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Bucher Cathares Blog

Avant d’entrer plus avant dans ce feuilleton dominical, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse pour partager avec vous un étonnement : que cette histoire des Cathares fascine encore de nos jours autant de monde, a quelque chose de proprement irrationnel. Les faits dont nous allons parler se sont déroulés au tout début du XIIIe siècle – il y a donc un peu plus de huit cents ans maintenant – et ne revêtent pas un caractère exceptionnel.

Tant de sauvageries, guerres, massacres, génocides ont été perpétrés dans l’Histoire des hommes que ces faits-là ne relèvent – hélas – pas de la rareté. Ils peuvent être dits exceptionnels parce qu’inadmissibles, insoutenables. Mais cela ne contribue pas à les singulariser. Or ce que, depuis des années, je cherche personnellement, autant dans mes lectures que dans mes marches à travers le pais (1), c’est : en quoi consiste la singularité de ce fait-là que l’Histoire a retenu sous le nom de croisade des Albigeois.

Je crois que ce qui s’est « joué » sur les terres d’Oc au XIIIe siècle dépasse largement son cadre historique et géographique. Pour le dire autrement : les faits dont nous allons parler sont plus grands que les faits eux-mêmes. Ils portent en eux une dimension qui les dépasse et leur confère un statut universel.

La persécution religieuse ne date pas de l’époque des cathares. Ce n’est pas une invention de ce temps-là. On se souvient ce qu’il en fut des juifs en Egypte, des premiers chrétiens, des juifs encore au Moyen Age, des juifs souvent. Mais le singulier de l’affaire cathare, c’est qu’en Occitanie au début du XIIIe siècle, se met en place un mécanisme qui conduit de manière consciente et programmatique au massacre d’hommes, de femmes et d’enfants par des puissances politiques et spirituelles, selon une méthode élaborée et théorisée en amont pour être ensuite orchestrée, sur le terrain, avec les moyens nécessaires à son accomplissement.

Les hommes harangués par l’abbé de Cîteaux Arnaud-Amaury, légat du pape qui prêcha la croisade en son nom, vinrent en Occitanie pour tuer au nom d’une idéologie qui se voulait hégémonique dans le monde chrétien. C’est au nom de ces mêmes principes que l’on a fait la guerre aux Musulmans en terre sainte et que l’on fera un jour,  à l’enseigne de la croix gammée, la chasse aux Juifs.

Entre le sac de Béziers en juillet 1209 – «Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens» – et les bûchers de Minerve ou de Montségur, on observe le même mode opératoire. Chaque fois, le dominant élimine le dominé en prenant soin de ne laisser derrière lui aucune trace de son forfait. C’est la fonction précise des bûchers allumés partout en Languedoc : effacer, jusqu’aux noms des martyrs, toute preuve du crime. La même fonction qui sera assignée, plus tard, aux fours crématoires.

Les faits eux-mêmes nous obligent à dépasser le sens symbolique des flammes rédemptrices et purificatrices. Le symbole est toujours précédé de l’acte qui le dénie ou le justifie. Or c’est la même obsession de l’effacement qui poussera les Inquisiteurs, tout au long de leur mission en Languedoc, dans leur inlassable travail de sape, à déterrer des morts suspectés d’hérésie pour les brûler.

Ce qui est à l’œuvre dans l’Occitanie du XIIIe siècle est un mode opératoire clairement identifié comme la liquidation préméditée et programmée d’une communauté humaine. Tel est le caractère spécifiquement exceptionnel des faits qui se sont produits, ici, il y a huit cents ans. Et à nul autre comparable, chacun conservant l’horreur de sa spécificité.

C’est, je crois, ce caractère-là qui a empêché l’histoire des Cathares de tomber dans l’oubli malgré les efforts de certains – l’histoire occitane a ses négationnistes – pour que n’en demeure aucune trace, sinon déformée ou folklorisée. Mais c’est ainsi : les faits sont plus forts que la mort dont ils sont le véhicule. En cheminant à travers Corbières, Minervois, pais toulousain, albigeois, entre bois et garrigues, en partageant le quotidien des Bonshommes, nous allons tenter ensemble le périlleux chemin de la mémoire. Peut-être nous conduira-t-il à mieux comprendre pourquoi la croisade des Albigeois a résisté aux tempêtes des temps. Et pourquoi cette canso (2) continue à résonner dans les consciences des hommes justes.

Texte : Serge Bonnery

(1) pais : pays en occitan.

(2) canso : genre lyrique inventé par les troubadours. La chanson de la croisade – connue sous le nom de Canso- est une chronique des événements qui relève plutôt de la chanson de geste, genre épique.