Ouvre les yeux. Tu ne te souviens de rien ? De quoi s’agit-il ? Une nuit vécue ? écrite ? un rêve oublié qui à présent te revient, en bribes ? Débris en désordre à reconstruire dans un temps et un espace qui n’est plus le tien… Tu étais je, il, elle, eux, nous, vous, tous les personnages de ta nuit. Tu étais son décor aussi, labyrinthe de rues flottantes, couloirs d’immeubles à milles étages, fenêtres ouvertes d’où désirer t’envoler, portes fermées à double tour où regarder par le judas des secrets lourds, des trahisons, d’ignobles révélations, tu étais une fuite, une course à bout de souffle, le goudron bouillant d’une route sur laquelle chacun de tes pas prit feu. Tu étais le coin d’un parc où l’ombre des enfants absents jouaient à faire la guerre… à faire l’amour aussi, l’air coupable, cachés derrière un buisson. Tu étais une petite robe blanche, des socquettes sentant les pieds. Tu étais la gêne d’un rire confus, la peur excitante de te faire gronder. Tu étais la chaleur, la moiteur, le ciel menaçant, les grondements, la lutte des oiseaux contre le vent. Tu étais le chien, le chien qui mange un mégot, une clé tombée d’une poche, un petit bout de papier froissé, probable message égaré par son messager. Le message est dans le ventre du chien. Le chien porte peut-être une lettre d’amour… qui sait ? Tu étais tout de ton rêve, tout dans le moindre détail, tout, sauf quelqu’un. Dans cette transe ambulatoire, tu étais un récit sans narrateur, sans lecteur, un récit seul qui avançait, qui n’avait pas besoin de début ni de fin pour se raconter. Alors quand au petit matin, un bruit, une odeur alentour pénètre dans ton sommeil pour le polluer, tu essaies tant bien que mal d’ignorer la chose, de préserver ta fatigue restante, lutter contre la volonté de ta conscience, refuser le réveil… pour te soumettre encore un peu, quelques minutes, au rêve que tu t’apprêtes à oublier.

 
Texte/Vidéo : Anh Mat