Pas sage devant la glace
le petit miroir au-dessus du labo
dans la salle de bain
celui croisé tous les matins
on y pense même plus
on allume on y va
pas souvent de fenêtres dans ces endroits
lumière blanche lumière teint blafard
ou jaune ou rougeurs
lumière qui accentue les racines le cheveux sale
le matin on y va
je ne vois de moi
qui est rien
juste des yeux fatigués sans pensées
car sinon retour au lit
pressée accrochée aux aiguilles
visages ni beaux ni laids
naître sous la lumière jaune
la même que celle du métro
qui nous fait une tête d’anémiée
Je me lave la figure
douceur du savon liquide
clown blanche là je me regarde
on ne voit plus que du bleu
de mes mains je masse
je mousse du bout des doigts
front joues menton ailes du nez
frotte tempes je réveille
l’eau froide rince
je me la lance éclabousse l’évier
Moi mon visage miroir intérieur
de ce que je souffre
de ce que je glane
du sang sous les tapis
l’eau froide les traits se raffermissent
sortent des rêves qui me vieillissent
Je me lave les dents
repousse l’odeur du café
maman je dois me laver les dents
lui se regarde
met de l’eau sur ses cheveux
à son âge dans ma tête
un vrac de marché au détail
Crème hydratante la raffermissante
pour vieillir moins vite croire
du parfum pas pour sentir bon
mais soutenir mon monde interne
et ne pas sentir les lieux et les autres trop vite
tant d’efforts tant d’années
quand je vais regarder dans la glace
qu’est ce que je vais voir
une vieille dame
si je regarde je vois du blanc
du marron du bleu du rosé
un visage moins rond
des joues qui se creusent
malentendu entre le regard et les traits
Que sais-je de mon paysage
on ne voit pas dans son miroir
son regard
celui qui nous porte
celui qui porte l’Autre
à notre porte
celui qui claque la
porte au nez
Dans la glace des grimaces
des airs des essais
des faux-jeux
miroir menteur comme un selfie
regard truqué creux
il sourit au téléphone
à soi-même
qu’est ce qui peut bien donner envie de se sourire à soi-même
même un autoportrait
ne cache pas nos âmes
selfie monnaie pixel
Passage devant la glace
au-dessus des lavabos
dans les toilettes d’autoroute
les toilettes d’un grand centre commercial
les toilettes d’un restaurant
se laver les mains un menu prétexte
je crois que la pire tête
c’est celle des aires d’autoroute
la bande d’arrêt d’urgence
nous guette
Texte : Aline Recoura