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Un livre qu’on écrit. Où nous mène-t-il? Loin ou près? C’est toujours n’est-ce pas cette douce idée que nous sommes comme des goélettes frayant avec la vie. Choisir cent fois de nous déplacer et d’aller vers, comme mettre du concret sur l’autre chemin, l’invérifiable? Vers quoi nous déplaçons-nous –vers quoi ou qui – «écri-vivons –nous»?… J’aime me savoir avoir marché, ayant ainsi passé sur les chemins du ciel et ceux de la terre, pour ensuite visiter des abysses et les Everest d’autres désirs. Mais qu’ai-je appris? Ai-je su mettre quelque chose de moi en route si je n’ai jamais posé mon front contre un front étranger? -Je songe parfois qu’envisager l’autre sans y mettre une figure est comme sortir masquée-. Suis-je restée aux abords de ce coeur dont on parle, comme m’offrant un abo général pour faire le kilomètre qui me sépare de mon travail? Ai-je tourné autour de mon âme de peur de progresser dans le labyrinthe?

Sans fin, cette idée du voyage et de la rencontre ponctionne, poinçonne. Je le vérifie tous les jours de tous ces trous que j’ai. Nous prenons des quais et puis des débarcadères. Mouvements indéniables. Mais sont-ils là où je les ai pensés?

Certains qui écrivent sont depuis toujours de la vie et en ont fait leur monture. Je les envie d’avoir absorbé toutes les horizontales du monde. Ils ont cette encre au bout de leurs doigts qui courent, moi qui ne suis qu’un papier qui boit. Mais il y a aussi ces autres voyageurs qui partent leur valise pleine d’eux, si craquée de savoirs qu’il n’y a plus la plus infime parcelle pour y recevoir même un souvenir.

Ecrire un livre. Voyager dans le temps et avec ce subtil retour vers l’innocence, la vie me ramènerait vers l’enfance de toutes les enfances, celle du monde, si lointaine et la mienne si lointaine aussi, celle-ci du moins qui n’avait encore aucune inscription de peau, qui prolongeait les heures au-delà de l’imaginable. Je vivais trois quatre vies en une seule journée et jamais la moindre fatigue ni la moindre question ou alors toutes les questions, comme je m’en souviens si bien. Nous étions des êtres bien étranges, comme des oiseaux ou des chats, vies serties dans la vie, -fossiles ou poème je ne sais plus- et Dieu ne nous demandait pas alors de lever constamment la tête pour scruter la lumière. Nous étions des mythes à nous tous seuls, des nautiles de courants vifs, de rivières, de ruisseaux. Et je me souviens que déjà alors j’aimais les flaques, les gouilles de bitume dans lequel je pensais arpenter des nuages.

Evoquer ces vieux goûts qui irisent encore, c’était comme trancher net dans l’espace et faire un accordéon avec la carte. Le lointain rétréci d’un simple geste. Ai respiré, tenté de prendre une «golée» de ce hier nostalgique; la musique étirée au maximum, tous les soufflets dehors. Je sais bien qu’il s’agissait simplement de prendre un peu d’air, d’oxygéner mes poumons., comme une mélancolie sortie du bandonéon vital.

Loin, près. Vaste, bref. Distendu, écourté. Une respiration toujours infinie. Le passé, le proche, distance vainement abolie, côte à côte dans le récit, s’enfuient par tous les trous. ça m’échappe « par le bas par le haut », par l’Est ou le Sud. Et maintenant, à nouveau le temps me nargue…

Je ferme les yeux. Que vais-je encore voir?

Texte et photo : Anna Jouy
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