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mon reve

Je ne plonge pas dans mon rêve. Je n’y glisse pas, je n’y coule pas. Mon rêve est en pente, pitonné. C’est un rêve escarpé, toujours. Je rêve en souliers de montagne. Dans la vraie vie, je ne vais pas grimper de sommets. Je tiens ces abruptes pierres à distance. Je pense qu’elles sont là pour scier le ciel. Je regarde les outils du bûcheron suisse, c’est du beau matos. Parfois le ciel fait planche, plus de montagnes, de la brume partout. Je ne m’en plains jamais.

Mais je rêve à pic. Je suis dans le vertige de parois renversantes, dans des villes-étagères, des sentes alpines. Et je marche vers des zones hautaines, interminables. Le toit du monde est sous mon bonnet de nuit.

Je n’ai pas –encore- cherché à comprendre pourquoi mon terrain de songe ressemble à un talus éternel, ma ville à une tour de Babel, pourquoi Paris est une cloque de béton, pourquoi ma maison une cabane de montagnard, pourquoi les champs, des plantations d’épicéas sur le crâne d’un géant?

Plus bizarre encore, je monte volontiers à la mer qui peut m’attendre au détour d’un sommet, gelée ou chaude, sable ou morène, comme je peux soudain me trouver face à un lac turquoise, un lac de pierre précieuse. Tout ce qui est en bas, se trouve aussi en haut. Des ponts, des stations balnéaires, des cathédrales, des magasins de souvenirs et des gens parvenus là sans effort et buvant la bière du mérite sportif.

Dans mon rêve, je n’ai pas la vie facile, je me hisse en arrachant des touffes d’herbes, je dérupe, je m’accroche, je varappe, j’enfonce mes pieds dans des marches molles. Je fais la longue échelle. Je monte sans ascenseur. Mon rêve est une épreuve gymnaste en zones accidentées. Parfois le mur est si vertical que je sens l’image ployer et me ramener à mon point de départ. Je me réveille, le mollet dur dans les crevasses du duvet, je me dresse sur mon séant et le monde redevient plat, étalé et repassé.

Je ne plonge pas dans mon rêve. Il est d’une espèce de ravins qui gardent des fleurs inconnues, des mouches polyglottes et des lézards à sonnette. Il est sauvage, une terre protégée, un parc national. J’y vais, sans le souffle, les mains en torchères la nuit venue. Il n’est pas accessible. Toujours à de nouvelles buttes, encore et encore. Je prends la route. Il n’y aura personne, ou des êtres lointains ne sachant qu’y faire. Je traverse  des essences qui meurent dans les plaines, je lave les gratte-ciel. Les couleurs tombent avec la pluie.

 

Texte et dessin : Anna Jouy