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pour les cosaques - les lumières copie

A plat ventre sur la tendresse du boutis, joue contre un oreiller couvert de linon, dans la paix fraîche et obscure de ta chambre, tu as senti des pas légers troubler légèrement ton calme domaine, en marge de la vie, de la pensée, peuplé d’une rêverie délicatement imprécise, réveillant en toi juste la volonté d’ignorer cette intrusion, en fermant les paupières et ramenant un peu tes jambes pour te lover, être essence étrangère à tout ce qui n’est pas toi… Dans le silence revenu, tu as cédé à la couleur rose qui perçait sous tes paupières, et tournant la tête ton regard s’est heurté au dessin net et violent que projetaient les fenêtres, creusant ta coquille d’ombre… de protestation, tu as enfoui ta face dans l’oreiller, un moment, un instant, le temps de sourire à un gazouillis de voix qui venait du jardin, et ce fut contemplation lente de ces taches de lumière, apprivoisement, ce fut la lente modification de leur contour tranchant, la contamination de la pénombre et le reflux en toi de ton paisible écart.

Dans l’habituel débat des idées assimilées, refusées, interrogées, intériorisées, modifiées lentement, en lente évolution, avec de vrais combats, heurts, dans ton incessant dialogue muet – et ce qui dissone, bouscule est, même si finalement repoussé, examiné avec une curiosité d’autant plus bienveillante -, dans la brume de tes connaissances, apprises, oubliées à demi, transformées en silence avec le temps, de tes à peu-près, notions rencontrées, devinées, non vérifiées, devenues vérités-ou-presque d’autant plus chères qu’incertaines, personnelles, soudain la rencontre brusque d’affirmations, d’éclairages qui bouleversent ce magma confortable, et le refus, recul instantané comme le retrait d’un doigt en contact avec une flamme, retrait où s’insinue peu à peu un doute. La douleur de ce chambardement – le mot douleur venant à l’esprit, en même temps que le sens du ridicule, ou simplement le sens de la mesure, puisqu’il le faut bien, le remettait en cause – paralyse un temps ton esprit, tu décides de passer outre, mais le travail se fait lentement, et tu sais déjà que tu y reviendras, prendras cette idée, cette vérité homologuée, cette intruse, la retourneras, inspecteras, suceras peu à peu, jusqu’à ce que devenue familière tu te l’incorpores ou la rejettes.

Dans ta douce désolation, dans ton retrait, dans l’amitié de ta désespérance, qui gomme toutes les pointes que te présente le monde, amoindrit le pouvoir des autres, te berce en une solitude camouflée sur le bord de la vie, que seul, crois-tu, le choc d’une atteinte à un cher, à un faible, si elle te parvenait, pourrait faire éclater un temps – et la trace viendrait ensuite en nourrir la profondeur -, dans ton marais familier, un rire, une lumière, un cri vient se ficher, creuser un trou, éveiller ce satané espoir bien caché, bien endormi, et dans un choix si rapide qu’il n’est pas choix, pas décidé, qu’il résulte simplement de conditions impondérables, d’une petite gaité de l’air ce matin, de la lourdeur devenue insupportable comme une tristesse de cette quiète navrance, tu optes pour un refus bougon, une ignorance décidée, ou tu t’en vas au devant de ce cri, ce rire, cet appel, avec le tremblant désir que le sourire que dessinent tes lèvres s’ouvre sans effort, monte jusqu’à tes yeux.

 

Texte et image : Brigitte Celerier