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Matin de neige. Les radiateurs sont brûlants. Un tube de rouge à lèvres traîne sur le parquet. Je suis affalé sur le canapé tandis que L déambule en soutifs dans le séjour. D’une démarche souple, féline, elle me fait admirer son corps après avoir longtemps pris soin de lui devant la glace. Je la regarde qui exhibe ses courbes ondoyantes, le souffle coupé. Sait-elle seulement que son sourire moqueur, son port altier et le balancement rythmé de ses hanches me tiennent en vie ? J’aime quand elle est comme ça au-dessus de moi. Impossible de regarder ailleurs. Je ne fais rien d’autre que lui sourire bêtement, tandis qu’elle feint de m’ignorer. Ma brune au visage si pâle prend son temps, retarde l’instant du dévoilement, et moi je paie comptant. Elle sait que la nudité totale n’a aucun intérêt. La vérité se laisse entrevoir. Ce sont les derniers bouts de tissu noir qu’elle porte sur elle qui font tout le charme. Ses jambes frôlent tes genoux à chaque fois qu’elle passe devant toi. Tu frisonnes. Elle s’amuse. S’approche, s’éloigne. Elle fait l’enfant. Elle est encore plus belle quand elle fait l’enfant. Elle te manipule, tu en es conscient, et tu te laisses amadouer en toute connaissance de cause. Son sourire mutin et étrangement figé est la pointe de son charme. Ce qui se cache derrière son masque de geisha reste pour moi un grand mystère. Je récapitule le peu que je sais d’elle : son goût pour la provocation, le travestissement, et puis deux ou trois choses sur son enfance que je n’aurais jamais pu imaginer. Ce que je sais aussi, c’est qu’elle aime exposer son corps avec désinvolture. Alors ce matin j’imagine qu’elle est heureuse avec moi la regardant flâner dans le séjour, à l’abri du grand froid. D’imaginer ça suffit à mon bonheur. Je sais que je n’ai pas le droit de la toucher ni même de l’effleurer. Elle aime faire durer le trouble qui naît du corps. Quelle douceur dans ses gestes, quelle grâce et quel vice ! C’est plus que de la beauté : L a la grâce du diable. Une sculpture vivante qui ne cesse de m’étonner par son éclat, un territoire dont j’explore chaque recoin lorsque je la peins ou la photographie.

La belle infidèle ne renonce à rien. Son excès de vie déborde de toutes parts. Elle a détraqué en moi la vieille mécanique. Ses poses faussement innocentes et la lenteur de ses gestes me sortent de la maladie. Un souffle d’elle sur ma peau suffit à réveiller des zones depuis longtemps endormies. La grâce pulpeuse avec la mort osseuse, sûr qu’on est drôlement accouplés. La voilà qui se penche pour ramasser le tube de rouge à lèvres. Sa nuque est découverte par un chignon. En se relevant, elle me jette enfin son regard fauve, ce regard mi-ange mi-sorcière qui me rend dingue. Ses yeux sont deux froides billes en porcelaine. Elle te regarde toi et te sourit avec malice. Elle est enfin là, évoluant dans ton appartement tout en longueur, la femme que tu attendais depuis si longtemps. Toi aussi, tu as droit à ce bonheur. Tu ne peux plus passer un seul jour sans la voir. Elle est belle d’une beauté à faire mal. Tu ferais n’importe quoi pour rester avec elle. Tu te mettrais à genoux. Tu ramperais. Elle passe un instant dans la chambre à coucher puis revient dans le séjour pour se maquiller devant la grande glace fixée au mur. Ton regard reste attaché à son corps souple que tu désires dans les moindres détails. Quelle exaltation de ne plus me sentir seul au monde ! Je crache sur la mort. Le grand malade médiocre et désespéré que j’étais, je m’en souviens à peine. L m’a donné de nouvelles raisons de vivre. Les lèvres rouges dans le miroir, les dents très blanches, et ce regard à faire tomber n’importe qui. Je vais prendre le temps d’être heureux avec elle. Ne faire que ce qui nous est vital et laisser tomber tout le reste, m’a-t-elle chuchoté cette nuit, tu verras, c’est simple comme bonjour. Sans doute était-il nécessaire d’avoir été tellement malade pour revenir à la vie de façon si foudroyante. On peut appeler ça un miracle. On se dit qu’on ne change pas car on a peur du changement, mais en vérité on est capable des métamorphoses les plus imprévues et les plus profondes.

Texte et vidéo : Gwen Denieul
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