
Je rêve d’une colline de potiers,
dans les grottes d’ombre, les alandiers
côtoient des palais blancs, erratiques
vaisseaux irrigués par les embruns d’ouest ;
en aplomb du petit port sardinier,
les goélands rasent les grands bateaux,
au gré des alizés, ils dessinent
des arabesques sur les eaux grasses,
bercés par le brouhaha guttural
d’une foule bariolée de marins.
j’imagine les lumières blafardes
une grande salle d’accouchement
la sage-femme crie dans un halo
poussez poussez encore le voilà,
la jeune mère sombre dans l’absence.
Son homme, empêtré dans ses longs bras
a un mouvement d’attrait répulsion,
sourit : il est né le divin enfant
dans le temps où enfant de chœur là-bas
et le curé là où elle est présente
Une lui prend déjà cette chose-là
dégoulinante d’humeur s’époumone
à vivre à faire entrer le souffle,
là où il se trouve désormais ici,
d’où il écrit, il les voit tous les trois
désormais là-bas ils ne sont plus deux
éveille toi dit son esprit il est
vous-là qui au soleil il est bien né
sortit du ventre d’où il déployait
force à coup de pieds d’épuisements
Dans la maison laiteuse, elle oublie
voulez vous le prendre ? dit une autre,
après ! cette odeur si amère ?
c’est son lait il colle asséché
tiens une mouette non c’est lui
il crie je dors laissez-moi rêver
il faut le changer là venez, venez !
je veux mon cours élémentaire deux
je veux tes mains sur mes cheveux
la fragrance des épices du marché
Ce matin, comme hier, à sept heures
la Voix des Arabes parle d’Asfi
si près d’al-Andalus, oh mon regret,
forêt de chênes, amer de marins,
les haubans du port chantent, mélodie
connue de Pline l’Ancien, des Izran
au guembri ; une brise fait frémir
les arganiers , ravi ma jeune âme
dans les rets d’anciens rêves d’Araziq,
de flambeau et de repos phéniciens
A l’heure des philosophes et des poètes
je le lui ai dit je l’ai entendu
tu me fait mal, ma sœur comment fais-tu ?
te souviens-tu ? as-tu pleuré ? ressenti
ce vide là dans le ventre au creux ?
la peau de ses fossettes se plisse
son regard plonge dans mes yeux,
je vois mon visage c’est ta maman
la bête dans mes jambes endormie
déploie désormais ses ailes à la vie
Le Gnaoua éclaire l’air du matin
dispense les nouvelles du petit
les chouwafates, arrivé jadis
de Mogador avec leur maâlem,
libèrent les âmes et les esprits
enveloppent son corps des sept couleurs
clament son joli nom sur les hauteurs
de terres perdues noires à l’envie
que plus d’un regrettent secrètement
fermés dans l’amertume du passé
Quand viendras-tu voir sa chair rose hurlante
aux parfums d’extase solipsiste branlante
sur sa haute couche duveteuse il se trémousse
vermisseau royal en attente de ses couches.
Et de ce corps avachi d’où la vie est sortie
prendras-tu le soin d’en jouir à l’envie
sauras-tu en faire reluire la beauté absente
désormais dévolue à l’infans qui le hante.
Je me souviens de la blanche et douce Casa
tout au début après mon Sarlat et ses lilas
Dans l’Écho du Maroc apporté par M. ce matin
un article dit que le cheik Abi Mohammed Salih
Almagri fit construire la Zaouia, elle surplombe
fière les blanches falaises, qui porte l’étude
en une extase aérienne de sensibilité Soufiste.
La vie terrestre de cet exégète de la sunna Allah
infatigable défenseur des Hadiths et des croyants –
il est dit que son nom – à Safi associé à jamais-
irrigua les esprits d’un peuple, à l’écoute du Saint,
s’adonnant à la twiza et certains à la Ttib nabawi
Je rêve d’une colline de potiers
en aplomb d’un petit port sardinier
les reflets bleutés de l’argile des grottes
peignent d’une nostalgie salée
les murs blancs délavés des palais ;
soupirail de misères, des vaisseaux
chargés de haschisch venus du Mali
flottent sur les eaux huileuses de midi
épuisé, l’odeur âcre des embruns
se mêle à un brouhaha guttural.
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« Le lointain », accompagné de six peintures de Ly-Thanh Huê, est publié dans la collection Les plaquettes de la Revue A L’INDEX de Jean-Claude Tardif. Jean-Claude Bourdet nous présente le travail de Ly-Thanh Huê :
Ly-Thanh Huê est originaire des bords du Mékong, elle vit sur les bords de la Loire. Dans un petit livre carré : Entre Loire et Mékong, paru aux éditions du Petit Pavé, Huê nous livre un regard simple et poétique sur son histoire entre les deux fleuves majestueux.
Ly-Thanh Huê est psychiatre, psychanalyste, docteur en psychopathologie fondamentale et psychanalyse ; elle est aussi peintre, poète, autrice de nouvelles. Huê explore les routes complexes du sujet, elle parcourt les chemins de l’altérité lorsque l’autre devient étranger.
Son regard rencontre Le lointain qui se meut sans complexe dans le cœur tendre d’un poème.
J’ai souhaité que ses tableaux accompagnent mon poème comme les nuages se réfléchissent dans le miroir des fleuves. Seul le regard du passant peut en saisir l’instant et en interpréter le sens. Et, méditant sur les rives du courant de la pensée, se laisser bercer par les rêves et les rêveries qui se substituent, un temps, aux souvenirs et à la mémoire.
Les tableaux de Ly-Thanh Huê ne sont pas une simple illustration du poème, ils ont été peints bien avant la genèse du texte, mais ils raisonnent avec lui en termes de signifiant de symbole et de quête.
Le poème est une tentative de reconstitution d’une origine perdue, il est à la fois un roman des origines et un rêve comme le répète le refrain.
Il me semble que c’est le travail poétique – pictural pour l’artiste peintre que j’imagine inspirée par l’eau, la nature, la mémoire – qui me permet de reconstituer, sous la forme de ce poème, une histoire oubliée, sauf dans une mythologie familiale qui en demeure le premier véhicule narratif.
Ly-Thanh Huê, Le réveil en tous ses états, une approche clinique et littéraire, L’Harmattan, 2010.
Le site « Les cosaques des frontières », accueille des nouvelles de Ly-Thanh Huê sous son nom de plume : lanlanhue.