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Une maison médiévale dans le quartier des Carmes à Toulouse

Lorsque, devant Guiraud le parfait, Guilhabert redoutait les foudres de l’évêque catholique de sa contrée, il savait de quoi il parlait. Les Croisés, pour obtenir la victoire, n’avaient reculé devant aucune forme de violence envers le peuple d’Occitanie. Les chemins de souffrance dessinaient sur les terres d’Oc une géographie de l’horreur. Poursuivons.En juin 1218, Simon de Montfort, tel un « lion » toujours en chasse, a dressé le camp sous les murs de Toulouse. Toulouse. La ville libre. Administrée par ses consuls, les Capitouls. Et protégée par la coalition qu’à la hâte, le trop désobéissant Raymond VI a rassemblée autour de lui. Dans le camp occitan, on y croit encore. Et pour une fois, on a raison.

Le matin du 24 juin, la bataille s’engage. Montfort a mis en mouvement ses machines. On actionne le « château », tour montée sur roues qui permettait aux archers de se hisser au niveau des défenseurs juchés sur les remparts. On fait donner « la chatte », un puissant « canon » capable d’expédier d’énormes boulets.

Dans Toulouse, c’est le branle-bas de combat. Chevaliers, archers, arbalétriers sont à l’œuvre. Les Capitouls se mobilisent et avec eux, toute la population. Femmes et enfants transportent les boulets de pierre pour nourrir le feu des catapultes et des trébuchets. A la nuit tombée, les assauts des Croisés sont demeurés vains. Toulouse résiste.

Le lendemain matin,  25 juin, Simon de Montfort entend la messe. Mais cette fois, personne n’attend qu’il en ait terminé avec ses affaires personnelles. La maîtrise du temps lui échappe. Les Toulousains sont sortis pour donner l’assaut. On vient le prévenir. Dans la précipitation, Simon s’engage pour tenter de redresser une situation compromise.

Cette bataille, pour lui, ne ressemble à aucune autre. Le « lion » a toujours réussi, jusqu’ici, à conserver la mainmise sur les événements. Or ce 25 juin 1218, Simon de Montfort se retrouve au milieu d’une pagaille extraordinaire. Un peu comme si, tout à coup, il n’était plus chez lui sur ses terres conquises. Un boulet venu du ciel, tiré, dit-on, par des femmes toulousaines, l’atteint en pleine face. « A terre il tomba mort, livide, ensanglanté », dit la Chanson de la croisade.

Cet événement fait de la bataille de Toulouse l’exacte réplique de celle livrée cinq ans plus tôt à Muret. Là où le roi Pierre II d’Aragon avait succombé, entraînant la débandade immédiate de ses troupes, la nouvelle de la mort du « lion » provoque la panique chez les Croisés qui s’égaillent et cessent le combat.

A Toulouse, c’est une page qui se tourne. La première génération des hommes clés de la Croisade, ceux de 1209, passe la main. Dès le 26 juin 1218, Amaury de Montfort est reconnu comme l’héritier de son père. En 1222, Raymond VII succède au vieux Raymond VI qui meurt, excommunié, entouré de prélats venus s’assurer qu’aucun sacrement ne lui sera administré avant son dernier souffle. En 1223, Raimond Trencavel, fils de Raymond Roger dont il avait été l’orphelin à l’âge de cinq ans, reprend Carcassonne. La même année, Philippe Auguste décède et laisse la couronne de France à son fils Louis VIII. La deuxième génération entre en lice.

Comme leurs aînés, ces hommes connaîtront des fortunes diverses. Celle de Louis VIII sera de courte durée : victime de coliques, il meurt en 1226 sur le chemin qui le ramène à Paris après avoir mené croisade en Languedoc. Louis IX reprend le flambeau. Sous la régence de sa mère, Blanche de Castille, le futur Saint-Louis entreprend de mettre définitivement l’Occitanie au pas. Dès son accession au trône, l’offensive est lancée : Saint-Antonin tombe le 8 mai 1226, Nîmes, Puylaurens, Castres, Carcassonne sont vaincues au mois de juin. A la fin de l’été, le comté de Comminges se soumet. Avignon capitule le 12 septembre. L’affaire est rondement menée.

Au mois de mars 1229, Blanche de Castille a convoqué une conférence qui se tient à Meaux. En avril, Raymond VII est à Paris. On le retient au Louvre le temps que soient établis les termes du traité qui va lui être imposé. Il sont clairs. Reddition sans condition et rattachement du Languedoc à la couronne de France. On renforce le lien en donnant Jeanne, fille de Raymond VII, en mariage au frère du Roi.

notredameLe parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Comme son père avait été humilié à Saint-Gilles du Gard, le comte de Toulouse se présente en chemise sur le parvis de Notre-Dame de Paris le 12 juin 1229. Il s’agenouille et demande pardon à l’Eglise. Dans la foulée, il signe le traité dit de Meaux. Ce jour-là se referme le dossier politique du Languedoc.Pour la religion, c’est plus compliqué. Depuis vingt ans qu’ils sont dans le collimateur du Saint-Siège, les cathares ont appris à ruser. Ils savent se cacher. Tromper l’ennemi. Pratiquer leur culte dans la discrétion. Et ils conservent de l’influence auprès de seigneurs prêts à leur ouvrir les portes de leurs châteaux inexpugnables.

Eux-mêmes, les seigneurs, n’hésitent plus à se convertir à la religion des Bons Chrétiens.En 1227, Grégoire IX a accédé à la charge pontificale. Il est le cousin d’Innocent III qui, mort en 1216, n’a pu contempler les résultats de son œuvre. Mais Grégoire veut finir le travail. Il relance la traque contre les Occitans rebelles. Ne pouvant plus compter sur l’appui de nouveaux barons dans une terre désormais française, l’Eglise doit, avec ses propres moyens, se doter d’une arme pour venir à bout des cathares.

Inquisito hereticae provitatis : tel est le nom que, le 20 avril 1233, le pape Grégoire IX donne au tribunal d’exception qu’il installe dans le comté de Toulouse. L’inquisition est née. Et l’exception s’inscrira dans la durée.

On sait de quelles funestes encres la sainte inquisition écrivit les noires pages de son histoire, du Languedoc en Italie, jusque dans l’Espagne de la Reconquista au XVe siècle. Cette véritable machine de guerre idéologique, broyeuse d’âmes, se déploie en Languedoc en puisant ses juges parmi les Dominicains et les Franciscains, deux puissants ordres religieux de l’époque.

La bataille qu’ils livreront aux cathares ne sera pas qu’intellectuelle. Tortures et bûchers sont plus que jamais à l’ordre du jour.La clandestinité s’organise. Mais la résistance coûte cher. Les cathares doivent se résoudre à composer entre leurs aspirations spirituelles et des considérations plus profanes. Les Parfaits maintiennent le feu sacré. L’Eglise, elle, s’organise. Elle a besoin d’argent pour payer ses mercenaires. Le temps de sa liberté est révolu.

Texte et photos : Serge Bonnery