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Cher Stefan Z.,

 
Cette vie. Ai-je besoin de te l’écrire ? Vas-tu seulement la lire ? Ou alors glissera-t-elle parmi tes invendus, tes rendez-vous, tout ce quotidien qui est ta matière ordinaire… ? En ai-je l’envie, le besoin, la nécessité ? Maintenant ce n’est plus pareil, à force. Il y a des sentiments qui prennent des allures bancales de n’avoir jamais été prononcés avec un peu de justesse. Le mien est devenu si sale, si déguenillé qu’on peinerait à le reconnaître. C’est une vilénie, c’est l’amour moche dans toute sa splendeur. Quand on le voit on ne penserait pas qu’il y a eu parfois comme du poème, de l’organdi, entre toi et moi… J’étais presque aussi douce qu’un courant d’air, avec des rendez-vous, du mystère, j’ai même été légère, comme une image ! Maintenant je suis une tache sur l’ombre et une ombre au trottoir. C’est plus la même chose. Avant j’écrivais des lettres oui, c’était facile. C’était comme un flot, te parler, te dire, t’aimer comme ça à même le papier. Maintenant je dois toujours beaucoup me relire, tracer, effacer, élimer. Mes phrases tremblent, elles n’ont plus rien de sûr. Je leur trouve une sale gueule à peine sont-elles venues. C’est pas vraiment leur faute mais le cœur n’y est plus. J’ai paumé ma grammaire, le fil de mes envies. je racle mes journées sur le dos de la vie. J’ai le délire dans les mains et plus de tamise dans le cœur. Aussi peu de désir ferait-il un message ? Ben non, bien sûr que non ! …Je vais pas racoler de l’amour, la sueur de quatre jours, l’haleine à la vinasse et mes cheveux par poignées dans la crasse. Je pourrais oui, je pourrais… j’avais un sacré don pour ces choses, j’étais Shéhérazade. Plus d’histoires, tu peux pas. Mon cœur t’appartenait, c’était une réserve, un pays. J’étais un poète allumé nuit et jour. Maintenant crois-moi, y a plus souvent la rage, la peur et le silence tout au-dedans de moi. Si j’avais à les dire, cela ferait un sacré cri d’oiseau en train de mourir : J’ai les bêtes, oui j’ai les bêtes. Tout le long de mon dos. Je répète, je me répète. Il y a parfois ton prénom comme un ange qui passe pour faire éclore la langue. Dans ces cas-là, y a toujours un gars pour se foutre de moi. Je ris bien sûr ! Faut bien cracher l’amour par les trous de gencives, pas tout garder dedans, partager quoi…

Heureusement quand tu passes, tu me reconnais pas. Tu vois pas mon visage, je le cache. Ton pas, ton pas si grand si long qu’il m’enjambe en une fois. Et moi là en bas… oui, c’est drôle. Après, quand je ne te vois plus, quand tu tournes juste à l’angle, je pense au fond de moi… Et si je n’y pensais plus, si je n’y pensais plus, je pourrais quitter cette vie parce que rien ne m’y retiendrait plus.

Signé : une inconnue

 

Texte : Anna Jouy