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l'écarquillée (cosaques)

«On l’appelait l’écarquillée à cause de ses yeux, parce qu’écarquillés ils étaient toujours, ou presque, un peu globuleux.. mais pas tout le temps, pas comme si c’était une maladie.

Non, juste elle fixait avec tant d’attention la moindre chose qui sortait de l’ordinaire que ses yeux, assez beaux au demeurant, pas très grands, mais très clairs, comme une eau fraîche, dormante, un peu verdie, que ses yeux donc lui sortaient du visage comme disait ma mère. Plus agaçant, agaçant à force d’être étrange, elle semblait si hypnotisée par vous quand vous lui parliez, que c’était comme si elle guettait les mots en train de se former, pour les soupeser, les examiner, tenter d’en percer le sens. Oh elle comprenait bien sûr, du moins il le semblait, elle réagissait, et si vous lui disiez ou suggériez de faire quelque chose elle le faisait, et elle répondait aussi, de façon sensée, du moins aux phrases simples, et aux sentiments quand ils étaient directs. Mais elle semblait toujours un peu sur ses gardes, réservée un peu, légèrement soupçonneuse peut-être, devinant ou cherchant à deviner si quelque chose ne se cachait pas, à peine, mais assez pour lui échapper, sous le sens premier.

Et comme elle était plutôt gracieuse, visage un peu rond, peau d’un rose délicat, boucles souples et blondes, nez banal, un peu épaté peut-être, mais à peine, et en accord avec la fraîcheur délicatement naïve de l’ensemble, comme elle semblait disponible, on l’aimait bien, on la pensait pas très fufutte, mais bonne et gentille et bien brave…

Seulement je sais, moi, et cruellement, que ce n’était pas vrai.

Pourquoi ? Oh je ne le dirai pas, ne veux pas nous montrer, elle et moi, sous ce mauvais jour mais…

C’est pas comme si elle était si sotte que dangereuse, comme, vous savez, l’ours de la fable, celui qui écrase le visage de son ami pour le débarrasser d’un moustique, enfin quelque chose comme cela, sais plus très bien… Non, si elle était médisante, ce n’était pas par bêtise, par étourderie, c’était voulu, j’en suis sure.

Et bien entendu vous allez penser que c’est moi qui suis hargneuse, méfiante, vindicative et vous allez la plaindre. Je sais, c’est toujours comme ça.

Je préfère me taire.»

Et elle nous a quitté, s’en est allée la petite brune et son dos était coléreux. Nous nous sommes regardé et j’ai demandé «qu’est-ce qui lui prend ?» et puis avons parlé d’autre chose de plus intéressant.

 

 

Texte et photo : Brigitte Celerier