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pour les cosaques, lumières sur l'eau

Je ne sais trop pourquoi mais on aurait un peu froid, un peu peur, dans la nuit d’une ville.

Il y aurait un jeune couple, enfin assez jeune, deux enfants et, un peu incongrue, de passage – ne sais plus pour quelle raison j’étais avec eux, et n’ai pas envie de chercher à m’en souvenir, ça n’a aucune importance -, moi la petite vieille.

Nous aurions marché poussés dans les rues par le vent, allant un peu au hasard, hésitant à nous avouer – enfin les deux parents – que nous étions perdus, entre des façades mortes.

Ils gardaient cependant pas ferme et calme apparent, mais nous, les deux enfants et moi, n’étions pas vraiment dupes, les remercions pour cette assurance, voulions y croire, mais le trajet fantasque, les changements de rue qui nous semblaient faits de hasard, nous détrompaient.

Et quand nous croisions des venelles noires creusées dans le mur que dressaient les façades, nous nous rapprochions, nos mains se rencontraient, se serraient, se caressaient, se calmaient par ce contact.

Nous chantions parfois, doucement, c’était la fille qui commençait et nous suivions comme pouvions parce qu’elle inventait des paroles, mais nous aimions bien cela, le bruit faible, juste une présence, que cela faisait, pour ce qui se passait peut-être dans les zones noires que n’atteignaient pas les rares lanternes, et puis pour les parents, eux ils se taisaient le plus souvent, chuchotaient parfois et c’était pour discuter, se retenant à la limite de la dispute ; nous percevions, en voulant l’ignorer, les remarques énervées sur le manque de patience qui l’avait poussé, lui, à décider au bout d’un long moment d’attente devant la gare qu’il y avait un malentendu et à partir avec une assurance injustifiée sur la foi d’une adresse, nous entraînons, nous, à sa suite.

Là le je, celle qui raconte cette histoire, s’arrête, ce dit voyons ce n’est pas possible, ou cela ne peut pas être envisagé, compris, alors aux deux enfants elle explique qu’ils sont tous les trois dans un temps – mon Dieu c’est déjà si loin, vont pas me croire – où les téléphones portables n’existaient pas, où il y avait de rares cabines de verre contenant des appareils généralement hors service, et pour seule possibilité les cafés, et vous avez bien vu, dans cette ville, à cette heure ci, il n’y avait pas de café ou de restaurant ouverts.

Nous avancions donc, la vieille femme entourée des deux petits, derrière le couple, nos éclaireurs, et il y a eu cette vague clarté au bout d’une rue, qui faisait doux aux yeux, nous ne regardions plus qu’elle, en attendant quelque chose, on ne savait quoi, un changement ; au bout d’un moment la mère s’est retournée et sa voix était joyeuse, une joie un peu forcée mais qu’elle nous lançait comme un encouragement «C’est le fleuve !»

Les petits se sont mis à courir, ont pris la tête de notre troupe, et nous les avons rejoint au bord d’un grand mouvement sombre qui était en effet le fleuve.

Et au delà du fleuve il y avait ces lumières, de l’or rouge mobile, qui se reflétaient dans le friselis du courant.

Le garçon a soufflé : «c’est quoi ça ?»

Nous regardions, la fille a tranché «des lutins qui dansent», j’ai pensé, des esprits en peine, mais ne l’ai pas dit, pour ne pas leur faire peur, et puis parce que ce n’était certainement pas ça, et qu’ils se seraient moqués de moi, le garçon a rétorqué «non, ce sont des amis qui nous font signe», la mère a affirmé, d’une voix un peu lasse, «ce sont des lampadaires voyons», le père a dit «bon le fleuve est là, donc…» à ce moment là il y a eu la criaillerie d’un klaxon derrière nous, et une voiture, et des appels, et c’étaient (le garçon n’avait pas complètement tort) des amis, nos hôtes futurs, qui étaient arrivés en retard à la gare, et «mais par où vous êtes passés ? auriez dû nous attendre» et puis des rires, des commentaires souriants, le coffre et les portes de la voiture ouverts.

A ce moment là, la vieille, celle qui disait je, essaie d’imaginer si les deux enfants ne trouvent pas cette histoire idiote.

 

Texte et photo : Brigitte Celerier