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Le jour, la chambre est morne, aseptique disent-ils. Je vois des étendues semblables où se perdent et se fondent quelques rares accrocs de peinture suggestifs et inquiétants. Une vie rangée méthodiquement entre des pôles de morphine et autres « attrape- nerfs ». Entre ces zones obligatoires, on est libre, on ne sait de quoi, mais libre, d’inventer peut-être un lit volant ou une barque pointant un fond inatteignable, un mur peint sans nuance. Parfois un cri, un pleur, un rire qui sait, ramène l’étrange à des proportions moins brumeuses.
Vous ne voulez plus revenir. À quoi bon, vos îles sont dans ces soucoupes médicinales, vous accostez, triste sire en manque de pilules, et puis vous fuyez ensuite à grandes paluches vers les toiles bleues de la fenêtre, un lac, un ciel. Il y a de quoi s’enfuir!!! Mais P… ! on revient, sacrés toutous, on revient sans cesse.
Ensuite se dresse la nuit, qui attache du viscère sec à votre barque. Duvet de plastic, matelas et oreiller pareils, une vraie fabrique de sueur. Vous entrez dans la nuit par les gouttes longeant vos plis charnus, cette moiteur de votre tignasse, ces perles de la tête. Il fait noir mais vous, constellée de pacotilles, vous pénétrez le monde par les guichets de ces pampilles de sueur ; vous grelottez ou transpirez, à choix.
Et le rêve pareil s’ouvre, se referme et s’ouvre à nouveau entre ces lapées d’eau froide que vous aspirez, tétant une pipette à soif suspendue quelque part entre le ciel et la terre, là où le cou tendu vous la saisirez de vos lèvres pour vous désaltérer. Et entre chaque gorgée, un rêve qui se ferme, un autre aussitôt qui s’ouvre avec pour vous les mêmes questions absurdes ou urgentes. » Qui êtes-vous ? Marchez pour voir ! Prouvez-le. »
Je laisse la vie tamponner mon corps de ticket de passage. Il avance ainsi dans la vie par ces portes à guichet. La tête de machin revient, différente et la même aussi. Il se méfie. Il me change de tâches, de soins, de devoirs : ce sont toujours des couloirs à prendre. Et là-bas au bout du parcours, revoilà sa binette surprise à peine qui me guide encore vers un autre corridor, des escaliers parfois jusqu’au réveil lourd des cheminants sous caution.
Texte : Anna Jouy
Image : Johann Erdmann Hummel, Berliner Zimmer, 1825.