En refermant « Imprécations Nocturnes », on a l’impression d’avoir cheminé à travers une ville redessinée, comme dans une toile de Basquiat. Les textes y sont comme les éléments d’une pensée complexe et hantée. Trop dynamique pour être qualifiée de désespérée. Une écriture vibrante, recomposée, dans laquelle se mêlent éclats d’intimité, l’énergie de la cité, souvenirs et fulgurances arrachées au présent.
Un recueil au carrefour de l’abstraction et d’une vision figurative où tout fait sens. Où chaque signe ouvre une porte sensorielle. Quelque chose qui aide à la compréhension d’un tout. L’être dispersé, traversé par l’indicible, percuté par le mouvement vertigineux de l’extérieur. Ne lui reste que des fragments à ordonner, comme un monde rassemblé.

« Imprécations Nocturnes » aux Editions Conspiration.

Extraits :

Tu te retournes

guettant la clarté d’une enseigne

et toutes ces ombres aléatoires

qui pour toi devraient donner du sens

alors qu’une aube précoce se prépare

ébranle l’équilibre de tes persiennes

et te voilà en marche

flirtant avec le jour

la ville s’offre à toi

des lignes, des croisements, des fuites

ton désir écartelé

tes jambes trop fébriles

d’autres te dépassent

ils jouiront d’elle à ta place

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Depuis l’enfance j’ai appris à dissimuler

me contentant de petites fugues à quelques pâtés de maisons

tournant en rond dans la cour

à distribuer des regards noirs à celles que je prétendais aimer

l’écran était ma chapelle

je me prosternais devant des corps étrangers

la grandeur des miens, une douce chimère

tout me revient alors par poignées de cendres

je me suis inventé un rêve

qui n’existe plus quand je ferme les yeux

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Quelle incompréhension dès que l’enfant

derrière le rideau s’exprime en nous

une voix meurtrie sommeille 

elle revient de loin, profonde mais volatile 

trop de vérités nouées en slogans 

les martyriser à grands coups de marteau

trouver le frère à l’oreille fertile

tendue aux murmures sentencieux

et qui n’opposera pas son silence affecté 

car écrire est superflu 

si personne ne vient s’approprier ces quelques mots

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Vivre dans l’attente

en « homme qui penche »

refaire sans cesse le même chemin

jusqu’à inverser l’ordre des jours

et dans un éternel retour

remiser toute espérance

puiser dans l’absence

les élégies des temps futurs

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Pourquoi le jour n’a plus l’évidence

telle la lumière qui, hier encore

dardait à mon réveil

se subtilisait au frère

enfant double

je jouais avec mon ombre

sans jamais connaître l’ennui

les fins de dimanche d’une autre vie

pétrisseur de mon moi

me confondant aux formes amies

je poussais même à ma guise

Grégory Rateau est un écrivain et poète français né en 1984 dans la banlieue parisienne et vivant aujourd’hui en Roumanie où il dirige un média. Il est l’auteur d’un premier roman, Noir de soleil, chez Maurice Nadeau (sélectionné au Prix France-Liban et au Prix Ulysse du premier roman 2020) et d’un premier recueil très plébicité, Conspiration du réel, chez Unicité. Ses poèmes sont valorisés dans plusieurs anthologies et dans une trentaine de revues en France/Corse, Belgique, Suisse, Roumanie, Portugal, Pérou, Haïti, Espagne et Italie (Arpa, Europe, Esprit, En Attendant Nadeau, Verso, Place de la Sorbonne, Points et Contrepoints, Le Persil, Traversées, Bleu d’encre, Recours au poème…). Son nouveau recueil, Imprécations nocturnes vient de sortir chez Conspiration éditions ainsi qu’un livre illustré de ses poèmes en collaboration avec le peintre Jacques Cauda, Nemo, chez RAZ éditions.