au commencement
l’obscur est là
autour de nous
au commencement
comme avant le poème
au commencement
comme avant une vie
c’est un énigmatique silence posé
là
pour un bref instant
dans le noir
c’est une surprise
car nous chuchotions encore
avant
et la lampe éteinte
nous a fait taire
il y a toujours un petit malaise avec l’obscurité
alors
nous
peuple assis
ici
c’est une attente qui nous surprend
une maladroite attente
dans un manque d’espace palpable et sûr
cette attente
qui nous saisit
semble inefficace
rien ne vient
nous avons été soustraits à la lumière
et nous espérons qu’elle s’en vienne encore
qu’elle soit
plutôt
qu’elle soit
à nouveau
il faut donc que le noir soit comblé
pour déjouer l’attente
cela paraît interminable
et puis
alors
soudain
la lumière
à l’orée de la pénombre
c’est un frémissement qui nous soulage
l’espace s’ouvre sur le néant enfin passé
enfin
la lumière est là
notre attention est autre
l’attente même subit une mue nouvelle
nous ajustons nos peaux
peut-être
et cela nous rassure
car un lieu s’est ouvert
un lieu vierge
de l’ inconnu dans le connu du monde
et cela vibre
et cela est coloré
et cela est blanc
cela est bleu
cela est rouge
qu’importe
cela est
à nos yeux
un lieu
une place
une chambre vide
une simple géométrie
un confins d’univers
un espace
dans nos multiples solitudes
cela est
notre regard fouille
entre la surface éclairée
et des lambeaux d’ombres qui nous entourent encore
c’est une frontière qui scintille
et nous
peuple assis
là
notre regard fait la mise au point
puis un corps
un corps dans l’espace
un corps
un corps apparaît
une onde nous parvient
une ondée
une averse
un rayonnement
un éclair
avec ce corps
l’espace a changé
c’est une lumière sous la lumière
par la magie de cette présence
quelque chose advient dans l’immobilité d’une clarté
puis un mouvement
nous sommes conquis par le mouvement
le corps se déploie
présence cosmologique
soleil ou lune
galaxie
nébuleuse
amas d’une matière mobile
un corps est là
et notre regard se soumet
à son rythme
il nous parle
le corps parle
et nous
peuple vivant
assis
là
nous recevons cette parole
et nous y répondons
c’est un désir
que nous attendions
oui
un désir dans son attente ambiguë
avant qu’il n’apparaisse
ce corps
c’est un échange diffus
un partage subtil
que nous soupçonnions
et qui se révèle à nos yeux
ce corps
donné
offert
ainsi
nous avons la réponse à notre attente
enfin
se noue un dialogue espéré
le corps parle
c’est une fatigue
et nous sommes fatigués
c’est un bonheur
et nous sommes heureux
c’est une question
nous répondons au questionnement
silencieusement
nos corps aussi
nous
assis
là
nos corps aussi
parlent
devant nous
c’est un chagrin
c’est un amour
c’est une haine
c’est un espoir
et nous voilà
chagrinés
amoureux
emplies de haine
espérant
le corps parle
il continue son geste
son flot sensuel
son mouvement
sa dynamique
et cela nous submerge
nous éprouvons
les émotions
de ce corps
qui parle
là
devant nos pupilles attentives
notre regard qui répond dans notre immobilité
oui
nous répondons
à ce corps
qui joue
là
et qui se joue aussi
de nous
car il pose sa question
la question du corps habité
habile et souple
un corps habité pleinement
un corps lumineux
qui nous éclaire
un corps habité
par Beckett
par Molière
par Pinter
par Ionesco
par Shakespeare
par Racine
par Camus
par Bernhard
par Jarry
par Lagarce
par Marivaux
par Gorki
par Tchekhov
par Corneille
par Adamov
par Levin
par Gaudé
par Visniec
par Brecht
par Goldoni
par Gombrowicz
par Hugo
par Tardieu
par Genet
par Rostand
par Giraudoux
par Koltès
par Jodorowski
habité
par tant d’autres encore
à l’aube de nos civilités
à la naissance des tragédies
aux premiers cris des comédies
Eschyle Sophocle Euripide Aristophane Sénéque Plaute Térence
habité
par tant d’autres encore
aux frontières des territoires connus
et aux sources vives de l’age de l’Homme
habité
par tant d’autres noms
encore invisibles
ou même
fugaces fantômes éloignés de nous
avec leurs folles histoires humaines
ce corps
c’est la vie même
c’est l’image de la vie
c’est la représentation
nous y voyons nos propres larmes
nos propres errements
nos joies
nos peines
notre condition
et les conditions qui mènent
aux changements
aux mutations
et à l’universel
c’est notre esprit qui s’enflamme
devant ce corps
c’est notre esprit qui voit
nous
nous sommes
peuple
assis
là
devant l’histoire
et puis
et puis viendra la voix …
Texte : Zakane
Illustration : Olivier de Sagazan met en scène » Corps-Textes » / Solve Sunsbocri
Nous ajustons nos peaux – tellement ça