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magma

Magma, dit-on ! Voyons plutôt casserole, bouilloire domestique. Un fond de flotte et une poussée de température. On monte jusqu’à 100 degrés, vitesse sans radar pour une éclosion de bulles. Rien de plus qu’un jus rarement limpide, souvent vaseux, avec dedans de ces résidus archi cuits et recuits- le passé a du mal à décrotter du fond de l’outil, c’est encrassé dans l’espoir. Alors donc, le bouton est tourné, la cuisinière œuvre et chauffe. L’eau s’apprête à sa sublimation. Tu parles d’une recette à suivre ! Je laisse giter, j’improvise les proportions, je ne soupèse guère mes piments, mes sucres, le gras nécessaire. Dans l’intérieur de l’être, (ai-je une âme, drôle de question, car le plus souvent je me dis que l’esprit est une combinazione chimique, une formule «  indécantée » encore jusqu’à ce jour et que nous aurions développée intensément en dépit des plantes et autres vivants), dans l’intérieur chimique donc de mon être, les mots s’assemblent, bulles et vapeurs qui désormais n’auront plus qu’une obsession : sortir et vivre leur gaz à fond. Supra distillat.

Je les sens monter, venir, par derrière la trachée, par derrière mes déglutitions. Elles remontent et se tiennent dans ce garde-à-vous agité des spermatozoïdes et autres prédateurs d’ovules. Ça pétille sous la langue et les mâchoires. Une érosion de salive et d’os. L’air, de l’air, elles veulent, de l’air élémentaire. Il va falloir prononcer. Il va falloir dire, écarter les lèvres, faire jour dans le four. Laisser les zeppelins de marmite prendre leur départ. Laisser les étincelles, la couvée de mots changer de corps, adopter un monde dont je ne suis ni le maître-queue ni le maitre de chais, mais qu’un abruti gâte-sauce. Je les sens qui tirent sur la laisse, qui ameutent à la molaire, qui grognent et jappent, qui s’apprêtent en chien de fusil à quitter le grand chenil. Fauves de chasse ou vaisseaux translucides, le grand brassage du faitout intérieur va exploser !

Magma, dit-on. Voyons plutôt une éructation sans postillons, un soufflé vite éventé, percé à cœur au premier froid qui arrive ! On est loin du volcan dont on se croit investi. Je n’éclate pas sous pression, écartelant des granits et des laves et des basaltes. Faut pas rêver Malcom, Lowry est un pâté en croûte depuis longtemps. Levain modique, le bouillomètre chutant rapide dans le flaqueux ordinaire. L’essentiel retombe, grêle de sansonnet, directement sur la table, graines cassées, banales, sans voyage.

Parfois cependant, faut admettre qu’on a catapulté plus habile, boulet-crachat devenu missile. Le mot est bon, il est parti, vitesse suffisante pour quitter l’attraction des soupières… Il va, il part, il disparait. Spermato spumante ! Le salaud, me quitter comme ça ! Aller nourrir ailleurs… Va donc ! Traitre, vendu, ingrat !

Après, quelque chose fuit donc. Jusqu’où fuit-il ? Quelle force de semence, où s’en va-t-il atterrir, se planter, attendre de nouvelles rosées, faire sauter sa bonne enveloppe. Grainer.

Magma, dit-on. Je ne sais où chauffent et brûlent les mots. J’ai parfois cette sensation du ventre, quelque antre trop profond, caché entre le foie et les reins, les usines de l’eau. Des mots de chaudière, emplis de ces ingrédients malpropres, verts décomposés, « végétables » de sales humeurs. Je ventriloque, par la bouche nombril. Ce sont des formules sorcières, des poisons, des filtres, des liquides saumâtres dont ne s’échappent que des fumées âcres, émanations de biles. Et puis parfois, plus proche, plus servile, à portée d’oreilles et de bouche, l’alambic du cerveau embue la langue. Je me sens ivre et si claire à la fois. Le crâne frémit aussi.

Mais quand les paroles se sont évaporées par le bas par le haut, qu’elles ont brisé leurs imagos et m’ont échappé, je reste là, le grand désordre des cérémonies secrètes à ranger. Je n’entends plus rien, plus aucun clapotis de verbes. Je ne sais plus que les paysages froids des pays sans séisme. Au fond de ces cavernes où je mute parfois magma et violence, je cherche l’ombre de ces formules qui errent encore et que je ne saurai plus jamais faire revenir.

 

Texte : Anna Jouy
Photo : Piton de la Fournaise, l’Île de La Réunion