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pour les cosaques - le trou

En longeant la muraille il avait, chaque fois ou presque, avec plus ou moins de distraction, l’oeil attiré par ce trou, un peu sous le sommet, qui révélait le vide existant entre les deux murs qui la constituaient. En longeant la muraille en vague ennui, lorsqu’il n’était pas pressé par son but, il y accrochait une vague curiosité et des rêveries. Et peu à peu il se sentait appelé par cet oeil obscur.

Il a cherché, il a trouvé un peu plus loin – n’y avait jamais prêté attention – des marches, ou plutôt des saillants espacés, un peu dégradés, rappel d’un semblant d’escalier ancien… ne manquaient que les trois échelons les plus bas. Un jour où il était vacant, un dimanche ou un jour de fête, il s’est arrêté sous les saillants, il a mesuré de l’oeil la hauteur à franchir, a tenté d’évaluer la taille des appuis, a vérifié qu’il n’y avait trace de passant, même lointain, à droite ou à gauche, a entrepris de grimper.

Est arrivé au sommet, s’est dressé sur les dalles appuyées sur les deux murs – et peut-être sur un remplissage caché – est resté en contemplation sur la campagne, les champs, qui s’étendaient au delà et puis sur les maisons plus ou moins dégradées de la ville. Il a pensé que si elle revivait, il faudrait établir un escalier confortable, en utilisant des pierres provenant de la carrière, abandonnée ou non, qui avait servi au temps jadis à l’édification de ce rempart, pour faire de ce cheminement, après en avoir contrôlé la solidité, un attrait pour des touristes, une ressource.

Et il a avancé, constatant avec plaisir que la largeur du chemin était exactement adapté à une marche confortable et assurée, même si un croisement devait être un peu acrobatique sans être impossible – c’était bien un chemin de ronde – ce mot, en s’imposant l’a fait sourire de ravissement, éveillant des traces de souvenirs de ces histoires q’il se racontait au temps des genoux couronnés et de la voix de canard enroué.

Il s’est arrêté au bord du trou… un escalier, en bien meilleur état de conservation, y plongeait, mais rien ne permettait de le franchir pour rejoindre le chemin au delà et il s’est interrogé un instant sur ce manque, ne pouvant croire qu’il avait toujours été, qu’il faisait partie du projet d’origine, comme semblait l’être ces larges marches sans rebords qui descendaient à travers la pénombre vers l’obscurité.

Il a commencé la descente, tâtant précautionneusement du pied, levant la tête au risque de trébucher pour que ses yeux restent accrochés à la lumière, longuement, jusqu’à sentir qu’il avait atteint un sol, a regardé, n’a vu que des murs effacés par l’ombre, a deviné une salle rectangulaire dans laquelle s’ouvrait, du côté de la campagne, une ouverture sur le noir. À côté de la dernière marche s’alignaient contre le mur une série de pierres sur le devant desquelles se devinaient vaguement des traces de sculpture. S’est mis à quatre pattes, a tâté, a senti sous ses doigts se dessiner un âne ou un cheval attelé à une carriole, s’est assis sur la pierre en souriant aux images anciennes qui lui venaient, et s’est, comme dans ses après-midi d’enfant solitaire, appliqué à se raconter des histoires. Mais l’âge l’avait abîmé, elles se détruisaient presque instantanément, n’avaient que le temps d’un petit élan, il n’y croyait plus assez. Ont été remplacées par ces pensées maudites qu’il voulait justement fuir. Alors il a entrepris de remonter vers la lumière réverbérée par les pierres, là-haut.

Texte et image : Brigitte Celerier