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Lui : Et pourtant, c’est arrivé. Je me souviens de son regard absent. Je n’ai pas eu peur, même quand il a sorti le revolver et qu’il l’a pointé sur moi. Je me suis dit que jamais il ne tirerait…

Elle : Quand j’ai entendu le coup de feu j’ai cru qu’il s’agissait d’un pétard, je ne me suis pas méfiée un instant.

Lui : (il déclame) Le bitume anthracite est comme une flaque opaque de sang, il laisse une solide marque dans la chair meurtrie. Le sol s’anime, tourne, mobile dans une course entravée de chocs, de cris, de sons stridents. Tout va si vite. Des images s’impriment : un rétroviseur, le flanc blanc d’une automobile, l’angle rond d’une poignée de bicyclette, d’un rayon de roue, d’un morceau noir de garde boue. Le bruit encore, un brouhaha. Sonné, il se roule sur son imper noir, là, au bord du boulevard. Il entend une dame crier, elle a un long manteau gris. « Le pauvre monsieur, le pauvre ! » Elle s’avance à le toucher. Il la rassure, se rassure, les os ont résisté…

Elle : encore une digression, comment veux-tu que nous avancions !

Lui : je crois que je n’ai pas envie de sauver ce falot de Jean, il n’a qu’à assumer l’horreur de son acte et se consumer éternellement dans le septième cercle avec ses semblables plongés dans le fleuve du sang bouillant de leurs victimes !

Elle : Je te comprends mais nous nous sommes engagés, il n’est pas question de reculer ! Prenons les faits : Jean surprend les amants, il les abats à bout portant, comment lui trouver des circonstances atténuantes ! Je sais il s’était épris de la fille, et il haïssait le garçon, son avocat a bien plaidé le crime passionnel mais je jury a balayé cet argument, la froideur, la précision du geste démontrent qu’il avait prémédité son acte.

Lui : alors que dire pour sa défense ?

Elle : Rien, il n’y a rien a dire !

Lui (avec un certain plaisir) : COUPABLE !

Et Pete Oblio chante The Cosmic Sailor ; à fond !

Ainsi se fini en queue de poisson la poursuite effrénée du bonheur dans cet enfer de pacotille doré !

For seasons in the sun!

Elle : (elle déclame) Le regard tordu de la mort lui donne une figure de clown triste. Les hommes penchés sur leur image se noient dans la crème fouettée de l’ironie de leur destin !

Lui : Ah ! On est bien avancé maintenant !

Elle : Fin

La cigarette, le surpoids, le peu d’exercice physique, le manque de sommeil devraient déjà l’abréger de quelques années, mais cela ne suffit pas.

Pierre, Jean, ou bien Je ou encore Il, choisissez, je n’y arrive pas encore, a pensé ne plus écrire.

Sonnés, comme on dit d’un boxeur qui vient de prendre un coup sérieux !

Le rouge s’étendait comme un océan, la feuille semblait devoir éclater en son centre, elle se retrouvait comme transpercée par une lance de feu. L’homme était là, assis, vêtu d’un simple short kaki et de sandales en cuir brun. Il devait avoir une cinquantaine d’années. Son visage hâlé était parsemé de fines rides, quelques cheveux gris commençaient à envahir son crâne rond. Il tenait une cigarette à moitié consumée dans la main droite et une tasse, un mug, sur lequel était écrit en cyrillique Praha, une fumée bleutée s’échappait de la tasse et se mêlait à celle de la cigarette.

Il regardait la toile qui lui faisait face. En silence. Son regard brillait, ses yeux très noirs ressemblaient aux billes de métal avec lesquelles il jouait à S. Il devait avoir 6 ans, il en avait mis une dans le cuir d’un lance pierre à fourche de châtaignier. Il avait tiré. La bille avait sifflé dans l’air froid du matin. Le bruit du claquement des lanières de caoutchouc noir sur le bois sculpté de cercles inégaux semblait ne pas devoir s’arrêter.

L’étourneau était tombé sans bruit.

Dans sa petite main il était maintenant inerte, l’orbite éclatée en un œillet sanguinolent.

Il y avait trois personnes, un vieil homme au regard sans forme, ses cheveux gris laissaient son crâne dégarni, il se tenait debout très droit, une table ovale en noyer dressée comme pour une réception. Ses deux doigts effilés, très longs, la peau laissait voir des veines bleues étonnamment épaisses, presque incongrues sur d’aussi fines mains, remuaient lentement. Les autres étaient flous, impossibles à distinguer dans le champ confus de sa conscience. Le tribunal du silence…

Trois jours plus tard.

Il venait de regarder Once, un film sur les débuts d’un compositeur Irlandais interprété par Gleen Hansard.

Le fil de sa voix était comme un enchantement, la grâce des mélodies et des vibratos atteignait la perfection. La guitare sèche volait dans l’azur. La fille qui jouait du piano vibrait dans un nuage de sonorités fragiles qui éclatait dans un sanglot de pure poésie.

La rencontre par la lecture d’Antonio Gamoneda me précipite toujours dans une confusion profonde où se mêlent étroitement ravissement, souffrance, débordement émotionnel.

 Texte/Photo : Jean-Claude Bourdet