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lampe

Je ne porte pas d’armure, tu ne vois rien. Pas de fer, pas de cuir, pas de gilet pare-balles.

J’ai autour de moi une aura, un film, je suis l’homme cellophane. C’est comme ça que je me sens. Un corps fonctionnel, sans panne d’usage, sans flétrissure. Un squelette, des muscles, des membres qui agissent selon mon vouloir.

Tu regardes mon visage et tu ne peux pas savoir que là derrière, il n’y a que mon cerveau qui pense, qui analyse, qui comprend… Mon esprit, qui saura te dire que le monde est vert et bleu, qu’il y a de l’eau froide et de la vapeur capable de me brûler. Je ressens le mal, ce que me fait le soleil, le froid, je ressens le goût des plats, que c’est salé, sucré, que je trouve cela mangeable, mais je ne saurai jamais te dire de quelle manière cela me fait plaisir ou pas. Si c’est beaucoup, si c’est trop, si c’est peu.

Je sais, on me l’a expliqué et j’ai bien compris, qu’il y a des choses qui se font. Que si l’on perd soudain un ami, ou son père ou un voisin, on doit se montrer plus intéressé, plus présent, qu’il y a des mots qui conviennent alors, qui veulent dire à l’autre qu’on sait qu’il vit quelque chose de difficile. Pour moi le bonheur ou le malheur des gens que je côtoie se mesurent simplement en un choix de mots dont je sais qu’ils sont sur une échelle d’intensité. Tu peux souffrir rose, vermillon ou carmin, tu peux souffrir violet.

Moi je comprends mais je n’éprouve pas ce que tu ressens, je ne sais pas dans quelle mesure j’en suis proche ou terriblement éloigné. C’est juste à mon esprit d’évaluer ce qui se passe. Je n’ai rien d’autres en moi pour l’estimer. Parfois, mon intelligence m’aide parce que beaucoup d’autres choses sont là pour que je prenne la bonne mesure. Par exemple, te voir le matin rend le trajet plus court. Tu me parles, tu me dis des choses et cela remplit mon esprit de nouvelles chaque jour. Je sais que si tu souris, c’est que tu es satisfaite et que si tu te tais tu es occupée à d’autres pensées. Je sais simplement qu’entre nous, il y a cette sorte de différence qui fait que je te sais mais je ne te ressens pas. J’accumule depuis des semaines toutes les informations me permettant de mieux te connaitre. Je sais beaucoup de choses de toi que peut-être tu ne vois pas toi-même !

Pour moi, tout ce qui se dessine sur ton visage me semble une énigme. Pourquoi tu fronces les sourcils, pourquoi tes lèvres tremblent… Ce ne sont pour moi que des mots. Comme des statues dans une vitrine. Je les vois, elles sont en or donc précieuses. Elles sont bien faites, je reconnais une divinité, je reconnais un animal… Je sais donc que cet objet est une réussite. Mais si toi non plus tu ne peux les toucher, comme moi, toi tu peux dire qu’en les voyant tu es emplie de sensations, ces choses que je n’attrape pas.

Tu aimerais que je t’aime. Je t’aime. Mais maintenant tu sais d’où ce mot vient en moi. Tu es comme un trésor sous une vitrine. Je sais que ton sentiment est admirable et une chose bonne pour moi, mais je ne peux pas toucher les formes de ton amour, ni savoir s’il est en or lisse et frais, s’il est doux au toucher, s’il a une odeur et s’il convient à ma main. Et cela me fait peur, une angoisse forte car rien ne m’accroche aux autres, rien ne me retient à toi. Ma vie est comme le trajet d’un nageur dans sa ligne de nage. Nous avons la même eau. Le même ciel, les mêmes mouvements des bras et des pieds. Je nage droit devant moi.

Texte et dessin :  Anna Jouy