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reykjavik

Trépidations de vol. Je ne sais pourquoi mais imaginer beaucoup de trous d’air pour aller jusqu’à là-bas. Un chemin dans le ciel mal entretenu, des nids de poule, des fondrières en pleine atmosphère. Traverser les âges. De glaces en glaces, de hublots en aurores boréales. Le ciel est un champ de gazon, aquarelle de givres. Laisser couler le firmament maintenant et longtemps encore. Traînes et orgues de lumière. Ou alors sont-ce des néons verticaux ? Dans la glace émeraude, dans les reflets de prairie de l’océan, oh étrangement verte Islande quand monte la nuit et que tombe le ciel.

Traverser les tuyauteries du père Noël. En dessous,  la terre est chaude de geysers, de puits d’enfers. Deviner sous les pas le bouillonnement des magmas. Sur l’océan, voir juste le cristal de givre qui prend à peine et patine en artiste Holiday on ice, des lames en esquisses.

Atterrir ici en hiver ou dans la coudée du jour éternel de l’été ? A Reykjavik.

Faire son choix, ce sera en hiver, quoique l’été mou et frissons, où l’on poursuit les heures avec des  écharpes et de jolis foulards, c’est presque pareil. Prendre ses fourrures, prendre des chandails et battre semelle sur les frises terreuses de cette ville à ras les flots. Parcourir les rues comme des départementales sans trafic, routes de délestage de rênes futés. Avancer entre les plots de couleurs d’un jeu enfantin. Imaginer, incertains qu’on vous cache quelque chose. Dedans les maisons de ce grand parc naturel, veille-t-on des morts et des vikings ? Y tue-t-on à la plante vénéneuse ou en piquant les veines des vieilles dames avec des seringues d’alcools purs. Tout ici est si paisiblement humain. Où se cachent leurs terreurs capitales ?

S’attendre à voir surgir des êtres dessinés pour l’épouvante, des revenants de trolls. Ignorer tout de ce qui se passe ici, les mystérieux mondes dans lesquels vous n’entrerez jamais sauf d’être le soir invité avec une bouteille de vodka à faire partie des voisins.

Errer dans les rues aux maisons peintes, ces bleus, ces oranges, ces jaunes, avec comme un repère, droit immense énorme, la cathédrale. Dieu  de bite et de téton, monstrueux bâtiment blanc,  militaire fortification. Odin est donc ressuscité ? Toute la ville doit pouvoir s’y tenir sans doute en cas de fin du monde et de banquise. Quartier général d’agents secrets et de silences.

Et puis ces couleurs, inattendues, fascinations d’une gaité, d’une sorte d’ivresse de l’arc-en-ciel. Tout pourrait être en effet si tristement ou si bellement nature ; vert et puis gris et puis ces bruns de lichens et de mousses. Mais non…Tout peindre rapidement, gagner sur le temps, sur la toute puissante création et marquer avec frénésie son appartenance au reste coloré de l’humanité.

Ne pas savoir pourquoi. Se contenter de ce qui nous vient par la tête et l’imagination.

Pureté parfaite des cieux et des eaux, propreté des rues et des espaces, Reykjavick ressemble à un gros village, avec ses bâtisses régulières, prototypiquement identiques,  que seul ce lissage de sucre glace coloré rend moins sérieuses et convenues.

Entrer dans la série Le prisonnier. Chercher comment s’échapper de l’île et puis du Village. Suivre les traces de Mac Goohan, aller vers les rives de l’eau, s’attendre à une boule blanche qui va empêcher un envol, un retour. S’en souvenir avec une précision roulée dans la gorge. Tout est trop parfait. Où est numéro 2 ? Ne rien comprendre vraiment à ce monde de gens blancs et roux, à leur force, à leur résistance, à leur sens aigu de la lutte. Ne rien comprendre à leur secret, à leur vie souterraine, à la chaleur qui se distille par-dessous la terre.  Savoir juste ce que chacun en sait ; soit qu’ici ce sont des volcans larvés partout qui font bouillir la marmite, que les bains sont brûlants, que les fumées sont une autre forme de l’air, que tout est hanté en deçà des apparences et que vous frayez avec un dialecte qui interdit l’accès à leurs mythes sauvages et cruels.

L’hôtel est lisse, fonctionnel. Avez-vous d’ailleurs imaginé ici autre chose que des choses judicieuses et utiles ? Il ne peut guère y avoir ici de poussière, comment y aurait-il alors une vie pour des objets inutiles des colifichets et des étagères encombrées.  Pour y recueillir son inexistence ?

Se promener, chercher le cœur de la ville, le trouver au bout de quelques artères espacées, façon pleine campagne. Se demander que faire, se demander où est donc l’organe, vers quoi refoule-t-il le sang de l’île ?

Entre quelques tas de neige proprement balayées de vent et qui fondent sous les fleuves chauds qui habitent la terre, se promener donc. Avec cette sensation de n’avoir d’autre choix que de regarder au loin, l’océan, seule destinée possible, l’horizon et la liberté. Comprendre alors les drakkars.

Enfin, quitter les veinules sans pouls, prendre le vent, prendre l’eau, adhérer aux éléments, les nerfs de ce pays. Oublier le sang, oublier le battement, mais effiler les tendons de crin du souffle, de la mer et de la terre glacée de leurs montagnes.

Là-bas, connaître la capitale de l’Etat sauvage

Texte : Anna Jouy