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Devant ma porte ces chaussures, qui ne cessent d’interroger mes divinations. Qui donc les a ainsi posées en quinconce sur le palier ? Je ne sais. Rien vu, rien entendu. Sans doute, je dors.
Je peux en témoigner. Certificat de l’ombre, du revers doux de mon oreiller, de l’impasse régulière du bout du jour. Parce que je suis de celles qui en reviennent, qui ont eu leur part d’obscurité, leurs rendez-vous avec les anges, ce petit goût chouette parmi tous les hiboux. Je peux en témoigner. Oui, dormir existe. D, majuscule à Dormir ?
Dans ces éclipses, j’apprivoise la nuit, ce qui est une autre paire de manche, la face Nord de la vie, un éperon tordu avec des voies de mèches et de pitons et des dévissées possibles où vous mourrez petit, où vous vous fracassez contre l’écho, façon sherpa ou cor des alpes.
Je dors. Pas que la nuit. Il y a des jours qui s’affalent aussi dans la sieste. On les voit s’écrouler, lessives de serviettes détachées du cou ; le repas fut divin et le vin comme une messe. Et l’occulte culte se fait partout, turbo ou langoureux, crapuleux ou raisonnable, l’expression du service « siestal »est de droit tout simplement canon.
Dans cette modeste perte de contrôle, la bouche reste fermée, les bras croisés et les jambes à peine recroquevillées. Vous faites un test d’anti-contrôle, à peine endossez- vous le dormir…En fait, vous vérifiez les paramètres, la bonne taille, la tendance. Comme si le soir même, il allait falloir vraiment la vivre, cette nuit, et signer la noce.
Je me sais aussi lâche à certaines heures. Me prend alors une sorte de « Hé ! vous exigez bien trop de moi, vous n’êtes jamais contents ! Attendez donc que je disparaisse, que je me fonde dans l’impermanence et vous verrez ! Ensuite, grande diva de théâtre, je meurs à l’essai comme on retient son souffle et murmure à l’étouffée…ben puisque c’est comme ça, j’arrête de respirer…
Je témoigne de la nuit, de l’absence, de la petite mort et même de l’évanouissement temporaire. Religion nyctalope avec offices horaires ; je pratique le 3×8 sans distinction. Mais quid du témoin du jour ? Celui- là qui réalise, qui vient à la maison vous remettre l’estafette… ? Grand veneur des ostensoirs et des processions prosélytiques, sa trompette sonnante sous les murs de Jéricho.
Est-il passé devant chez moi ? Avec son costume repassé, sa chemise blanche, son pli sous le bras et le sourire de lune montante remontée. A-t-il tenu la rambarde du précipice infernal, – oh ! Que cet escalier est haut, étages des vices et d’eaux troubles- dont il veut à tout prix m’extraire ? Gracile âme du Grand Dieu, du Vengeur, de l’Arpenteur des déserts poignardés, mormon, jéhoviste ou scientologue.
A-t-il traversé les tentations, les ruelles diaboliques, depuis ce MacDo pestilent à ce Mama Mia Miam Miam dans mon Google Street, la faim de l’essentiel comme unique bagage ?
Est-il monté, du bout de ma rue, en tenant l’échelle de Jakob, grimpant le rêve, la hanche démise, à la conquête de mon songe malpropre, pour mener le combat contre mon aveuglement, ces jours entiers à fermer l’œil – ou les deux- sur la vérité ?
Quelque chose en lui est solide temple hissé comme un Sinaï. La foi lui a amidonné le costard et rien ne froissera ni sa mise ni son inexpugnable certitude. Il croit et il vient m’en témoigner.
Va-t-il attester, gargouille grimaçante de postillons divins et m’inonder de prospectus car le ciel est électoral et publicitaire ?
Il me connait. Je suis de l’ouaille égarée, de la précieuse laine dont on fait son mouton gras. Il me veut. Le témoin, qui me connait comme sa poche, mieux ! comme sa bible et dont il a référencé sagement tous les chapitres me concernant. Oui, Jéhovah s’est exprimé tant de fois tout spécialement pour moi.
Le témoin rentre alors un pied dans la porte, il hume mon petit deux pièces, fin de règne Choufleurs 1er, début Coco Chanel. Il a déjà saisi. Il me perce à jour (ô que ce soleil est éblouissant et qu’il me brûle, sale enfer !)
Premiers verset géographiques
– C’est Sodome et Gomorrhe, ici ! ll recule, il avance. Entre répulsion et sens du devoir, posture missionnaire.
Seconds versets épidermiques
-… le stupre et la fornication… ! S’inquiète-il en pleine enquête. Me toise, m’envisage, narines palpitantes pincées, révulsion du bien nez.
Troisièmes versets thérapeutiques
-.. un peu de myrrhe, un peu d’encens…. Chapitre rois mages, grands témoins en vadrouille comme lui, persistant caravanier de la bonne parole.
Il m’invite à mettre les sandales du pèlerin, à prendre la route, à me mettre en marche…
A-t-il pour cela, trouvant ma porte close, agencé mes chaussures comme des aiguilles de boussole faisant leur conversion ?
Je ne sais, je l’ignore. Je retourne à mes brumes, je remonte le duvet. J’attends la manne et le coup de bâton de Moïse, séparant mes eaux troubles.
Mais qu’est-ce donc que cette lueur qui dérange mes ombres… ?
Texte: Anna Jouy