’accentue la décadence absolue de la forme
Jamais dépassée, à peine compensée
Par la plus envoûtante des proses
Par le plus passionné des baisers au cinéma
Impotents les anciens dans les livres jaunis qui
N’ont pas su transmettre
Des siècles refermés
L’art des belles lettres autant que la salutaire rédemption par l’Art
A leurs élèves décervelés par le royaume des icônes vulgaires et du bruit
Aeternum vale, Poésie
Parents à la fois complices et offusqués, trop occupés
A produire et s’oublier dans le pré-consommé
Diktat de la machine pour les oreilles, la bouche
Obstruer chaque orifice
Contrôler les évacuations
Compressions des corps malléables
Jusqu’aux inévitables implosions
Démembrement des organes et des sens
Dans les espaces mercatiques culturels fléchés en tous points
Et pour les yeux dont les horizons sont masqués
Par les toiles de fond, les trompe-l’œil, les écrans aussi plats que ce monde
Et les matte paintings sur nos plafonds étoilés
Pour ces yeux, il ne leur reste plus qu’à pleurer
De s’être abîmé la vue et de ne pas avoir su voir autrement
Qu’à travers le filtre des interfaces oniriques paramétrées
Jusqu’à ce qu’un soir les refermer
Et pour la première fois au petit matin oser regarder.
VIRUS DU VIDE OCCIDENTAL
Fragmentés mon amour
Fragmentés pour toujours
Ta voix numérisée en torrents de 0 et de 1
Transperce l’opaque flot vibratoire
Filtré autour du pavillon humain
Que décrypte mon aide-mémoire
Tes photos moyenne résolution
Pour que le mystère subsiste au gré des compressions,
Me rappellent que tu n’es pas loin, à pianoter
Dans la chambre d’à côté
Entre nous des armées de données
En montée, en descente
Dans cette abyssale journée
Entre détours des routeurs et des âmes absentes
Mettre l’alarme ce soir pour sceller l’œil atrophié
Par ces millions de pixels au quotidien sauvegardés
Autour des rêves peut-être de tout réédifier
Dans quelles constellations sont stockées les idées ?
Longue conversation au téléphone
Reconnaissance vocale quand tout sonne à point
N’y avait-il personne ?
J’étais aussi bien loin
Ai-je le temps de suivre le cours en ligne, ai-je du retard ?
Je m’efforce de tout photocopier, de dissiper mon petit cauchemar :
Manquer la connexion à l’examen final (pas d’accès sans login)
Programmé bien à l’avance dans la froideur des routines
Sur des applis qui effacent les menaces
De l’oubli
Symboles de victoire de l’interface
Sur les faces éblouies
Pas le temps ni l’envie d’écouter les oiseaux des tropiques
S’éteindre paisiblement
Suite à cette peur virale des piqûres de moustiques
Qui vous tuent jusque dans l’Ontario
Plus le temps de mourir calmement
En écoutant les oiseaux aurait dit mon grand-père, à contrario
Fragmentés mon amour
Fragmentés pour toujours
Textes/Illustrations : Eric Tessier