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Sam, dans sa prime enfance, faisait l’admiration de la forêt, de sa famille, de ses cousins mais aussi des oiseaux, des lièvres et même des grands animaux. Il avait un pelage d’un brun doux et profond et la plus belle, la plus ébouriffée des queues, avec des petits éclats de blondeur pour lui faire un halo. Il était plus souple et plus agile qu’aucun des écureuils de son âge et délicieusement gracieux dans l’expression de son petit corps et de son visage aigu.

Sam était très conscient de sa supériorité, peut-être même se l’exagérait-il, ce qui lui permettait d’être gentiment courtois avec les autres, et puis, comme il sentait qu’il était en lui-même la quintessence de la forêt, son expression la plus aboutie, il était plein de curiosité envers ce qui s’étendait autour.

Les êtres humains qu’il voyait passer étaient le plus souvent assortis à la forêt, venus des hameaux proches, ils considéraient la forêt comme un prolongement, une annexe un peu plus ludique de leur village. Mais parfois des couleurs tranchaient, des voix se faisaient plus aigües et fortes, plus envahissantes aussi, piquées d’exclamation, des citadins venaient en visite.

Et puis un jour il y eut un couple, grand comme des chamois et dont les membres étaient aussi fins – d’ordinaire les humains rencontrés par Sam lui évoquaient plutôt des roches – couverts d’étoffes brunes ou verts sombres, en harmonie avec la forêt mais autrement que les villageois, mais souples et lisses, loin des velours côtelés effondrés… ils avançaient en se tenant par la main, leurs paroles étaient rares et leurs voix était une musique douce aux oreilles de Sam. Ils s’allongèrent, et Sam, depuis sa branche, les dominait, veillait sur eux, sentait qu’un miracle se produisait, qu’ils étaient pour lui.

Pour lui, différents – Sam découvrait le snobisme – et quand ils se furent assis, que le garçon attira à lui un grand panier qu’ils avaient posés à côté d’eux, souleva le couvercle de cuir souple, il distingua vaguement, sous des linges, des sachets, des objets qui brillaient discrètement. Il descendit de trois ou quatre branches pour mieux voir, ils se partageaient des nourritures qui lui semblèrent d’une autre essence que ce qu’il avait vu jusque là, un vin d’un rouge sombre coula dans des timbales d’argent – Sam ne savait pas ce qu’était l’argent mais il aima l’éclat mat de la chose – ils souriaient et parlaient lentement et Sam croyait les comprendre.

Il n’y tint plus. Il se fit maladroit, laissa tomber sur la jupe de la femme un mélange de brindilles, d’écorce, une feuille, comme arrachés dans un rétablissement, elle leva les yeux, s’émerveilla, il dégringola, ils se regardèrent, elle demanda ce qu’il mangeait – des noisettes je pense dit l’homme – dommage nous.. ah mais si, et elle tendit à Sam une noisette grillée enrobée de chocolat. Il la prit pour lui faire plaisir, il regarda, il goûta, il trouva ça surprenant, plutôt désagréable mais c’était gentil. Ils se regardèrent derechef, Sam pencha un peu la tête de côté. Elle dit qu’il était trop drôle, lui demanda s’il voulait venir avec elle et Sam s’installa de lui-même dans le panier.

La suite, Sam, quand il est arrivé à nous, bien plus tard, qu’il a retrouvé, épuisé, le poil terne et ras, la queue humiliée, la forêt, les arbres et leur peuple, il n’a jamais voulu la dire en détail. Il se remit peu à peu, retrouva sa souplesse, sa force, une évocation de sa beauté d’antan, il devint un de nos sages, loua notre bonheur, la simplicité et la beauté de la nature, et laissa filtrer un peu de son histoire.

Il y avait eu un trajet rapide de Sam immobile dans le panier posé sur des cousins dans une grande boite de métal au brillant plus franc, moins profond que l’argent, et le défilé rapide des arbres, il y avait eu le haut d’un arbre derrière une vitre et une très grande pièce blanche ponctuée de quelques meubles géométriques, il y avait eu, installé pour Sam, dans un coin de la pièce un entrelacs métallique dressant de fausses branches ornées de quelques chiffons verts et un hamac (lui il l’aimait bien) garni de doux linges blancs, il y avait eu le choix d’une porcelaine délicate, blanche et bleue, pour son bol à noisettes garni à des heures régulières, il y avait eu l’attendrissement admiratif, rapide comme une formalité, des amis d’Aurélie (c’était le nom de la femme) devant la splendeur chaude de la fourrure de Sam et sa queue, il y avait eu la remarque surprise mais légèrement désapprobatrice d’un ami devant cette intrusion brutale de la nature, et en conséquence l’appel fait à un créateur, il y avait eu la coupe presque rase des poils vaporeux de sa queue et l’engaînement de celle-ci dans un tube rigide comme un point d’exclamation, il y avait eu ce vêtement créé pour lui dans un matériau qui imitait le cuir, en plus raide, et Sam après s’être regardé dans la glace avec complaisance, avait découvert combien il devenait maladroit, gêné.

Et Sam, au bout de trois jours surpris et émerveillé, puisqu’il avait décidé de l’être, s’était senti profondément malheureux, jusqu’au jour où il avait pu profiter du moment où Aurélie, après l’avoir dévêtu, le lavait, le cajolait, pour s’évader par la fenêtre ouverte, dégringoler avec raideur le long de l’arbre, et la longue errance avant de nous retrouver nous et la forêt.

 

Texte et photo : Brigitte Celerier