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Il parle d’obligations métaphores. Je n’y comprends rien. Sauf que c’est un produit de sa conception. Une chose de « l’ancien monde ». Des phrases passées par toutes ces filières. Par tous les temps. Et sûrement par toutes les bibliothèques. Il n’en reste rien. Ou si peu. Un art tellement dévalué et désargenté que ça en est comique. Le moindre chroniqueur débile de la TNT ou même d’Internet gagne en une prestation plus que ce que touche un de ces rescapés en un an. Voire en une vie. C’est au-delà du ridicule ou du rire en fait. Ça relève de la psychiatrie. Et lourde qui plus est.

Il plonge son regard dans le mien. Pauvre fou. « A l’aide d’une métaphore, sans abandonner sa charge ». Il insiste. Je crois qu’il s’achemine vers un vaste territoire peuplé de débiles mentaux.

Il me parle d’un « corps entier dans l’enveloppe de toile ». De « hurlements qui sont pénibles à supporter ».

Je pourrais rire à gorge déployée. Mais en fait non. Je pourrais en faire un roman. Ça me stabiliserait. Je pourrais oublier ses remarques. Tous ses mots comme d’amères accusations. Sans autre ambition  que de survivre. Je le vois se débattre, dans ses parois de cristal. Il a la grâce. Mais il ne se laisse plus atteindre. Il n’est même plus haï. Il indiffère. C’est pire.

Regarde me dit-il, « la circulation se ranime ». Je lui réponds que je la  vois aussi. Si cela peut lui faire plaisir. Aucun nuage ne doit venir abîmer son horizon. Et je n’ai pas le courage de lui dire la vérité. Sinon je suis certain qu’il s’enfilerait un flacon rempli de poison. Lui, il parlerait « d’essence de térébenthine.

Que s’est-il passé ? Pour qu’une « pensée rêveuse  dans les tourbières de l’assouplissement » s’évanouisse à ce point ? Et que doit-on en conclure ? Que la technologie nous renvoie à l’âge de pierre ? Je regarde moi par la fenêtre qui donne sur la cour intérieure. Dans mon dos, Il s’émeut maintenant de « l’éloignement des combats maritimes ». Ça, pour s’éloigner, il s’éloigne.  De sa conscience sûrement. Tout-à-fait comme sa raison. Si seulement je connaissais le coupable. Le responsable de son état.

Je le vois comme un contaminé. Un type que la chance a abandonné. Il arpente ses pages écrites encore à la main – le fou – avec la détermination des condamnés. C’est assez aristocratique au fond. Plus de ce monde. Il ne fait que le hanter.

Il répand toujours ses accusations. Je ne sais plus pourquoi je le vois toujours, et autant. Par habitude sans doute. Un truc bien trop ancré. Mais dont j’ai oublié l’objectif. Je le fais c’est tout. Et je l’écoute me dire « tu es délivré de notre persécution ».

Pas vraiment…Mais ce n’est pas très grave.  Il ressemble à une vague promesse. A un vague souvenir. Mais plus à l’être flamboyant et malsain qu’il fut. Ce n’est pas le temps qui a été plus fort que lui. C’est plus compliqué. Il aurait pu se maintenir. Ne pas s’effondrer dans cette tristesse inconsolable. Dans cette chose qui a viré à la folie.

Son nom a même été redoutable. On peut même dire qu’il fut célèbre. Il a tenu le coup longtemps. Résistant aux « chacals nocturnes », pour reprendre son expression, aux ravages, à la tombée de la nuit. Dans ses bons moments, comprendre dans ses moments lucides, il m’avoue qu’il est parti bien « trop loin du rivage pour y revenir. »

Je confirme. En mon for intérieur. Ma visite négative se poursuit. Il perd ses forces à vue d’œil. Trop loin du rivage pour y revenir. C’est exactement ça. On a pourtant tous continué à faire semblant. On savait pertinemment que tout ça devenait peu à peu un « sanctuaire du sommeil »…Voilà que je me mets à faire comme lui. A confondre le texte et la vie. Puis à tous mélanger.  Il a peut-être raison finalement.

 

Texte et photo : Yan Kouton