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Hyperbole 4

Il y a cette femme, seule avec l’enfant qu’elle tient tendrement par l’épaule, une main posée sur son smartphone, comme pour lui signifier de ne pas sombrer dans les méandres virtuels.

Il y a trente mètres plus haut une avenue qui se cherche, qui apparaît à la vitesse d’un vol d’oiseau.

« Comme si l’oiseau s’envolait exprès ».

L’artère, à l’origine trop pure trop monotone, se couvre d’immeubles de très haute taille. Ils scintillent les jours de soleil. Dardant des rayons blancs, dorés, argentés. Légers,  ils sont construits sur le vide, posés sur une dalle, sarcophage d’une voie ferrée. Les trains circulent toujours. Dans un tunnel à présent. Et sur des kilomètres. Chaque mois un nouveau squelette d’acier se dresse, puis est habillé progressivement d’une robe archi-technologique.

Je regarde les vêtements de cet homme, quinquagénaire aux cheveux longs grisonnants. Une allure étonnante. Celle d’un aristocrate défait. Pantalon de toile rose et sale. Veston souple orné d’un écusson improbable. Comme entre deux mondes.

J’essaie de lire dans le ciel de son rêve. Quel est son mal ? La ville aussi souffre de sa douleur sans jamais la comprendre. Elle se plie à des plans, des calculs savants. Elle s’érige comme ça. Comme on guérit les Dieux, sûrement.

Le silence ici ne peut être qu’intime. Provoqué en soi. Au creux d’une ombre intérieure. Ou d’un souvenir. Un territoire qui s’étoile, qui s’allume de toute part.

« Tu m’as revêtu de peau et de chair. Tu m’as tissé d’os et de nerfs ».  Et voilà qu’elle s’étend. Qu’elle s’étend à n’en plus finir. Qu’elle accorde sa grâce ou la mort. Plus vivante que les vivants. Immortelle. Ce qu’elle cache en son cœur, je le contemple.

« Je serais mort et aucun œil ne m’aurait vu ».

Je contemple ce qui repose dans la poussière. Sous nos pieds. La ville déserte, cimetière. Celle que la terreur assiège. Où l’on se traîne avec épouvante, comme chassé du monde. Des générations saisies par la ruine et la colère. Alors que, propulsés vers la lumière, les survivants n’ont d’autre destinée  qu’une destination. Dépouille sublime écartelée. Postérité construite et coupable. Mais nul ne répond. Tout le monde se fraye un chemin.

Le souffle de son intelligence artificielle s’élève jusqu’aux cieux. Plus rien ne peut lui donner la réplique. Son agitation impossible à tenir.

Pris dans ses liens, les transgressions, son orgueil, on n’achève les jours à la hache. Le métro s’arrête net. Déployant toutes ses forces automatiques. Cela fait mal aux cervicales. Le déchirement dans les profondeurs de cette terre urbaine. Son territoire global finalement impénétrable pour les hommes. Plus grand que le Créateur lui-même, il prend la lumière dans ses mains. Éclate un rugissement. Il annonce un grondement. Puis un souffle presque sifflant. Le métro redémarre. Il peut à nouveau réduire l’espace, comme un signe de sa puissance mécanique supérieure.

Relier les organes vitaux d’un corps quasi astral. Sa raison démente, ses réseaux enchevêtrés  qui font comme des jungles inextricables. Prêtes à s’enflammer.

Cette multitude qui se lève et se dirige vers les portes de la rame.

« Je ne crains pas les myriades de peuples ».

Ces peuples qui font corps avec les fragments merveilles effaçant les ruines. Ces villes anciennes renversées. Elles ont péri pour toujours, à perpétuité.

Hyperbole 4.1

Texte : Yan Kouton
Images: En haut : Carol Delage. En bas : Yan Kouton