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anubis
Ils sont restés longtemps, comme enivrés à débattre et à rire de ce qui leur passait par la tête devant cette vie jetée à la fenêtre. Moi qui suis d’habitude peu enclin à l’écoute des hommes, j’avoue que cette fois, je ne me serais bouché les oreilles pour rien au monde. Mais je n’ai pu me pencher plus longtemps de peur qu’ils m’aperçoivent et m’encouragent à finir encore mieux que mon prédécesseur. Ils auraient tout aussi bien pu penser que je l’avais poussé de mes propres mains et la thèse du suicide qui les enchantait tant aurait été de ce fait écartée avec amertume et regret. Ils m’en auraient sûrement voulu. De toute façon, je n’entends plus très bien leur voix, elles ne sont plus qu’un brouhaha de quartier auquel je ne peux même plus prêter l’oreille tant ils sont nombreux à parler. Je releve la tête pour contempler le ciel. Le soleil à présent complet rayonne comme les dents d’un sourire épouvantable. J’essaie tant bien que mal de ne plus regarder en bas, de tenir mon regard sur le soleil transperçant, jusqu’à me persuader que c’est lui qui enivre la foule de la sorte, c’est peut-être même lui qui a poussé cet homme à sauter… qui sait ?
Puis le silence. Je me penche de nouveau à la fenêtre. Le corps est toujours là, seul. Ils ne l’ont pas touché. Alors que le soleil amorce sa descente orangée, la solitude et la pestilence du cadavre abandonné m’invite à bras ouvert, je ne sais où. C’est alors qu’un jeune chien errant, un berger, s’approche du corps et s’assoit à ses côtés. Le chien est d’un calme magnifique, habité d’une sagesse que j’admire et dont je suis jaloux tant je voudrais en être moi aussi habité. Sa sagesse garde tout en son sein, afin de ne rien abîmer, de conserver intacte le silence de l’homme écrasé là, par terre. La fièvre m’abandonne alors que la mémoire me revient… ou délire-t-elle ? Qu’importe, im s’agit bien de la même chambre, de la même fenêtre donnant sur le parc, oui, c’est certain, ce sont là les mêmes murs, les mêmes vêtements qui traînent, le même drap puant la sueur, à la différence qu’il borde non plus un lit, mais un petit panier. Je m’y couche. Et malgré la fatigue, je ne peux fermer l’œil, ni même cligner des paupières. Mes yeux ne regardent plus rien. La langue pendue, je cherche mes premiers mots. Je prends mon temps, il faut bien les choisir, ne pas se tromper, parce-que ces mots sont reliés aux fils d’une bombe et qu’ils peuvent tout faire exploser si je les prononce précipitamment. Je me suis finalement levé sur les pattes arrière pour faire le beau… et puis j’ai aboyé.
FIN
Texte : Anh Mat
Dessin : Anna Jouy