
Tu connais maintenant la forme sans anicroche du temps. Il te fout la paix, ne préoccupe plus tes mains. Ton corps parfaitement adapté au moule de glaise. Tu es le citernant. Oui, la forme du temps est ronde, lisse, continue. Tu la sais comme tu te sais toi-même identique sans surprise. Là-haut pourtant le ciel passe et te reluque, espace variable. C’est loin comme une chute pesante. Tu es né de l’ombre pour tomber dans le ciel. La grande mosaïque de molécules qui te conçoit recèle des cosmos de bulles.
Dedans, Abel regarde Caïn, un œil qui brille comme un têtard dans une cloche de salive. C’est l’obsédante attraction de la zone bleue. Tu démarres, tu embraies la course, car tu as peur que le trou de lumière s’en aille, qu’il quitte ta tête. A-t-on déjà vu le ciel quitter les citernes ? Tu ne sais pas si la poignée de terre qui te ressemble peut changer la gravité du monde mais désormais c’est ainsi que roule et tourne ton univers. Il faut courir désormais, courser vite, baratter la vie. Alors échapper peut-être à la pesanteur souterraine. Il s’agit d’être de plus en plus rapide, de s’accorder au manège. D’égrener le pas au rythme du vent. C’est la prière du piétinement, qui tourne sur lui-même et de la force qu’il prend, l’emballement. S’élever. À la gouge du pas, tu marques le calendrier de l’ascension. Tu ne sais pas qu’encore longtemps tu seras ainsi agrippé comme une herbe dans les murs.
Les failles, de plus en plus. S’essayer à de sombres manivelles, comme on enfile des ruelles à la poursuite de l’ombre. D’une ombre qui dévisse. La route ouverte à chaque tombe de nuit, l’horizon dans la forme des lacets. C’est le temps fumeux de perdre ses habitudes. Le ciel met-il aux thermes sa déprime de saison ? Aurait-il d’autres saveurs que ce goût de mouillon qui a moisi l’étoupe ?
Lumière. Faire un geste de lumière. C’est quand tu es au bord de l’obscurité que tu te convaincs de refaire un essai, encore une fois. Mourir bien sûr, mais seulement par une nuit de paillettes et de lune ou alors remettre la lumière.
Tu te sens avec des bras comme des ailes de moulin, cherchant l’énergie dans le souffle. Tu étends tes manches, tu laisses gonfler. Ah ! Le souffle ! Tu parleras qui sait un jour, tu me diras qui sait peut-être. Pour l’instant, tu respires sans mot dire. Tu mouds le désert.
Tu confonds parfois le vent et le soleil, le frisson avec le feu. C’est de l’invisible et c’est dur de faire trancher le grain, la balle et le germe de part et d’autre. On t’a dit qu’il fallait le soleil plein, la chaleur, pour faire des dépressions ailleurs. Une loi de la nature. Météo de saisons. On partage ainsi les déséquilibres. Ta joie contre un peu de spleen lointain.
Parfois, tu te dis simplement que c’est ton tour de trou, que le mouvement passera. Tu as chauffé la vie en lézard. Il n’y a plus maintenant que de l’espace pour du vent. C’est le balancier des météos, toujours cette roue de fortune. Entre folie et sagesse.
Dans les crues du monde. Chaque feuille qui tombe s’adonne à l’air dans une danse muette. Le dernier baiser sur la scène légère des choses qui finissent ouvre la métamorphose. J’irai déployer mes nervures dans l’humus et sentir craquer mes veines à la force des pas.
Ce seront des cadences haut la jambe. Foulures de rotules et de talons, la charge brisera menu mon puits, avec ce bruit de bottes violentes ; ce sont des trombes de pluie quand même.
Là-haut l’oiseau amour écoute. Son appel m’anime, j’ai encore des âmes à vivre. Presque autant que de printemps de Prague ou d’œillets viendront à la Terre. Dans le langage cru du monde, à parole basse, je rejoins l’air en retenant mon souffle. La nuit sera offerte en sacrifice.
Oh ! Revoir la lumière.
Texte/Illustration : Anna Jouy
» Oh ! «