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paquebot de sable

Ceux qui disent que les rêves ne sont que du sable et du vent ne croient pas si bien dire, même si ce sont de piètres rêveurs. C’est du sable dansé dans le vent. J’en ai eu la preuve, quand j’ai réalisé l’un de mes premiers rêves: construire le plus beau château de sable de la plage de Mers-les-Bains. Mon château était un bateau, un paquebot même. En obtenant le premier prix, je n’ai pas perdu mon rêve, je l’ai confié à la mer qui est venu le chercher. Dilué, redevenu grains de sable roulés et malaxés par la lune et la nuit, la mer et le vent mon rêve a été déposé sur une autre plage où quelqu’un s’est endormi.

Ce jour-là, dormait un promoteur qui construisait des châteaux en Espagne. Il roulait déjà sur l’or mais c’était encore insuffisant; il peaufinait un projet au Mexique, la construction d’un ensemble hôtelier sur une île de sable blanc, après en avoir exproprié les pêcheurs. Un grain de sable noir est venu gripper la machine. Ce grain de sable faisait partie de mon rêve. Les plages sont couvertes de rêves. Un jour que je dormais sur une autre plage, je crois que c’était au bord de l’Atlantique, j’ai entendu – de mes oreilles de rêveuse entendu – le rêve de Martin Luther King. Au réveil je l’ai même récité en anglais alors que je ne le parle pas. Le rêve était intact, inentamé. Jamais, les rêves ne meurent. Cependant, ils se transforment. Même les rêves brisés par autrui.

Après avoir effectué le plus beau bateau de sable de la plage de Mers-les-Bains, mon rêve fut de chanter le mieux possible. N’ayant obtenu au concours de chant que le deuxième prix, mon rêve était toujours à l’état de rêve. Je sais ce que vous vous dites, cette pauvre fille ne faisait pas de vrais rêves, elle confondait juste amour-propre et amour d’autrui. Oui, vous avez raison, mais j’étais encore une enfant ; de plus, mon rêve n’était pas d’être la première mais de chanter le mieux possible. Ce qui est quand même différent. Alors, j’ai persévéré, j’ai pris des cours de chant, et j’ai cherché une chanson, une belle chanson. Mon rêve était de trouver la plus belle des chansons.

J’ai fini par chanter aussi bien que possible de belles chansons, mais je cherchais encore la chanson de mes rêves. J’ai commencé à en écrire. En vain. Insatisfaite, je persévérais. Entre-temps, d’autres rêves sont venus mettre leur grain de sable dans ma tête ainsi que des questions: à quoi les autres rêvaient-ils? Faisions-nous tous les mêmes rêves? Un rêve devenu réalité est-il encore un rêve? Ou après métamorphose devient-il disponible pour un autre?

Un jour que je dormais sur la plage de Robinson, ça je m’en souviens précisément, j’ai rêvé que j’étais le rêve de quelqu’un d’autre. En me réveillant, époussetant les grains de sable sur ma peau, j’ai croisé le regard de mon rêveur: c’est mon compagnon depuis trente ans. Il est marchand de sable. Je suis tourneuse de rêves. Une fois qu’il vous a endormis, je mets en scène vos films de nuit, de jour et de plage. Nous nous fournissons sur toutes les plages du monde.

Texte : Christine Zottele